Avec son titre « Une vie en noir et blanc », on imagine assez bien les pages magnifiques de George Joseph Herriman (1880-1944) : ses horizons changeants et lunaires, ses beaux espaces cadencés, son trait étrange et ses surréalistes personnages : la chatte Krazy amoureuse du souriceau Ignatz qui répond à ses attentes à coup de briques sous l’œil sévère du débonnaire représentant de l’ordre, le Sergent Pupp. Quel génie du noir et blanc, en effet…
Sauf que ce n’est pas de cela qu’il s’agit. Il y a ce document découvert fortuitement en 1971, son acte de naissance sur lequel figure la mention manuscrite « col. » pour « colored » (de couleur). Oui, d’origine créole, George Herriman a des ancêtres noirs. Cette seule mention aurait pu compromettre sa carrière, lui barrer la route des grands quotidiens américains, et lui interdire l’acquisition de sa grande maison à Hollywood qu’il aimait tant et dont l’acte d’achat précise que la propriété est interdite aux gens "de couleur"...
Dès lors, son biographe Michael Tisserand n’a eu de cesse de rechercher minutieusement les minutes de la vie de celui placé par le Comics Journal à la première place (sur 100) des plus grands artistes américains de bande dessinée du XXe siècle.
Mise en perspective avec sa création, cette révélation éclaire bien des aspects de son œuvre restés dans l’ombre et notamment la question raciale symbolisée par les impossibilités de compréhension entre cette chatte, ce souriceau et ce chien, chacun restant dans un domaine de réflexes dus à leur condition initiale. La discrétion légendaire d’Herriman trouvant là une explication inédite. Cette langue -que d’aucuns auraient pu prendre pour du Yiddish cockney- s’explique aussi par la créolité de ses origines.
Ce n’est pas le moindre des apports de ce livre érudit qui nous en apprend beaucoup sur la naissance de l’industrie américaine de la bande dessinée, Herriman faisant des aller-retour entre New York où la presse moderne et surpuissante s’apprête à conquérir le monde sous la houlette de ses tycoons Hearst et Pulitzer, mais où les hivers sont rudes, et Los Angeles, où l’industrie balbutiante du cinéma est en train de prendre son envol, et où le climat plus doux est plus confortable pour un dessinateur qui souffre d’arthrose à peine passée la trentaine.
On soulignera la qualité de la traduction réalisée par Marc Voline, bon connaisseur de la bande dessinée, même si l’on découvre avec un haussement de sourcils, page 83, que la bande dessinée Blondie est attribuée à Mort Walker au lieu de Chick Young. Nous sommes curieux de savoir si la coquille en dans l’édition originale ou dans sa version française. Marc, si tu nous lis…
(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))
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