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Brève rencontre avec : Loïc Guyon, auteur de "L’Américain" chez Sarbacane

16 août 2021 Commenter
Sarbacane ✍ Loïc Guyon ✏️ Loïc Guyon à partir de 10 ans 🏆 Sélection officielle Angoulême 🛒 Acheter

RENCONTRES ESTIVALES #15. L’Américain est une série à l’ancienne. Un héros taiseux bourré de testostérone y dézingue des méchants à tout-va et sauve l’Amérique à chaque épisode. La vraisemblance y est inversement proportionnelle à la quantité des cascades et à la qualité des bagarres. L’Américain et son personnage fascinent Francis, aspirant écrivain dont l’apathie fait chanceler le couple. Mais The American est-il seulement un personnage de fiction ? La bande dessinée de Loïc Guyon parue ce printemps chez Sarbacane et titrée elle aussi L’Américain est autant une aventure au premier degré qu’une comédie de mœurs et une réflexion sur l’écriture et les rapports entre fiction et réalité. Récit enlevé et rythmé, mystérieux et humoristique, référencé mais personnel, alternant noir et blanc et couleurs, il a demandé plusieurs années de travail pour un résultat enthousiasmant. Rencontre avec son auteur.

L’Américain est votre première bande dessinée longue en tant qu’auteur dit « complet » (dessinateur et scénariste). Comment avez-vous travaillé pour la réaliser ?

Alors, ça s’est fait en pas mal d’étapes, donc je vais raconter le processus chronologiquement... Ça commence par un voyage aux États-Unis, en solo, en 2010-2011, au cours duquel j’ai rempli quelques carnets de croquis d’après nature. De retour à Lyon, ce que j’avais dessiné là-bas se retrouvait spontanément dans mes dessins d’imagination.

Brève rencontre avec : Loïc Guyon, auteur de "L'Américain" chez Sarbacane
Les origines de "L’Américain"... © Loïc Guyon 2012

Avec des amis, on avait à ce moment là un petit atelier nocturne de bandes dessinées improvisées et auto-éditées à la photocopieuse (le Labo du Robot Shaman). Au cours d’une de ces soirées, j’ai dessiné une histoire dans laquelle est né le personnage très premier degré de l’Américain, déambulant au milieux des buildings une mallette à la main.

En général, on imprimait des mini-livres dans la foulée, en noir et blanc et avec des couvertures en couleurs. Je ne sais plus pourquoi mais cette fois-ci je me suis retrouvé avec des couvertures vierges en papier de couleur rouge et vert et j’ai fait des illustrations à la gouache et au feutre Posca directement dessus.

Les origines de "L’Américain"... © Loïc Guyon 2012

Plusieurs années plus tard, j’ai fini mon premier album, L’Enragé du Ciel [1], et je choisis alors de reprendre le personnage pour un premier projet personnel, un récit que j’aimerais, en guise de transition entre deux projets, plutôt orienté action et écriture spontanée...

J’ai aussi bien envie de reprendre cette technique en couleur que j’ai expérimentée sur les couvertures. J’imagine m’en servir pour les débuts de chapitre, puis passer au noir et blanc, comme dans certains mangas. Finalement me vient l’idée de la série et du principe narratif amené par la couleur qui va avec.

Les origines de "L’Américain"... © Loïc Guyon 2012

Je perds déjà un peu en spontanéité, mais je décide de rester sur quelque chose d’improvisé en ayant un synopsis bien étoffé, qui me servira de chemin de fer scénaristique pour ne pas me perdre. Je fais une dizaine de planches, et j’envoie aux éditeurs... Mais ça ne marche pas. Parmi les raisons, le fait qu’étant jeune auteur il soit très difficile pour un éditeur de me faire confiance sur un récit improvisé.

Je laisse alors le projet de côté quelques mois, puis j’obtiens la résidence à la Maison des Auteurs d’Angoulême ainsi qu’une bourse de la SAIF [2] et une autre de la région Rhône-Alpes. Je reprends alors tout à zéro, je laisse tomber le côté impro, et j’écris l’entièreté du scénario et des dialogues. Je dessine le storyboard de la moitié du livre, je fais de nouvelles planches et finalement, je signe le projet, à nouveau chez Sarbacane.

Monument Valley (29 décembre 2010) © Loïc Guyon

Concernant la réalisation, pour les planches en noir et blanc, je me suis servi du storyboard comme d’un crayonné vague, que je décalquais à la table lumineuse pour placer les éléments généraux et garder des expressions, des attitudes plus balancées. J’ai utilisé un stylo noir, fin, et qui tient à l’eau pour pouvoir ajouter éventuellement des lavis.

"L’Américain" (page 72) © Loïc Guyon / Sarbacane 2021

Mais qui dit « pas de crayonnés », dit aussi « beaucoup de corrections » et donc tipex, gouache blanche, mais surtout Posca blanc en pagaille. J’ai aussi ajouté parfois quelques gris au crayon de couleur noir selon l’envie et j’ai finalement majoritairement troqué le lavis pour un Posca gris.

"L’Américain" (page 165) © Loïc Guyon / Sarbacane 2021

Pour les planches en couleur, impossible d’utiliser la table lumineuse, donc cette fois-ci je faisais un crayonné basique, toujours d’après le storyboard, que j’encrais dans les grandes lignes à la plume, parce que le feutre fin galère sur le crayon. Ensuite, c’était parfois de la gouache au pinceau, mais les trois quarts du temps, du Posca direct ou si besoin des mélanges en faisant des flaques sur ma palette. Les couches de peintures mangent plus ou moins le trait, alors je revenais ensuite au stylo fin corriger ou amener les détails, ce qui me permettait aussi de ramener une cohérence esthétique avec les pages en noir et blanc.

C’était parfois très spontané, et d’autres fois c’étaient des couches et des couches avec quelques fois des essais numériques en amont. Enfin, toujours en numérique, je nettoyais, recomposais ou corrigeais quelques couleurs et j’arrangeais certaines mises en page quand le sens de lecture bloquait un peu du fait de ne pas avoir de cases.

"L’Américain" (en bas croquis d’origine datés de 2012 & en haut détails de la page 26) © Loïc Guyon / Sarbacane 2021

L’Américain est presque une « métafiction », ou du moins une fiction sur la fiction. Elle questionne autant notre rapport à l’imaginaire que le processus de création – la page blanche, le rôle du hasard, les sources d’inspiration… Les références, plus ou moins cachées, sont importantes dans L’Américain. Quelles ont été vos principales influences, pour le récit et les personnages d’une part, pour le graphisme et l’esthétique d’autre part ?

Concernant le récit, il y a un film qui m’a particulièrement influencé parce que je l’ai vu alors que j’étais en plein dans l’écriture, c’est Réalité de Quentin Dupieux [3]. Dans ce film, la mise en abîme prend des proportions labyrinthiques et est constamment augmentée d’incohérences qui semblent indémêlables. Quand j’en suis sorti, je me suis dit que c’était ça que je voulais dans mon livre. Je ne suis pas allé aussi loin, mais je visais ce rapport confus et contradictoire à la réalité.

D’autres œuvres comme la série Louie de Louis C.K. [4] m’ont aussi convaincu de casser des codes et de jouer avec la cohérence en semant intentionnellement ou nonchalamment des contradictions plus ou moins importantes.

Les origines de "L’Américain"... © Loïc Guyon 2012

J’ai lu aussi Les Larmes d’Ezechiel de Matthias Lehmann [5] pendant ma résidence, qui est pour moi un petit chef-d’œuvre. Il y a un mécanisme similaire de double récit et de mise en abîme qui m’a fait penser un moment après lecture : « il a déjà fait ce que je voulais faire, en mieux »... Mais c’est l’un des propos majeurs de mon récit, les œuvres qui influencent des œuvres qui influencent des œuvres à leur tour... C’est surtout dans la justesse des relations et les non-dits, les histoires du passé, qu’il m’a aidé à voir où je voulais aller.

Une immense partie de l’influence, c’est bêtement moi, les gens qui m’entourent, et la retranscription à peine exagérée d’interactions sociales quotidiennes entre gens de ma génération et plus ou moins de mon milieu social. Pour les parties du quotidien qui retranscrivent des dialogues bruts qu’on pourrait entendre dans le bus, dans la rue, dans un café, à la manière de La Vie Secrète des Jeunes de Riad Sattouf [6], par exemple. Les phrases toutes faites, les maladresses, les egos qui se chamaillent, les tics de langages amusants... Sauf que là, il fallait que ça mène quelque part. Je voulais un récit fantastique au milieu de la description de ces vies « banales », et que ce récit fantastique devienne lui aussi un quotidien banal au milieu des autres.

Les origines de "L’Américain"... (repris page 25) © Loïc Guyon 2016

Concernant la série qui est au cœur de l’histoire, il y a les films de superhéros et les séries américaines évidement, mais surtout les vieux cartoons qui m’influencent dans la narration comme dans l’esthétique.

Pour l’idée de base des débuts de chapitre en couleur, j’avais Sunny de Taiyō Matsumoto [7] comme référence mais aussi le travail de Ludovic Debeurme sur Trois Fils [8] ou les illustrations récentes d’Hugues Micol et j’aurais souhaité aller dans ces directions, mais je pense que je m’en suis finalement éloigné, par la force des choses.

Pour la diversité des techniques, l’imbrication des récits, il y a eu le classique Pinocchio de Winshluss [9] mais aussi, concernant les mises en page, la technique et même les récit multiples, Alma de Claire Braud [10].

Pour finir, il y eu la musique, toute celle que j’ai écoutée avant et pendant... J’écoute des choses très variées, mais j’avoue que je suis plongé dans une grosse phase rap et plus particulièrement rap français depuis un moment. Mélancolique et violent, entre egotrip et autoportraits sans filtres, il me semble évoluer comme un miroir, reflétant parfaitement la schizophrénie de ma génération et des nouvelles... Révoltées et conscientes, aspirant à détruire le monde dans lequel elles ont été forgées et dont elle jouent pourtant toujours le jeu du culte du pouvoir et de l’apparence. En tous cas, il y a quelques petites références disséminées ici ou là dans l’album...

"L’Américain" (pages 20-21) © Loïc Guyon / Sarbacane 2021

Après cette bande dessinée qui vous a demandé beaucoup de temps, avez-vous de nouveaux projets de fiction ou allez-vous vous orienter davantage vers le reportage, comme vous l’avez déjà fait pour Topo ou La Revue Dessinée ?

A priori, je ne souhaite pas spécialement faire de reportage autrement que pour des revues, avec un ou une journaliste, ou par moi-même si on me donnait l’occasion de m’approprier totalement un sujet. Concernant un livre, il faudrait vraiment que ce soit une proposition pour un sujet qui me tient à cœur et qui soit écrit d’une manière qui me parle.

Dessiner, c’est pour moi avant tout une manière de raconter des histoires et c’est ce que j’ai le plus envie de faire. J’en ai plein d’autres en tête et j’ai semé pas mal de petites choses dans L’Américain, des ambitions personnelles plus ou moins visibles, pour de futurs récits qui je l’espère adviendront un jour.

Donc, mes futurs projets, c’est de la fiction. Mais la fiction raconte toujours plus ou moins la réalité en filigrane et c’est ce qui m’intéresse. Consciemment ou non, on y distille toujours, selon moi bien sûr, une morale, une pensée, une direction philosophique et finalement même politique.

"L’Américain" (1ère version de la page 25) © Loïc Guyon
Affiche pour l’exposition "L’Américain" organisée à Angoulême par Marsam © Loïc Guyon 2021

FH

Propos recueillis par Frédéric Hojlo.

En médaillon : couverture de L’Américain, Loïc Guyon / Sarbacane, 2021.

Consulter le blog de l’auteur & écouter la playlist réalisée par l’auteur pour accompagner la lecture du livre.

- L’Américain - Par Loïc Guyon - Éditions Sarbacane - direction de publication par Frédéric Lavabre, assisté de Julia Robert & Marie Lavabre - maquette par Xavier Vaidis & Claudine Devey - 20,6 x 26 cm - 240 pages en noir & blanc et couleurs - couverture cartonnée - parution le 21 avril 2021 - 26 € - acheter cet ouvrage chez Cultura

- Exposition L’Américain organisée par Marsam
Du 6 juillet au 28 août 2021
Alpha médiathèque GrandAngoulême
Salle d’exposition - 2e étage
1 rue Coulomb 16000 Angoulême
Commissariat d’exposition par Karen Barbe

Lire également sur ActuaBD :
- L’Enragé du ciel - Par Joseph Safieddine & Loïc Guyon - Éditions Sarbacane
- Sarbacane passe sous la bannière de Flammarion

Voir en ligne : Consulter le site de Loïc Guyon.

[1Avec Joseph Safieddine au scénario, Éditions Sarbacane, 2015.

[2Société des Auteurs des arts visuels et de l’Image Fixe, organisme de gestion collective de droit d’auteur créé en 1999 (NDLR).

[3Comédie dramatique française sortie en 2012 avec Alain Chabat, Jonathan Lambert et Élodie Bouchez (NDLR).

[4Série télévisée américaine diffusée entre 2010 et 2015 écrite, produite et réalisée par le comédien de stand-up Louis C.K. (NDLR).

[5Actes Sud BD, 2009 (NDLR).

[6Trois tomes édités par L’Association dans la collection Ciboulette entre 2007 et 2012 (NDLR).

[7Seinen édité au Japon par Shōgakukan entre 2010 et 2015 puis en France par Kana entre 2014 et 2016 (NDLR).

[8Éditions Cornélius, collection Pierre, 2013 (NDLR).

[9Paru chez Les Requins Marteaux en 2008, Fauve d’or au Festival d’Angoulême 2009 (NDLR).

[10Édité par L’Association dans la collection Eperluette en 2014 (NDLR).

Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.


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