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Crepax et sa Bible du sadomasochisme

Par Charles-Louis Detournay le 29 avril 2024                      Lien  
Delcourt et sa collection Erotix continuent de mettre à l'honneur le panthéon de la bande dessinée érotique. Ce troisième volume est consacré à l'incontournable Crepax, où l'on retrouve la totalité d'Histoire d'O couplée avec La Vénus à la fourrure. Deux œuvres fondamentales, tant dans le domaine de l'érotisme que celui de l'évolution graphique. Certainement LE livre à conseiller à tous ceux qui n'auraient pas encore sombré dans l'esthétisant travail du maître italien.

Nous vous parlons régulièrement de Guido Crepax ; il faut dire que 20 ans après sa disparition, l’empreinte qu’il a laissée dans la bande dessinée ne disparaît pas. Au contraire, avec le temps, son travail continue à gagner en force et en pertinence, et il est donc naturel qu’on y revienne.

Outre son œuvre phare, Valentina, le maître italien est surtout réputé pour son adaptation de récits, notamment érotiques. Parmi ceux-là, on retrouve principalement Emmanuelle et Histoire d’O. Cette dernière n’est pas l’unique adaptation SM de Crepax (relisez par exemple Justine adapté de Sade), bien qu’Histoire d’O ait profondément marqué la carrière de l’auteur. On en retrouve ainsi des traces ça et là, comme dans Docteur Jekyll et Mister Hyde,Histoire d’une Histoire, plus légèrement, dans Dracula, etc.

Crepax et sa Bible du sadomasochisme
Guido Crepax devant la grande armoire hollandaise qui a contenu pendant des années toutes ses oeuvres (Milan, 1975).
Photo : DR.

Comme nous l’avons expliqué dans nos articles précédents, le présent ouvrage s’inscrit dans la volonté de Vincent Bernière, éditeur de la collection Erotix, de revenir à des titres fondamentaux, au sein de volumes de 250 à 300 pages. Tirant profit de la visibilité de certains chefs-d’œuvre de la bande dessinée érotique, l’éditeur en profite pour rajouter des récits moins connus ou inédits en français, le tout se terminant par une série d’illustrations en lien avec les titres présentés.

Après Baldazzini et Magnus, c’est donc Crepax qui est légitimement mis à l’honneur. Le récit le plus connu reste bien entendu l’adaptation du sulfureux roman de Pauline Réage alias Dominique Aury. L’ouvrage reprend les deux volumes de la série. La « suite » intitulée Retour à Roissy n’était qu’un chapitre complémentaire initialement retiré de l’ouvrage original. Ce second tome en bande dessinée restait pourtant le plus compliquée à trouver, aussi nous réjouissions-nous en 2010, lorsque Delcourt réédita déjà les deux tomes dans un seul volume. Quant à cette nouvelle parution de 2014, elle reprend la page finale déjà précédemment ajoutée à l’édition de 2010, qui permettrait de terminer le récit de manière un peu moins abrupte.

Histoire d’O - Première partie

Histoire d’O n’est bien entendu pas à mettre entre toutes les mains, car le récit évoque une jeune femme qui se livre pieds et poings liés à son amant, entraînée comme esclave au sein d’un château où l’on dresse les femmes. Que l’on soit adepte ou pas de ces pratiques, le découpage novateur et la finesse du trait de l’auteur font de cet album un incontournable du genre.

Comme dans la réédition de 2010, cette nouvelle maquette propose toujours un découpage différent en chapitres, ce qui donne un meilleur rythme à l’ensemble, même si certaines scènes sont étrangement coupées. Mis-à-part une grande illustration hors-récit qui a été retirée, le lecteur profitera d’une bonne demi-douzaine de planches supplémentaires, absentes de l’œuvre originale, mais réintégrées ici au bénéfice du récit.

La préface signée par Christian Marmonnier revient en détail sur la création et la publication du roman Histoire d’O et la polémique qui suivit. La partie concernant Crepax n’est pas majoritaire, mais éclairante, surtout lorsque le journaliste précise que Crepax a adapté le roman à reculons, en refusant l’offre de son éditeur dans un premier temps avant de finir par accepter en estimant que cela pouvait être une « expérience intéressante ».

Histoire d’O - Première partie

Une expérience plus qu’intéressante, car cette entrée réelle dans le monde de l’érotisme, fut suivie d’autres adaptations plus ou moins sulfureuses (les deux Emmanuelle, Justine, La Vénus à la fourrure, etc.). Elle suit le premier tome d’Anita où Crepax dessinait déjà une femme sous toutes les coutures en continuant à innover dans la mise en scène et le découpage de ses pages.

Bien sûr, le récit d’Histoire d’O entraîne le lecteur vers des univers insoupçonnés de domination, de bondage, d’abandon de volonté pour se ressourcer dans les yeux de l’autre, sans oublier le plaisir dans la douleur, à recevoir ou à infliger. On reste hypnotisé par le découpage de Crepax : il multiplie les cases, les place en diagonale ou parfois de manière si éparse que les lignes de lecture se multiplient, comme si nos sens étaient chamboulés. À ce titre, Histoire d’O est un véritable monument de la bande dessinée, et pas seulement érotique !

Histoire d’O - Seconde partie

Au lieu de courts récits qui restent encore inédits en français, l’éditeur a choisi de compléter le diptyque d’Histoire d’O par La Vénus à la fourrure, adapté du roman éponyme de Leopold von Sacher-Masoch et réalisé par Crepax dix ans après Histoire d’O. Ce récit avait déjà été réédité par Delcourt-Erotix en 2013, sauf que cette fois, l’éditeur a choisi de retirer la première phrase du livre, ce qui donne une approche plus voyeuriste du début du récit : on suit ici les pérégrinations d’un couple qui a signé ensemble un contrat ; elle le malmène et le domine tandis que lui joue en permanence le rôle d’un serviteur qui se soumet à tout ce que demande sa maîtresse.

Si le découpage de La Vénus à la fourrure n’est pas aussi audacieux qu’Histoire d’O, le récit dispose de qualités esthétiques indéniables : de magnifiques pleines pages, un trait d’une grande finesse, une recherche dans les lignes, un plus grand équilibre et une réflexion vers une forme d’épure. De plus, la thématique de cet homme qui se soumet volontairement contrebalance parfaitement le récit d’O. La boucle est pour ainsi dire bouclée.

L’une des pleines pages de "La Vénus à la fourrure"

Rajoutons qu’un petit cahier complémentaire rassemble une série très intéressante d’illustrations réalisées en marge de ces deux récits, notamment les huit dessins du portfolio Histoire d’O édité par Futuropolis en 1983. Il complète ainsi cet imposant pavé de 350 pages, presque une bible rendant hommage à l’inventivité graphique et narrative de Crepax, en ode au sadomasochisme qui l’a longtemps inspiré.

Première page du cahier graphique

(par Charles-Louis Detournay)

Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.

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Code EAN : 9782413044901

Bande dessinée érotique réservée à un public majeur et averti.

Dans la même collection :
- Chiara Rosenberg et autres gourmandises - Par Baldazzini, Pes & Canossa - Ed. Delcourt Erotix
- Magnus le Grand

Sur le même sujet :
- Histoire d’O dans Glénat et Delcourt, les duellistes de l’érotisme chic
- La Vénus à la fourrure - Par Guido Crepax, d’après Sacher-Masoch (traduction Luca Staletti) - Delcourt

Tous les visuels sont : © Éditions Delcourt, 2024 — Guido Crepax

✏️ Guido Crepax adulte érotique Italie
 
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