Animée par Jean-Paul Jennequin et réunissant notamment les Français Fabrice Neaud, Hélène Georges, Hugues Barthes et Pascal Hureau, l’Italien Massimiliano de Giovanni et l’Américain Tim Fish, cette table ronde avait pour thème « Les gays dans la BD ». Un sujet plutôt vaste, peut-être un peu trop, mais qui donna lieu à des échanges riches.
Jean-Paul Jennequin présenta d’abord en quelques mots l’association LGBT BD, dont il définit l’objectif simplement : faire que les gays soient aussi présents dans la bande dessinée que dans la réalité. Car le constat de la sous-représentation des personnages LGBT dans la BD franco-belge est largement partagé : sorti des habituelles références (Névé et Muchacho d’Emmanuel Lepage notamment), on cherche en vain un personnage de série mainstream gay.
Un débat tenta de s’engager entre Marco Lupoi, le directeur éditorial de Panini Comics, et Fabrice Neaud, l’auteur célébré du Journal (Ego comme X), le premier demandant : « - Y a-t-il des personnages gays dans les séries de BD franco-belge mainstream ? », le second retournant la question en « Y a-t-il des personnages hétérosexuels ? Comment se fait-il que l’on se pose la question dans un cas, et pas dans l’autre ? », partant dans un monologue sur le fait que, par défaut, en bande dessinée comme dans la société en général, toute personne qui ne définit pas explicitement son orientation sexuelle est considérée comme hétérosexuelle. Un discours certes fondé, assez caractéristique d’une posture de militant radical, mais qui invitait peu à l’échange… Pris dans un dialogue de sourds, Marco Lupoi quitta finalement la salle. Dommage.
Une bande dessinée asexuée ?
On rappela bien sûr qu’historiquement, la bande dessinée grand public reste marquée par son image de publication pour la jeunesse : beaucoup de personnages de BD sont avant tout asexués, ainsi Tintin sur lequel on n’en finit plus de gloser. Pourtant, rappelait Jean-Paul Jennequin, dans les années 1970, la bande dessinée, sortie de son carcan de publication pour enfants, avait vu une multitude de personnages féminins faire leur apparition, comme pour prouver que les héros étaient bien hétéros. Par ailleurs, dans la bande dessinée actuelle, y compris pour la jeunesse, les minorités ethniques sont de plus en plus visibles… Alors, pourquoi pas les gays ?
On peut poser la question de la nécessité d’une représentation des gays dans la bande dessinée. Hugues Barthe rappelait que 75 à 80% des suicides ou tentatives de suicide chez les adolescents (public visé par son album Dans la peau d’un jeune homo) sont dus à l’homophobie de leur entourage - que les adolescents en question soient homosexuels ou seulement considérés et rejetés comme tels. Pascal Hureau insistait également sur le besoin de pouvoir s’identifier à des héros positifs.
Quotas
Puis on se divisa sur la question des quotas. Fabrice Neaud, qui refusait plus tôt de dresser une liste des personnages de bande dessinée gays, faisait remarquer sur un ton un peu fataliste que les quotas, « aux États-Unis, ça fonctionne »… Tim Fish, interrogé sur l’influence de Prism Comics (modèle revendiqué de l’association LGBT BD) sur la production de comics aux États-Unis, estimait que le premier impact avait été auprès des éditeurs, qui avaient constaté la présence d’un public nombreux aux premiers débats organisés lors du Comic-Con de San Diego, ainsi que de créateurs comme Phil Jimenez, et avaient fait évoluer leur politique. Les personnages gays, qui faisaient figure de gimmick dans les années 1980, sont désormais intégrés à l’univers des comics et ne sont plus un sujet en soi, ce qui était l’objectif, soulignait Jean-Paul Jennequin en renvoyant au site Gay League : en listant les personnages gays dans les bandes dessinées américaines, il permet de constater que leur nombre s’est accru de façon notable. Selon Tim Fish, ce phénomène a contribué à changer la façon dont les lecteurs hétérosexuels voient les gays.
Dans le public, Lisa Mandel, qui participa, comme Hélène Georges et Hugues Barthe, au fanzine LGBT Hercule et la Toison d’Or, intervenait alors pour dire que peut-être, la proportion d’auteurs homosexuels était assez faible en bande dessinée franco-belge, car ceux qu’elle connaît glissent toujours quelque chose dans leurs albums. Elle préfère personnellement faire apparaître ce sujet en toile de fond plutôt que le mettre au centre de l’histoire, ce qui est une façon peut-être plus efficace de le banaliser, et insistait sur le fait qu’un éditeur à qui on propose un bon projet le prendra parce qu’il est bon, qu’il comporte des personnages gays ou non. Enfin, pour elle, les éditeurs de bande dessinée spécialisés dans les albums gays publient trop souvent de mauvais bouquins.
Une exposition annoncée
Jean-Paul Jennequin défendait alors l’utilité de ces éditeurs en prenant pour exemple le cas de Ralf König, (seule) star de la bande dessinée allemande, dont les albums aux personnages et sujets explicitement homosexuels sont mis en avant dans toutes les librairies de son pays (preuve qu’histoires gays et succès commercial ne sont pas antinomiques) : au début de sa carrière et avant d’être publié par l’éditeur généraliste Rowohlt, König a publié chez des éditeurs spécialisés, où il s’est forgé son style. Les éditeurs de niche ont ainsi leur utilité, estime Jennequin, même s’ils ne doivent pas servir d’alibi aux éditeurs généralistes…
Au final, un débat un peu brouillon, mais animé – l’équilibre à trouver entre action militante et « banalisation » est un sujet délicat au pays de l’égalité républicaine (fantasmée sinon réelle)... L’association LGBT BD aurait souhaité dès cette année avoir son stand à Angoulême, et espère que cela sera le cas l’an prochain, de même qu’elle organisera d’autres rencontres et débats en vue de faire bouger un petit monde de la BD franco-belge encore marqué par des décennies de machisme. Une exposition au Centre LGBT de Paris est d’ores et déjà annoncée à partir du 13 mars prochain, qui se clôturera par un débat le 9 avril.
Caméra et montage : Bernard Joubert
(par Arnaud Claes (L’Agence BD))
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En médaillon : le Schtroumpf coquet, seul personnage gay de la bande dessinée mainstream...?
Lire aussi sur ActuaBD : Homos en bulles, un article de 2005 de François Peneaud, cofondateur avec Jean-Paul Jennequin de l’association LGBT BD.
Visionner des extraits vidéo du débat sur le site de l’association.
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