Basé sur le concept du championnat de bras de fer, cette confrontation avait pour envie de mettre en scène « l’espace d’une maison close peuplée de ses femmes faciles et de ses clients avec toutes les conséquences logiques ou illogiques que peut entraîner ce mélange des rôles, des sexes et des genres. » Pour y parvenir les deux arbitres de cette exposition se sont attelés à y réunir des auteurs hommes et femmes. Une participation féminine vue d’un œil noir par les demoiselles d’Artemisia, parmi lesquelles leur chef de file Chantal Montellier : « Ruppert et Mulot, les dessinateurs-macs d’occasion qui ouvrent la "maison close" en question ont recruté quelques dessinatrices consentantes qui y sont allées de leur prestation. Quelle audace mesdames ! Quel humour ! Quelle belle liberté en bas résille !!! »
En tout cas il n’en fallut pas moins pour lancer les membres d’Artemisia dans une nouvelle croisade. Chantal Montellier parle « d’humour assez immonde (comme la bête, qui semble se réveiller), et ce à tous les degrés ! » et considère « cette maison close plutôt obscène. » De son côté, Catherine Beaunez pense elle que « Nous voilà tous embarqués, dès le départ, dans les fantasmes de ces deux "organisateurs-voyeurs" qui ne s’impliquent eux-mêmes jamais dans le récit. »
Le débat lancé, qu’en pensent donc les femmes-auteurs qui ont accepté de participer et de donner leur caution à ce projet. Lisa Mandel regrette de n’avoir pu prendre le projet à contre-pied comme elle l’avait souhaité à l’origine, mais ajoute : « Ceci dit, ce n’est pas bien méchant, et promis, je ferai un bel album bien féministe pour me faire pardonner ! » Nadja, rappelle que certes les filles jouent le rôle peu valorisant de prostituées, mais celui des garçons en tant que proxénètes et clients n’est pas beaucoup plus valorisants. Boulet le confirme : « Le thème n’était pas seulement difficile pour les filles, il l’était aussi pour nous qui étions d’emblée placés dans la position du salopard, du consommateur, bref, du client. » Enfin, Hélène Bruller a laissé éclater sa propre indignation face aux réactions d’Artemisia : « On s’est pas débarrassées du joug des hommes pour tomber sous celui des féministes. Voilà ! »
« Un retour en arrière »
Malgré ces avis, Artemisia, dirigée par la déterminée Jeanne Puchol, n’en démord pas et considère bien que la démarche de Ruppert et Mulot ne fait que dévaloriser la création féminine. Une forme de retour en arrière, alors que depuis quelques années, elles essaient de casser l’image péjorative de la femme auteur d’histoire à l’eau de rose et au dessin souvent sommaire, et tentent au maximum d’aider une nouvelle génération plutôt prometteuse.
Il n’en reste pas moins que devant une telle fresque, rempli de second degré et qui moque en même temps son sujet et ceux qui y participent, la réaction des membres d’Artemisia semble, même pour certaines femmes, un peu exagérée. En tout cas, c’est bien ce qu’en pense Anne Bleuzen : « Pour moi c’est une vaste blague de potache d’un goût certes douteux, mais qui ne mérite pas tant d’excitation. » Un avis partagé par Lucie Durbiano : « Nous ne faisions qu’en rire (enfin moi je me suis bien marrée en tout cas). Hélas, il y aura toujours des esprits chagrins pour s’en offusquer et c’est normal aussi, ça touche à des choses plus graves, des sujets sur lesquels certaines personnes ne peuvent avoir de recul (la prostitution ce n’est pas drôle du tout)... À nous de voir si nous sommes assez libres pour pouvoir en rire... Et franchement je ne vois que de l’humour là-dedans (la maison close) et ça fait du bien, aussi ! »
On laissera peut-être le mot de la fin à Sylvie Fontaine, membre d’Artémisia, qui s’est amusée, elle, à y voir une métaphore « entre le statut de l’éditeur et celui du maquereau et, de la même manière, entre le statut de l’auteur et celui de la prostituée. »
On suppose que ce sera maintenant au tour des éditeurs de s’offusquer…
(par Olivier Wurlod)
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Photo (c) Didier Pasamonik
Source : le blog d’Artemisia
Accéder à la Maison Close sur le site du FIBD
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