À l’origine, il y a un auteur qui se cherche et qui trouve au Pays du Soleil Levant un grand pays de bande dessinée, source d’inspirations nouvelles. Alors que les Français viennent de découvrir les mangas depuis dix ans à peine, Frédéric Boilet sera de ceux qui en ont été les plus brillants ambassadeurs, nous faisant découvrir, par exemple, un auteur aussi fondamental que le contemplatif Jirô Taniguchi.
Installé dans la capitale japonaise (il y passera douze ans de sa vie), Boilet a la possibilité de créer pour le mensuel Furansango Kaïwa, une émanation d’un programme d’apprentissage du français de la chaîne publique NHK, une histoire contant la rencontre entre une jeune japonaise et un Français vivant à Tôkyô. Elle est produite en version bilingue et sert de support à l’apprentissage de la langue.
L’auteur, qui s’inspire pour ce faire d’une situation réelle, tombe amoureux de son modèle et la relation qu’il a avec Yukiko fait assez rapidement place à des rapports plus intimes.
Mais il n’est évidemment pas envisageable d’en publier les pages les plus « lestes » dans ce magazine « grand public ». Boilet trouve alors pour les héberger un support plus adapté : la revue Erotics. Il réunit ensuite ces travaux dans un volume publié par Ego comme X en France et par Otah Shuppan au Japon.
L’ouvrage paraît chez Ego comme X, l’éditeur du Journal de Fabrice Neaud, un label marquant du début des années 2000 dont le catalogue est essentiellement composé de romans autobiographiques, de journaux intimes et d’autofictions. Chez Boilet comme chez Neaud, le récit s’inspire de près du réel, la photographie servant de support « métaphorique » -au sens étymologique du terme- aux transports amoureux. Le critique Jan Baetens, sans doute par un excès de puritanisme, prétend que l’esthétique de Boilet n’est pas « voyeuriste ». Évidemment qu’elle l’est quand elle s’attache, à l’exemple du blason moyenâgeux, à saisir –comme la photographie s’y emploie depuis son invention- chaque détail de la montée du désir jusqu’au « sourire infini de l’abandon » dont parle si éloquemment Georges Bataille.
Ce qui fait la singularité de L’Épinard de Yukiko, c’est précisément de nous inviter à assister à ces jeux autant érotiques que formels puisque l’auteur multiplie les effets de caméra subjective, invitant le lecteur à prendre sa place, tandis que jeux de miroir, croquis préparatoires et autres prises de notes, nous introduisent dans l’intimité du processus créatif.
Art du plaisir et plaisir de l’art dans une même étreinte. Non, L’Épinard de Yukiko n’a pas usurpé sa réputation.
(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))
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