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Bananas en "guerre critique" contre Soleil

Par Didier Pasamonik (L’Agence BD) le 27 avril 2006                      Lien  
À l'occasion sa nouvelle mue, la revue critique {Bananas} annonce défendre "une certaine idée de la bande dessinée" et part en "guerre critique" aux côtés de L'Association contre Soleil. Analyse d'un dérapage pas drôle.

Même si les saisons sont détraquées, ma bonne dame, le cycle de la vie continue. Chaque année, des revues de BD disparaissent (Bédéka, récemment Capsule Cosmique), d’autres entament leur mutation (BDMag devenu Suprême Dimension ; BullDozer redevenu dBD), d’autres renaissent, c’est le cas de le dire ici, avec une nouvelle peau.

Bananas, pour nous, c’est un vieux souvenir, une aventure que le jeune José-Louis Bocquet et le non moins jeune Luc Thébaut avaient lancée en 1981, une feuille noir et blanc dans un format quasi tabloïd qui a duré l’espace de trois numéros et où avaient été publiées les premières planches de Freddy Lombard, la première histoire de ce personnage qui devait poursuivre son destin dans la collection Atomium de Magic-Strip, alors naissante. On en trouve quelques reproductions sur le site de BDoubliées.com. Le projet avait tourné court, comme souvent quand il est mené par des jeunes gens pleins de foi, mais sans expérience. La revue avait ressurgi en 1995 (4 numéros) et on lui doit notamment la publication de planches inédites de Fabrice Neaud que l’on retrouve ici avec Xavier Mussat.

Cette nouvelle peau de Bananas (que ne ferait-on pas pour amener un jeu de mot comme celui-là) n’a quasiment rien à voir avec la mouture originale, un peu plus avec la seconde. Sauf la présence de José-Louis Bocquet, interviewé pour le coup. Luc Thébaut apparaît aussi toujours au générique comme directeur de publication. Est-ce le même ? Evariste Blanchet est à nouveau aux commandes et Pierre-Marie Jamet (vous savez : PMJ éditeur) en est le copilote sous la forme d’un supplément distinct Bananas Comix, qui se la joue Trombone-Illustré-dans-la-cave, ce en quoi, nous allons le voir, il a bien raison. [1]

"L’Association contre Soleil"

Le numéro est un peu fourre-tout, avec certains aspects bien plaisants. Il s’ouvre sur un texte d’Evariste Blanchet qui, immédiatement, nous indispose. Avec sa note en bas de page au bout du septième mot qui renvoie à une nomenclature de la revue Critix, une revue épuisée, le papier de Blanchet tente de catégoriser une fois de plus le « journaliste spécialisé de bandes dessinées ». Il lui apporte une définition contestable dans laquelle cet auteur se reconnaît peut-être mais qui recouvre, il nous semble, plus de fantasmes que de réalité. On notera par exemple la confusion entretenue entre les termes de « journaliste », de « critique », voire d’ « historien », auxquels Blanchet essaie d’adjoindre celui, dénigrant à le lire, d’« archiviste ».

M. Blanchet aimerait tellement donner des leçons, tel un clone d’Harry Morgan dont il reproduit les grimaces les plus caricaturales. Passons sur le mot « antagoniques » au lieu d’« antagonistes » qui dénote quand même un manque de rigueur, nécessaire pourtant quand on est à ce niveau de prétention. En revanche, on ne peut qu’être interloqué par un « spécialiste », qui se pose en « historien » de la BD et qui cherche, comme une fameuse clique que nous brocardons régulièrement, à « défendre une certaine idée de la bande dessinée » en considérant que la BD aujourd’hui se confine à, je le cite, « ...disons pour simplifier L’Association contre Soleil. » [2]

Cette simplification justement, c’est une infection, une maladie de l’esprit. Alors que jamais la BD n’a été si ouverte, si riche, si formidablement remise en question ; alors que les éditeurs sont en crise, mouillent leur chemise pour répondre aux nouvelles donnes de la BD contemporaine ; alors que le métier de la bande dessinée n’a jamais été aussi tiraillé entre des enjeux contradictoires, qu’ils soient artistiques, économiques, sociaux ou technologiques, que jamais la production n’a été aussi abondante ni diversifiée, M. Blanchet continue à essayer de nous faire accroire qu’il y a « une guerre critique à mener » qui se limite à la défense et à l’illustration de l’Association, alors que cette entité se trouve de plus en plus confisquée au profit d’un petit groupe et qu’on ne voit pas très bien où réside actuellement sa créativité quand elle consiste à traduire des œuvres d’auteurs étrangers, démarche d’une extrême banalité, ou à republier des classiques inventés par d’autres éditeurs.

M. Blanchet, dans son éditorial, considère que l’on a tort de valoriser toutes les bandes dessinées. Son combat, dit-il, est pour la valorisation des auteurs "plus sélective mais pas nécessairement sectaire" (pas nécessairement !). C’est son droit le plus strict. Mais on aurait préféré que la critique se fasse plus élégante notamment lorsque qu’il s’attaque à une honorable revue comme Hop ! qui, depuis 1973, recense avec opiniâtreté les faits et gestes de la bande dessinée, non sans consacrer de nombreux et sérieux dossiers à des auteurs qui, sans elle, seraient bien oubliés. « Je ne trahirai pas de secret, écrit de façon pincée M. Blanchet, en indiquant que les goûts d’un Louis Cance (Hop !) sont plus en phase avec la bande dessinée populaire des années 50 et 60 que par (sic) les productions du Frémok ». Il ne trahit pas de secret, certes, juste un peu de mépris pour un fanzine de BD de la première heure, qui s’est toujours revendiqué comme tel, et qui a l’incroyable mérite d’allier la probité avec la longévité. Le corpus historique accumulé par Hop ! n’a d’équivalent que celui du Collectionneur de bandes dessinées, certes plus fréquenté par les universitaires, mais qui n’aurait jamais eu la prétention, quant à lui, de savonner la planche de l’un de ses plus respectables confrères.

Éprouvante éprouvette

Et puis, entre le travail de l’historien et celui du critique, il faut choisir, ou à tout le moins, distinguer correctement. L’histoire de la BD, version Blanchet, c’est un plaidoyer bêlant et mal documenté pour l’éditeur Jean-Christophe Menu, comme il l’avait fait dans un récent numéro d’Art Press publié en janvier dernier, un article critiqué jusque dans L’Éprouvette par un Yvan Alagbé qui s’adresse directement à Blanchet : « Évariste, lui dit l’animateur des éditions Frémok, ton histoire, elle est un peu fabuleuse.... » en ce sens qu’elle est tronquée, oublieuse. L’éditeur ne manque pas de souligner la cécité du chroniqueur devant les nombreux acteurs qui ont permis à la BD, dès les années 80, de constituer le terreau qui a favorisé l’émergence d’un éditeur comme celui-ci qu’il idolâtre.

Enfin, toute cette prose pour conclure que l’ennemi de l’Association, c’est Soleil ! Fumisterie ! Soleil est un éditeur comme les autres, avec ses pratiques et sa manière. On aime ou on n’aime pas, mais il n’y a aucune raison de jeter l’opprobre sur un homme, Mourad Boudjellal, et encore moins, quand bien même on aurait une bonne raison de lui en vouloir, sur les nombreux auteurs qui travaillent pour ce label. Déjà, dans L’Éprouvette, on ne pouvait qu’être troublé par l’humour un peu mesquin d’un Riad Sattouf qui se moque des « fantasyens » (néologisme qui désigne les amateurs d’Héroïc fantasy). Personnellement, je ne fais pas partie de cette catégorie. J’ai toujours préféré Stevenson à Tolkien. Cela ne m’empêche pas d’être fasciné par un auteur comme Pierre Dubois et par les dessins d’Arthur Rackham. Là aussi, chez Blanchet, comme chez Sattouf, chez Menu, ou encore dans le perfide « journal » de Vandermeulen, on procède de la même méthode : généralisation, puis simplification, enfin dénigrement et stigmatisation.

Curieusement, le reste du numéro ne reflète pas cette étroitesse d’esprit. On peut y lire des entretiens intéressants avec Xavier Mussat (un des mousquetaires du label angoumoisin Ego Comme X qui vient de fêter ses 10 ans, et dont quelques planches sont reproduites), José-Louis Bocquet dont le parcours, éclectique en diable, épouse notamment les débuts de Métal Hurlant et toutes les sortes de bande dessinée, des planches de Fabrice Neaud et d’Amir Idrisovic, des chroniques enfin, pas toujours sottes, mais presque toutes signées du seul Evariste Blanchet, qui ne nous épargne pas un complaisant renvoi d’ascenseur à Jean-Christophe Menu (une chronique de la revue L’Éprouvette) dans lequel il s’étonne de la violence des réactions suscitées par la publication de Plates-Bandes, non sans mégoter quand il s’agit de prendre en considération les excès lexicaux du même et qui sont, si l’on doit croire Blanchet, l’exercice d’une critique parée de toutes les vertus.

Heureux fanzineux

Heureusement, la partie de PMJ est autrement plus jouissive (est-ce seulement parce qu’elle est publiée en couleur ?). Le graphisme reprend ses droits avec, dans l’orchestre, un choix de pages de Luciano Bottaro (Pépito) au trait enlevé et dynamique, pages à paraître chez Roland Jouve, des planches étonnantes d’Éric Nosal sur un texte de Torcelly, extraites d’un livre à paraître aux Requins Marteaux, et qui se situent graphiquement, comment dire ?, entre Pascal Rabaté et Peter van Straaten, la remise en couleurs de planches de Jean-Pierre Duffour parues naguère dans Labo, une revue de l’Association, une interview et des planches de Tebo, et enfin le toujours impeccable Ulf K découvert par l’éditeur allemand Édition 52.

Traité de « fanzineux » par Tardi, PMJ ne doit pas s’en offusquer. C’est un terme noble. Qu’est ActuaBD, sinon un « fanzine » qui dispense à ses lecteurs du plaisir grâce à un travail bénévole ? Charlie Chaplin, parlant de son métier à 80 ans passés, disait : « Nous sommes tous des amateurs ! ». Il n’avait pas oublié, en utisant ce substantif du verbe aimer, combien la passion du métier, que nous soyons auteur, éditeur, journaliste, critique, historien ou libraire, pouvait seule nous animer.

(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))

Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.

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[1Bananas N°1, nouvelle série, Printemps 2006.

[2La phrase entière est celle-ci : "S’il devait y avoir une guerre critique à mener, ce serait moins pour opposer présent et passé que pour défendre une certaine idée de la bande dessinée : disons pour simplifier L’Association contre Soleil" (page 5) Une "guerre critique" ? Non pas une juste cause ou un honnête combat : une guerre ! Pourquoi pas une croisade, tant qu’on y est ?

 
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3 Messages :
  • > Bananas en "guerre critique" contre Soleil
    5 mai 2006 17:23, par blanchet evariste

    Je ne m’attendais pas à un accueil chaleureux de ta part mais suis tout de même surpris par la manière dont tu te saisis d’un mot ou d’une expression pour pervertir le sens de mes propos.

    Asseoir mon manque de rigueur au prétexte que j’utilise « antagoniques » au lieu d’ « antagonistes » est un procédé bien grossier.
    Que penserais-tu si je postulais ton manque de rigueur en m’appuyant sur la parenté du terme « 9e art » que tu attribues (« probablement ») à Morris et Vankeer, alors que l’expression fut forgée par Claude Beylie (critique de cinéma et collaborateur du Collectionneur de bandes dessinées), comme l’a rappelé la revue de T. Groensteen dans le premier numéro de sa revue ?
    Nul n’est à l’abri d’une erreur. Est-ce toutefois un indice suffisant pour en tirer pareilles conclusions ? J’en doute.
    Si je puis te faire une suggestion (au risque de passer une fois encore pour un donneur de leçon prétentieux), assure-toi de la validité des prétextes que tu choisis. Dans ce cas précis, l’utilisation du mot « antagoniques » est correcte. Je te renvoie à la définition donnée par le Petit Robert : « Adjectif. Qui est en opposition. Exemple : intérêts antagoniques ».

    Puisque j’en suis aux erreurs, j’en mentionnerai quelques autres.
    Tu parles de la revue « Critix » comme épuisée, ce qui est démenti par un encart publicitaire publié en 3e de couverture de Bananas.
    Tu évoques une chronique sur la revue L’Eprouvette, alors qu’il s’agit de Plates-bandes.

    La revue faisant suite au livre, l’amalgame aurait du être sans effet. Cependant, puisque tu remets en avant les « excès lexicaux » de JC Menu, il se trouve que sur ce point je serai plus nuancé. Autant le principe polémiste me semblait (et me semble toujours) défendable, autant la republication complaisante des insultes à l’encontre de Gilles Ratier - absentes du livre - m’a dérangé. Mais pour en rester à JC Menu, une lecture honnête de sa revue t’obligerait à admettre qu’il est par ailleurs capable de tenir des discours très argumentés y compris sur un sujet casse-gueule comme les dédicaces. Plus généralement, on trouve dans L’Eprouvette une matière très riche à réflexion et à débat. Un minimum de bon sens permet de distinguer articles d’humeur et dérapages inexcusables avec les articles de fond.

    Je suis également étonné que tu écrives que le récit de Pépito publié dans Bananas va être repris dans l’album à paraître sous peu chez Roland Jouve. Si tel avait été le cas, je pense que l’éditeur aurait demandé nos fichiers numériques (l’épisode a été spécialement mis en couleur pour la revue par Pierre-Marie Jammet). Toutefois, je n’ai pas d’informations précises sur ce point et peut-être as-tu raison.

    Mais ma première surprise a été de découvrir le titre de ton article : « Bananas en guerre critique contre Soleil ».
    Quand j’écris sur la nécessité de défendre une certaine idée de la bande dessinée en ajoutant « disons pour simplifier l’Association contre Soleil », je pense que le sens de l’expression « pour simplifier » est très claire. Il faut une ahurissante mauvaise foi pour en tirer la conclusion que ma « guerre critique » se résume à défendre l’Association, à jeter l’opprobre sur la personne de l’autre éditeur et à nier la diversité de la production.
    Je choisis deux éditeurs qui symbolisent deux conceptions opposées de la bande dessinée, point final.
    Il va falloir que tu m’expliques pourquoi l’intolérant que je suis a été le seul, depuis dix ans, à chroniquer un album Soleil dans les pages de la revue 9e Art. Et pourquoi l’idolâtre de l’Association que je suis n’a, en revanche, chroniqué aucun livre de cet éditeur dans Bananas alors que figure une critique (positive) d’un autre album Soleil.

    J’aurais mieux compris que l’on m’adressât le reproche inverse : pourquoi prétendre défendre une « politique d’auteurs » en ne présentant que des albums dit « industriels » ? (J’insiste sur les guillemets. C’est une nouvelle simplification de ma part : pas la peine de faire un paragraphe là-dessus). J’aurais répondu que la ligne éditoriale de Bananas s’inscrit sur la durée et doit être évaluée à partir d’un échantillonnage significatif, outre le fait que d’autres éléments sont à prendre en compte (choix des entretiens et des bandes dessinées). Ce faisant, je ne me sens nullement obligé de parler des uns et de faire silence sur les autres.

    Autre surprise : ma prétendue attaque de Hop ! Admettons que j’ai été insuffisamment clair dans l’article, le titre (« Du bon usage de l’archivisme ») aurait dû t’éclairer sur mes intentions. Quant au mépris que tu découvres dans mes propos, j’en reste pantois. Je crois inutile de répondre à des accusations fantaisistes. Sur le fond, j’aurai sans doute l’occasion de revenir sur le sujet dans le numéro 2 de Bananas à paraître cet automne.
    Je m’en tiendrai donc à quelques faits : j’ai publié dans 9e Art des entretiens avec Louis Cance et Claude Guillot, animateurs respectifs de Hop ! et du Collectionneur de bandes dessinées. Je pousse même la perversité à travailler épisodiquement pour Le Collectionneur de BD et ai réalisé un entretien pour le compte de Hop !
    Pour en finir sur ce point, voici comment le principal intéressé, Louis Cance, vient de rendre compte de Bananas dans son dernier numéro (consacré à Carlos Gimenez) : « Une entreprise sympathique qui tente de mettre en valeur un travail critique et non sectaire. ». Je doute qu’un homme qui se sente méprisé, fut-il d’une bienveillance exceptionnelle comme c’est d’ailleurs le cas, puisse écrire cela.

    Si j’ai pris le temps de te répondre, c’est que j’ai peur que le costume de l’intolérant et du prétentieux que tu m’as taillé sur mesure ne dissuade quelques amateurs de bandes dessinées de juger mes propos sur pièce. Il est déjà difficile de faire une revue critique, surtout quand on préfère mettre en avant des auteurs peu médiatiques (des entretiens avec Tardi, Sfar ou Larcenet auraient été plus vendeurs), sans qu’il faille, en plus, perdre du temps à répondre à des propos malveillants.
    S’il ne s’agit de ta part que d’une mauvaise humeur passagère, tant mieux. Chacun à ses humeurs, toi, moi ou Yvan Alagbé. Tout cela n’est pas très grave à condition d’être capable de faire la part des choses et de se recentrer sur les questions de fond.
    J’ai trouvé la plupart de tes remarques d’une solide mauvaise foi et même d’une grande sottise mais ça ne me gêne pas de reconnaître, dans le même temps, que tu as livré également des informations objectives sur le contenu de Bananas.
    Personne ne t’oblige à avoir de la sympathie pour Harry Morgan ou Jean-Christophe Menu. Tu as le droit de les détester. En revanche, si tu prétends faire de l’information, tu as l’obligation de tenir compte de leurs propos quand ils sont argumentés.
    Le fait que tu ne sois même plus capable d’apprécier la réédition des livres de Jean-Claude Forest par L’Association me fait craindre que tes sentiments de haine envers JC Menu aient fortement altéré tes facultés de jugement.

    Evariste Blanchet

    Répondre à ce message

    • Répondu par Didier Pasamonik le 5 mai 2006 à  19:24 :

      Cher Evariste,

      Je te concède bien volontiers les erreurs que j’ai pu faire et j’invite tous nos lecteurs à les relever car nous n’avons pas la prétention sur ActuaBD de détenir la science infuse. En outre, ta réponse étant publiée à la suite de l’article, les lecteurs en prendront acte.

      Cela dit, elles compensent bien les tiennes que je n’ai pas pris la peine de rencenser dans leur intégralité, comme par exemple lorsque dans la même chronique sur "Plates Bandes", page 66, tu attribues au Prix de la Critique de l’Association des Critiques de BD (l’ACBD) les lauréats de l’ALBD (Association des Libraires BD), déplorant l’absence dans les choix de l’ACBD d’un titre comme Jimmy Corrigan qui a précisément obtenu le Prix de la Critique en 2003...Bonjour, le contresens !

      Je mets cela sur le compte de l’irritation que m’a inspirée ton article, mais cela nos lecteurs l’auront compris. Oui, je suis énervé par la prétention d’une "certaine" critique qui défend une très gaullienne "certaine idée de la bande dessinée" faite d’autocitations et de renvois complaisants d’ascenceur, et mon billet d’humeur traduit parfaitement cette disposition. Cette expression se fait sans nuance, tout comme ta réponse qui ne concède pas même les approximations consenties (je veux parler du : « probablement »).

      Je prends note que tu admettes que la "republication complaisante des insultes à l’encontre de Gilles Ratier - absentes du livre" t’aient finalement dérangé et que les dérapages que tu admets ici comme "inexcusables" de la part de "l’esthète" (je te cite) Jean-Christophe Menu soient finalement inappropriés.

      J’invite les lecteurs à aller vérifier : Toutes les nuances que tu concèdes dans ton article sont là pour mieux souligner que l’exactitude des arguments avancés par les uns et les autres contre les propos de Menu "n’ébrèchent en rien la thèse combattue".

      Or, la thèse de Menu, je le répète sans nuance, se résume à "Menu le génie contre le monde entier". Il adore cette posture. Est-ce une attitude d’ "esthète" que ce dédain répété du "microcosme" ? De qui parle-t-il, au fond ? De centaines de personnes, éditeurs, auteurs, journalistes, consommateurs et marchands qui constituent le milieu de la bande dessinée, ce que l’on peut résumer par "les gens du métier".

      Ce sujet des dédicaces, précisément est un bon exemple. Toute cette section de L’Eprouvette se veut comme une insulte aux amateurs de BD qui doivent souvent au rituel des dédicaces la découverte de nouvelles bandes dessinées, aux libraires qui invitent souvent à leurs frais les auteurs pour faire connaître leur travail dans les provinces reculées. Ce rituel a toujours été librement consenti pas les auteurs. J’ai été longtemps éditeur. Jamais il n’a été imposé aux auteurs que j’ai rencontrés. Beaucoup d’entre eux (William Vance, Schuiten,...) les refusent le plus souvent. Si on ne veut pas faire de dédicaces, on n’en fait pas. Pourquoi dénigrer ceux qui la pratiquent ?

      Ni Menu, ni toi, n’avez le monopole de la nuance. Quand je lis le texte de Fabrice Neau dans L’éprouvette sur les dédicaces, j’en apprécie absolument toute la finesse et l’ironie. J’ai d’ailleurs écrit que tout n’était pas à jeter dans cet opuscule, contrairement à ce que tu prétends.

      Là, tu vas me prétendre que tu n’as pas écrit : « disons pour simplifier l’Association contre Soleil », tu vas essayer de faire croire au lecteur que l’objet de mon article n’était pas "la guerre critique". J’ai très bien compris le procédé de la simplification, au contraire. Il est facile d’accuser ses contradicteurs de mauvaise foi (j’en accepte l’occurence) quand on la pratique pareillement en expert.

      Je reviens sur tes autres arguments :

      " Il va falloir que tu m’expliques pourquoi l’intolérant que je suis a été le seul, depuis dix ans, à chroniquer un album Soleil dans les pages de la revue 9e Art."

      Un album en dix ans ! Je ne vois pas en quoi cet exploit réduit la portée de ta formule simpliste -qui n’est d’ailleurs qu’une reprise de l’impression que laisse Plates Bandes à ses lecteurs (il suffit de compter le nombre de pages qui lui sont consacrées) : "L’Association contre Soleil". Soleil comme exemple de la BD à détester, nies-tu l’avoir écrit ?

      "Et pourquoi l’idolâtre de l’Association que je suis n’a, en revanche, chroniqué aucun livre de cet éditeur dans Bananas alors que figure une critique (positive) d’un autre album Soleil."

      Ah, aucun livre de L’Association ? Et ta chronique de L’Eprouvette ? Donc, ta "guerre critique" va consister à mesurer les quotas de critiques positives et négatives, on n’est pas sortis de l’auberge. Je pense avoir constaté que la revue n’avait pas l’étroitesse d’esprit de ton article inaugural. J’apprécierais que tu en accepte le fait.

      "Autre surprise : ma prétendue attaque de Hop ! Admettons que j’ai été insuffisamment clair dans l’article"

      Tout est dit. Je prends bonne note de ton opinion vis-à-vis de Hop ! et de louis Cance pour qui j’ai la plus grande estime et qu’il est parfaitement réducteur de cantonner à un simple connaisseur de la BD des années 50 et 60, dans un contexte qui est celui de "la guerre critique" et d’une "certaine idée de la BD".

      "Il est déjà difficile de faire une revue critique, surtout quand on préfère mettre en avant des auteurs peu médiatiques (des entretiens avec Tardi, Sfar ou Larcenet auraient été plus vendeurs), sans qu’il faille, en plus, perdre du temps à répondre à des propos malveillants."

      Procédé non moins vulgaire que de répondre à la libre critique par un procès d’intention : Tu vas perdre des lecteurs à cause de nous, non mais on rêve ! Je pense que nous avons plutôt attiré l’attention de nos lecteurs sur ta revue.

      "S’il ne s’agit de ta part que d’une mauvaise humeur passagère, tant mieux."

      Je te rassure, c’est le cas.

      "Personne ne t’oblige à avoir de la sympathie pour Harry Morgan ou Jean-Christophe Menu. Tu as le droit de les détester."

      On peut avoir de la sympathie pour ces gars que je ne fréquente d’ailleurs pas et combattre leurs idées avec vigueur.

      ’"En revanche, si tu prétends faire de l’information, tu as l’obligation de tenir compte de leurs propos quand ils sont argumentés. Le fait que tu ne sois même plus capable d’apprécier la réédition des livres de Jean-Claude Forest par L’Association me fait craindre que tes sentiments de haine envers JC Menu aient fortement altéré tes facultés de jugement."

      Je n’accepte pas ce procès d’intention. D’abord parce que je tiens compte de leurs propos puisque je les combats quand ils me semblent relever d’une attitude de mépris ou de confiscation de l’histoire. Ce sont là mes pricipaux griefs et je les ai argumentés. Je te prie de faire preuve de la même honnêteté que celle que tu exiges des autres. J’ai la plus grande estime pour le travail de Forest que j’ai eu l’honneur de connaître. Pour l’avoir pratiquée, j’ai le droit cependant de considérer que la réédition ne constitue pas le travail le plus créatif pour un éditeur.

      Et puis, cette façon de vouloir expliquer à ses contradicteurs comment on fait de l’information objective, ça fait très ORTF version Alain Peyrefitte.

      Répondre à ce message

      • Répondu par Jean-no le 7 mai 2006 à  18:54 :

        Or, la thèse de Menu, je le répète sans nuance, se résume à "Menu le génie contre le monde entier". Il adore cette posture.

        Ah non, le genre de Menu ce n’est pas « seul contre tous » mais « avec moi ou contre moi », « dans ma bande ou pas dans ma bande ». Son appel (un rien bushien) à choisir un camp est irritant à plusieurs titres. D’abord c’est lui, Menu, qui fait la règle du jeu et qui définit les camps, qui distribue les accréditations (attitude qui se heurte vite à la réalité et devient un rien ridicule quand on nous dit « Poisson Pilote, oui » et « Encrages, non », ou « Untel est bien chez Aire-Libre mais abominable chez Futuropolis »... et que le malheureux Craig Thompson devient un odieux copieur de Blutch alors qu’il est manifeste que les deux auteurs, Blutch et Thompson, ont comme dénominateur commun l’influence de Will Eisner.
        Mais l’attitude de Menu en commissaire politique de la BD, pamphlétaire, lanceur de manifestes (on pense à Signac ou Breton et leurs excommunications) est surtout embêtante parce qu’il a raison. Parce qu’il défend la création sans concessions, et que cette forme de création-là devra toujours être défendue. Alors certes il crache dans la soupe (mais qui croit réellement qu’un JC Menu peut faire du tort à XIII ?), il est souvent injuste (pourquoi tel micro-éditeur a-t-il l’heur de plaire à Menu et pas tel autre ? on ne sait pas toujours...), mais il a le mérite de forcer chacun à se poser des questions : quelle bande dessinée voulons-nous ? Existe-t-il un "milieu de la bande dessinée" ? Le fait que Menu pousse à se poser des questions n’implique pas qu’on doive ensuite le rejoindre sur son terrain (dans son camp ou contre son camp), car ce n’est pas ce qu’on peut appeler un choix justement.

        Bon enfin ce que j’en dis... je n’ai rien à vendre et je ne recevrai jamais de lettres d’insulte des uns ou des autres :-)

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