Au pays d’Esterel - Par Gilles Rochier - Ed. Ouïe / Dire

En cette année 2020, Jessica va devoir se mobiliser beaucoup plus. Quelques temps auparavant, elle avait déjà eu l’idée de combler le fossé intergénérationnel en organisant une rencontre entre séniors et enfants de la commune autour d’un projet de dessin. Pour cela, Gilles Rochier, auteur de BD originaire du coin, avait accepté de participer au projet. L’expérience a été si intéressante qu’il a décidé de poursuivre cette immersion sur un temps plus long pendant lequel il devait partager le quotidien des personnes âgées, dans une sorte de complicité où les rituels s’enchainent, immuables gestes qui ponctuent la journée, la semaine, le mois de chacun des résidents.
Alors armé de son carnet de dessin et de ses crayons de couleurs, Gilles Rochier, observateur inégalé de la société et en particulier de ses marges (banlieues…), immortalise sur papier ces moments d’intimité partagés dans la salle commune, au réfectoire pendant les repas ou tout simplement dans les couloirs de l’institut. Il accompagne les professionnels qui rassurent, soignent, s’occupent et font bouger ceux qui vivent ici et dont on ne peut ou on ne veut plus s’occuper dans la société extérieure qui va bien trop vite pour eux. A l’Esterel, le temps est suspendu, on n’accélère rien, on ne brusque personne. Chacun organise sa journée et son espace comme il le souhaite, chacun est libre de participer ou non aux activités proposées. La musique berce les endormis qui siestent. On teste les mémoires pour repérer un éventuel « glissement » de l’un ou de l’autre. Parfois, on accompagne les plus autonomes au marché. Et puis…

Et puis, le 10 mars, la nouvelle tombe ! La résidence l’Esterel est confinée. Gilles Rochier ne peut plus s’y rendre. La lecture du livre devient subitement angoissante tant elle rappelle ces heures, ces jours terribles pendant lesquelles le monde fut enfermé. Reviennent en mémoire les sirènes des ambulances et le vrombissement des hélicoptères du SAMU qui brisaient le silence d’un monde figé par la pandémie. C’est le moment des appels téléphoniques et des visios pour prendre des nouvelles et s’accorder des moments virtuels en famille à distance. Gilles Rochier prend quotidiennement des nouvelles de Jessica. Celle-ci doit redoubler d’activité au sein de l’EHPAD. Il lui faut combler tous les manques et faire en sorte de permettre aux résidents de vivre l’isolement avec le moins de désagréments possibles. Il faut rassurer les familles et par-dessus tout éviter que certains d’entre eux ne se laissent mourir de solitude. Le sentiment d’abandon peut s’avérer plus mortifère que le virus.
Les jours et les semaines passent. Le déconfinement arrive enfin, le vaccin aussi. Gilles Rochier retourne sur place, la machine se remet en marche, le plus normalement possible, mais impossible de ne pas remarquer qu’ici une place est vide ou que la salle commune est dorénavant désertée pour éviter les contacts trop importants et prolongés entre résidents à la santé fragile. Les corps déjà affaiblis par l’âge sont rouillés par le manque d’activité physique. On organise alors des séances de gymnastique pour remettre du dynamisme dans les articulations rouillées et qui craquent. Tous s’y adonnent pour ne pas laisser la maladie et ses conséquences prendre le dessus.

Un ouvrage magnifique, à la hauteur de l’investissement du dessinateur qui rend hommage à toutes celles et ceux qui, à l’image de Jessica et de tous les autres, ont œuvré pour protéger au mieux les habitants de ce microcosme qu’est le pays d’Esterel.