C’est son quotidien de type au physique et au boulot ingrats, intellectuel frustré, collectionneur maniaque, dépressif et malheureux en amour, qu’il racontait dans ses histoires illustrées par les plus grands noms de la bande dessinée underground, à commencer par Robert Crumb, rencontré en 1962 à Cleveland alors qu’il était encore peu connu et dessinait des cartes postales.
Si American Splendor, qu’il auto-édite à partir de 1976, n’a pas fait sa fortune, il a fait de lui une célébrité. Dans le monde de la bande dessinée tout d’abord : il remporte en 1987 le American Book Award. A la télévision ensuite, puisqu’il intervient à la même époque régulièrement dans l’émission de David Letterman – jusqu’à ce qu’il se fasse virer pour avoir critiqué General Electric, propriétaire de la chaîne sur laquelle est diffusée l’émission, NBC. Au cinéma enfin : American Splendor, brillant long métrage de Shari Springer Berman et Robert Pulcini, qui mêle documentaire, fiction, images d’archives et extraits de bande dessinée, et dans lequel il apparaît dans son propre rôle – sa « version jeune » étant incarnée par Paul Giamatti, fut acclamé au Festival de Sundance.
Son travail était entièrement consacré à l’observation du quotidien du citoyen américain lambda qu’il considérait (ou prétendait considérer) être. Et il fut comparé par certains critiques à celui de Tchekhov ou de Dostoïevski – rien moins.
Les éditions çà et là ont entamé en 2009 l’édition d’une anthologie d’American Splendor, offrant enfin l’accès à cette œuvre mythique au public francophone.
Harvey Pekar avait épousé en troisième noce Joyce Brabner, une lectrice rencontrée en 1983. C’est elle qui l’a trouvé mort dans leur maison de Cleveland, vers 1h du matin, le 12 juillet. Il avait guéri d’un cancer lymphatique diagnostiqué en 1990, et raconté cette expérience avec sa femme dans le graphic novel Our Cancer Year. Harvey Pekar souffrait aussi de surtension artérielle, d’asthme et de dépression chronique, et depuis peu d’un cancer de la prostate. Terrible à lire en une phrase, mais tellement représentatif d’un personnage qui avait fait de ses souffrances physiques et morales la matière de ses – souvent hilarantes – histoires…
(par Arnaud Claes (L’Agence BD))
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