Les attentats en Belgique ont suscité, et c’est bien normal, des réactions dans le monde entier. Mais ce qui caractérise ceux-ci, par rapport à ceux de Paris en novembre 2015 ou celui d’Istanbul quelques jours avant ceux de Bruxelles et Zaventem, c’est que les grandes figures de la bande dessinée belge s’en mêlent que ce soient les figures de l’aventure, comme Tintin, le premier des héros cités, mais aussi de l’humour comme Lucky Luke, les Schtroumpfs, Le Chat, Gaston Lagaffe, Boule & Bill..., toutes des créations d’auteurs belges.
La symbolique n’est pas vaine : c’est l’innocence qui est touchée par ces actes barbares. Ces victimes ne sont ni des soldats, ni des militants anti-musulmans. elles sont comme vous et moi, de simples passants qui avaient tort d’être là au mauvais moment. Les héros de BD ne sont pas là seulement pour signaler une nationalité : les Belges, on le sait, sont une grande nation de bande dessinée ; ils signalent une atteinte à l’innocence, à notre part d’enfance, à notre insouciance. L’Irak, la Syrie, tout ça, c’est tellement loin, n’est-ce pas ?... Les attentats nous ramènent à une certaine réalité bien moins plaisante que nos bandes dessinées.
La première réaction que l’on peut voir dans ces dessins, c’est la sidération, l’incompréhension. Comment est-ce possible que cela arrive CHEZ NOUS. Et pourquoi ? Que veulent ces gens ? La réponse emplit tellement les flashes d’infos et les colonnes de journaux que nous ne savons plus trop quoi en penser. Faut-il faire VRAIMENT la guerre, l’appel à la croisade que les Daechiens appellent de leurs vœux ? La génération qui ne l’a pas connue, la guerre, celle de ceux qui n’ont pas même fait un service militaire reste interdite. La guerre, c’est impensable car impensé. On ne la connaît qu’au travers des bandes dessinées et des jeux vidéo. Et d’ailleurs, c’est inimaginable : comment de jeunes gens peuvent-ils être à ce point fanatisés pour préférer le meurtre au dialogue ? Dans un dessin de Nicolas Tabary, Astérix tend sa gourde à Tintin. Ce n’est plus ici une potion magique, c’est juste un remontant. Aveu d’impuissance.
Métaphores et symboles
Pour concevoir l’inconcevable, le symbole et la métaphore sont d’utiles recours. Le drapeau belge qui bariole Astérix, symbole d’une certaine résistance. Dany se contentant d’un drapeau ensanglanté qui rappelle que, dans les couleurs nationales, le rouge est là, associé au noir du deuil, pour honorer le sang versé pour la patrie. Mais d’autres symboles sont convoqués : le Manneken-Pis qui éteint la mèche de la bombe, comme dans la légende controuvée que l’on trouve sur les cartes postales, figure dans les dessins de Dgégé ou de Michel Kichka. L’Atomium de l’Exposition 58, signe de la modernité chez Kroll. On n’oublie pas les frites, montées en doigt d’honneur, la bière que se partagent Milou et Le Chat chez Catel... et puis les héros de BD.
La symbolique devient alors métaphorique, le dessin offrant toute sa puissance polysémique pour exprimer l’émotion. La métaphore sert à mettre de la distance entre la réalité et sa représentation mentale, souvent trop insupportable. Elle évacue l’émotion, rétablit la pensée, l’articule, la synthètise.
La tristesse est le premier sentiment qui affleure, aussi bien dans le Tintin du dessinateur américain Francesco Francavilla dont la référence se fait davantage au film qu’à la bande dessinée, que chez le graphiste Didier Girardin où la mèche du reporter à la houppe est devenu drapeau national.
Le Serbe Gradimir Smudja convoque une autre figure symbolique de l’art belge, le peintre surréaliste René Magritte pour exprimer cette tristesse. La graphiste Julie Hoyas, comme Philippe Geluck ou Nob invitent à l’amour et à la compassion, tandis que les Canadiens Delaf & Dubuc marquent le poids de l’absence des proches.
Le ton se fait parfois ironique, comme chez Vidberg pour qui les blagues belges n’auront sans doute plus la même saveur. Dupont et Dupond sont, chez Chaunu, recrutés par la police belge ce qui, vu son impuissance à empêcher les attentats, ne manque pas d’à-propos. Il se fait grinçant chez Kim Jung Gi qui affûte ses crayons-kalachnikovs, vengeur chez le dessinateur australien Anton Emdin, bravache chez l’Élève Docubu de Godi....
Enfin, chez Chris Lamquet, désespéré de devoir encore produire un dessin mortifère à chaque attentat comme le dessinateur israélien Uri Fink qui recouvre d’un "Je suis monde" tous les "Je suis..." qui ont émaillé l’actualité depuis une quinzaine de mois, il y a comme une sorte d’impuissance, de dépit face à la marche du monde. Il va bien falloir faire avec. Heureusement, nous aurons toujours la bande dessinée pour nous faire rêver.
(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))
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