Profondément Breton, Michel Plessix avait eu à cœur de faire connaître sa région dans ses premiers travaux. Rapidement, il fit la connaissance du scénariste Dieter [avec qui il réalise La Déesse aux yeux de Jade en 1988 (Milan).
Déjà, le graphisme rond de Plessix séduit, ainsi que les thématiques abordées avec Dieter. Même si avec le recul et les concessions cédées à Milan, ni l’un ni l’autre ne sont fiers de cet album.
Bien entendu, c’est surtout avec leur série Julien Boisvert (Delcourt) que ce tandem s’est rapidement fait connaître du grand public, avec la sortie du premier tome dès 1989 ! Notre confrère Thierry Lemaire a parlé avec passion d’« une série qui a marqué le tournant des années 1990 » :
« Les aventures de ce jeune fonctionnaire célibataire, a priori bien loin d’être un baroudeur mais porté par les circonstances à parcourir le monde, sont en effet représentatives d’une bande dessinée qui veut donner corps à ses personnages. Julien Boisvert vieillit, évolue psychologiquement, est marqué par ses expériences, s’accommode de ses failles. Julien Boisvert est vivant, tout simplement. »
« De l’Afrique sahélienne, des îles anglo-normandes, du Mexique et des États-Unis, Julien rapporte quelques déceptions sentimentales, une certaine idée de la spiritualité, mais aussi le ferment d’une maturité qui le pousse à partir à la recherche de son père dans le dernier album. Les intrigues, qui prennent place dans les années 1960, ne sont pas exemptes d’un fort arrière-plan politique. Le déplacement des Peuls, l’IRA, le climat social mexicain et l’extrême droite américaine sont évoqués et donnent un peu plus d’épaisseur à l’ensemble. Mais ce que le lecteur retient surtout, c’est l’épatante sensibilité de la série. De l’humour et de l’émotion à chaque page, et un chien, Inoubliable. »
Et dans la foulée, Michel Plessix étonnait à nouveau, en décidant d’adapter seul le roman de Kenneth Grahame, Le Vent dans les Saules, publié en 1908. Comme nous l’expliquait précédemment Nicolas Anspach :
« Ce livre est un classique de la littérature pour enfant en Angleterre. L’auteur nous plongeait dans un monde chaleureux, bucolique, poétique et contemplatif, au cœur de la campagne où l’on suivait le parcours de Taupe, Rat, Blaireau et Crapaud, quatre personnages attachants, bien qu’ayant pour certains une personnalité bien affirmée. Michel Plessix abordait dans ce récit les joies simples de la vie à la campagne et s’attardait sur le temps présent. Le succès éditorial de cette adaptation fut rapide. Le graphisme soigné de l’auteur et une narration dense, littéraire, non dénuée d’humour, faisaient mouche ! Enfants et adultes étaient conquis par le « Bois sauvage », le monde où vivent les quatre personnages du Vent dans les Saules. »
« L’auteur s’était approprié les personnages et désirait continuer à les animer après les quatre volumes qui épuisaient l’œuvre originale. Il décida de les envoyer au Maroc. Michel Plessix avait l’habitude de s’y rendre pour travailler sur le découpage de l’adaptation du roman. Il dessina, un jour, Crapaud juché sur un dromadaire en plein désert, se protégeant du soleil avec une ombrelle. Cette image était tellement incongrue par rapport à l’univers du « Bois Sauvage » qu’il décida d’écrire une histoire autour de ces ambiances. Dans l’adaptation du Vent dans les Saules, Michel Plessix avait mis de côté un chapitre du roman qui n’apportait pas grand-chose au récit. Kenneth Grahame racontait la rencontre de Rat et d’un Rat-Marin. Il se servit de cette idée de base pour la mélanger avec les siennes. »
« Avec cette adaptation du roman de Kenneth Grahame, et de la suite qu’il a totalement inventée, Michel Plessix a bâti une œuvre fine, subtile, poétique et savoureuse dans laquelle il est agréable de se plonger et de se perdre. »
"La bande dessinée est un art de la relecture", se plaisait à nous répéter Michel Plessix. Voici ce qu’il nous répondait lorsqu’on évoquait une exagération dans ses détails et ses décors :
« [J’ai toujours travaillé ainsi !] Même dans les planches que je réalisais avant de devenir professionnel. Lorsque j’étais enfant, j’étais fasciné par les dessins d’Albert Dubout. Il accordait une grande importance, dans ses dessins, aux foules et à la multitude. Je me souviens avoir été subjugué par des dessins d’Erik dans le journal Record. Il illustrait un récit qui se déroulait durant la préhistoire. Je me souviens de plusieurs grandes cases où il dessinait un village. Il détaillait ces cases à l’extrême en montrant des scènes de vie et les habitudes des personnages. J’ai toujours adoré me promener dans un dessin, que cela soit comme lecteur… ou comme auteur ! Il en va de même pour le cinéma. Je suis un amoureux de Jacques Tati, qui faisait un cinéma de détail. »
« Je réalise les bandes dessinées que j’aimerais lire ! , continuait-il. Après, si elles intéressent les lecteurs, tant mieux ! Mais je dois vous avouer que je ne pense pas à mon public lorsque j’invente une histoire. Je songe aux lecteurs seulement lorsque je découpe une page. Je veille à ce que la lecture de l’histoire reste fluide. L’œil du lecteur doit passer aisément d’une case à une autre. »
« La bande dessinée est un art de la relecture poursuivait-il. Beaucoup de bandes dessinées se relisent deux ou trois fois, voire plus ! C’est pour cela que je travaille les détails dans mon écriture et dans mon dessin. Cela permet aux gens, lors d’une seconde lecture, d’avoir un plaisir nouveau en découvrant des choses. Quand j’étais enfant, j’ai dû lire les albums d’"Astérix" et de "Bernard Prince" une bonne vingtaine de fois ! Dans "Astérix", je découvrais sans cesse de nouveaux aspects, des éléments que je n’avais pas compris quelques mois auparavant. Il y a dans ces albums un plaisir différent selon les âges du lecteur ! »
Puis, outre ses nombreuses participations à différents collectifs (La Fontaine aux Fables, etc.), n’oublions pas que Michel Plessix œuvrait également comme scénariste, un métier qui avait lancé sa carrière d’auteur ; deux albums de La Famille Passiflore, ainsi que la série des Forell avec Bruno Bazile au dessin (Dargaud). Enfin, citons encore le dernier album paru, Là où vont les fourmis, scénarisé par Frank Le Gall (Casterman).
Plessix était l’un de ces géants invisibles de la bande dessinée. Absent des médias traditionnels, sa contribution a pourtant profondément marque le neuvième art, qui le regrette déjà.
(par Charles-Louis Detournay)
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A propos de Michel Plessix, lire également quelques-uns des articles qu’ActuaBD lui avait consacrés :
Le souffle bucolique de Michel Plessix
Le Vent dans les sables termine son voyage
la chronique sur la série Du Vent dans les sables (Delcourt)
la chronique de l’Intégrale Julien Boisvert
la chronique de Là où vont les fourmis - Par Plessix & Le Gall – Casterman
Ainsi que les interviews qu’il nous avait accordées :
À Nicolas Anspach en février 2011 : "La bande dessinée est un art de la relecture"
la première partie de l’interview accordée en juillet 2013 à Thierry Lemaire : "On avait envie de parler du vivant et de le rendre le plus crédible possible."
la seconde partie de l’interview accordée en juillet 2013 à Thierry Lemaire : "Un conte traditionnel s’adresse à chaque âge en même temps."
Photo de Michel Plessix : © Nicolas Anspach
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