Né pour ainsi dire sur les fonds baptismaux de la bande dessinée d’après-guerre, Paul Gillon est de toutes les aventures de la BD moderne en France : du Journal de Mickey à Vaillant, de France Soir à Métal Hurlant, ce Grand Prix d’Angoulême 1982 traversa son siècle avec une incroyable longévité sans que jamais il ne se trouve déclassé.
Parisien de souche et de naissance, Paul Gillon est né le 11 mai 1926 dans une famille modeste : un grand-père employé de l’octroi et une grand-mère blanchisseuse, une mère sténo-dactylo, vivant seule à Montreuil avec ses trois enfants, deux garçons et une fille. « Ma mère était héroïque, nous disait-il en évoquant cette femme courageuse : Elle avait sa propre mère à charge en plus ses enfants. Elle se privait de tout pour nourrir sa famille. »
Une enfance marquée par la maladie
Hospitalisé jusqu’à l’âge de 11 ans dans diverses cliniques et hôpitaux pour soigner une coxalgie (tuberculose de la hanche), Paul Gillon ne marche qu’à l’âge de douze ans. Sa lutte contre la maladie devient, au moment de l’adolescence, une révolte contre les structures qui l’entourent et d’une manière générale contre l’ordre établi. « J’étais un môme rebelle », nous disait-il. Un jour, alors qu’il est à l’hôpital de Berck plage (Nord), il inonde tout un étage en ouvrant les robinets des sanitaires. Il fugue ensuite pendant deux jours, dormant à même la plage. La direction de l’établissement conseilla à sa mère de venir le chercher au plus tôt, alors qu’il lui restait à passer encore sept mois de convalescence.
Quand il en sort, il sait à peine lire et écrire. Il entre en cinquième et s’avère excellent. Il faut dire qu’il a deux ou trois ans de plus que ses condisciples. En conséquence, le professeur lui fait sauter deux classes. Il obtient le certificat d’étude du premier coup. Si son plaisir à apprendre n’est pas feint et surpasse même celui de ses petits camarades de classe, il n’est définitivement pas formaté et se montre impertinent et indiscipliné : « J’étais une sale tête de révolté. Je niais toute autorité ». Il se fait virer de toutes les écoles qu’il fréquente. Quand sa mère lui demande ce qu’il veut faire, il répond « je veux dessiner ».
Pragmatique, elle comprend "apprentissage du dessin industriel", d’autant qu’une conseillère d’éducation avait dénié tout talent artistique au jeune garçon. Pourtant, il aimait toujours dessiner, en particulier les locomotives qui le fascinent : « C’est tellement beau, disait-il. Il s’en dégage une poésie, faite de puissance et de noirceur, phénoménale. »
Le voici inscrit à l’École Professionnelle de Dessin Industriel (EPDI) dont il est mis à la porte au bout de six mois, ayant traité le directeur de « vieux con ». Sa mère qui a de la suite dans les idées l’inscrit aux Arts & Métiers, en section de dessins industriels. Il est aussitôt viré.
Enfin, il aboutit à l’École des Arts Graphiques de Paris, dirigé par Cadiou, un peintre doté d’une certaine notoriété. « C’était un gars très sympathique. Si vous étiez allé au cinéma au lieu d’aller au cours, il commençait par vous engueuler et puis vous demandait si le film était bien » se rappelait le dessinateur. Mais après une mémorable bataille à coup de giclées de tubes de peinture, le turbulent élève est à nouveau mis à la porte ! « Je ne voulais pas d’un boulot où je dépendais d’une personne. Je voulais être libre, être libre ! »
Rencontre avec Charles Trenet
« L’autre ambition que j’avais, c’était de connaître des milieux que je ne pouvais pas fréquenter dans ma banlieue de Montreuil d’obédience communiste : le Music Hall, les chanteurs, les comédiens… J’achetais les petits formats de chansons. J’apprenais par cœur les chansons de Trenet, de Piaf, Ces chansons étaient illustrées par un dessinateur plutôt simpliste mais très habile qui s’appelait Guy-Gérard Noël. Je regardais les dessins de ce type et je me disais : C’est pas bien compliqué, j’en fais autant ! Je me suis présenté à une première maison d’édition, j’avais alors 14 ans et ils m’ont dit d’accord. »
Il entre chez Raoul Breton, l’éditeur de Charles Trenet, grâce à une proposition d’affiche qu’il réalise pendant l’Occupation. En avril 1943, il était allé l’attendre à la sortie de l’ABC. Là, il croise Roland Gerbeau, un jeune chanteur qui passait en vedette américaine de la star. Il l’introduit auprès de l’artiste. Gillon lui montre son affiche, Trenet la trouve pas mal du tout et lui propose de le rejoindre le lendemain chez Ledoyen aux Champs-Élysées. Arrivé au rendez-vous en passant par les cuisines (vu sa tenue, on l’aurait certainement refoulé à l’entrée), le jeune dessinateur apprend que le chanteur a tout simplement perdu son dessin dans un vélo-taxi ! Néanmoins, il lui présente le grand éditeur musical Raoul Breton.
Lancé dans le métier, il dessinera des centaines de livrets pour plusieurs éditeurs différents, dont Raoul Breton évidemment. Il devient de plus caricaturiste pour un certain nombre de journaux comme Samedi-Soir, Ce Soir et Gavroche. Doté d’une « carte verte » qui lui permettait de se rendre gratuitement dans tous les spectacles, il croquait les stars du music-hall, de la danse, du théâtre, voire du cinéma. Cela lui permet de rencontrer les comédiens avec lesquels il discutait quelques minutes sans prendre le moindre croquis, dessinant essentiellement de mémoire ! Il se lie d’amitié avec bon nombre d’entre eux et s’intègre à leur tribu. Il devient un familier de Raymond Pellegrin, de Daniel Gélin et Danièle Delorme, de Roger Vadim, Michel Auclair, Christian Marquant, etc. Il a 17 ans.
Des débuts dans Vaillant
La Libération a vu la multiplication de nouveaux magazines, mais ils disparaissent les uns après les autres. Menacé de chômage, Gillon écoute le conseil d’un copain qui lui dit : « Fais donc des bandes dessinées ! ».
Le jeune homme connaît les classiques qu’il a découverts à l’hôpital dans les grands illustrés d’avant-guerre : les mises en pages théâtrales de Flash Gordon par Alex Raymond, les noirs et blancs somptueux de Terry & les Pirates de Milton Caniff, le dessin impeccable de Prince Valiant par Hal Foster ou le trait de plume inventif de René Giffey.
Il achète les journaux présents en kiosque : Vaillant et Coq Hardi sont au dessus du lot. Chez Vaillant, on l’accueille gentiment et on lui suggère de revenir quand il aura pris un peu d’expérience. Chez Coq Hardi, l’enthousiaste Marijac lui propose de reprendre une des séries qu’il a créées. Malgré les impertinences du jeune homme qui n’hésite pas à critiquer ses dessins, le grand éditeur de l’après-Guerre lui propose d’entrée un prix à la planche confortable. Fort de cette promesse, Gillon s’en retourne chez Vaillant et, devant Roger Lécureux, René Moreu et Jean Ollivier, leur dit le prix que Coq Hardi est prêt à payer pour qu’il dessine pour eux. Ils surenchérissent aussitôt et lui proposent de reprendre Fifi, Gars du maquis dont il fait une cinquantaine de planches pour le journal L’Avant-Garde.
Il dessine ensuite Lynx blanc (1947-1950), une histoire de coureur de jungle conçue par Lécureux très inspirée de la bande dessinée d’Alex Raymond, Jungle Jim. Gillon arrive sans peine à rivaliser avec la maestria du dessinateur américain. En 1950, il abandonne momentanément cette série qui ne le passionne guère pour une biographie romancée de Mao Tsé Toung, Fils de Chine (1950-1953).
Le dessinateur le mieux payé de Paris
Paul Gillon vit à ce moment-là ses années « Saint-Germain des Prés », un endroit « branché » gorgé de jazz qu’il fréquente dès avant la Libération. Ses amis artistes l’introduisent dans les milieux décalés, originaux, créatifs… Le Flore, Les Deux Magots, le Tabou où l’entraîne Roland Gerbeau, le jeune chanteur qui l’avait introduit auprès de Charles Trénet. Années d’insouciance. Il lui vient l’idée de passer du bon temps sur la Côte d’Azur. Il loue une maison dans les Hauts de Cagnes et ne donne plus signe de vie à son journal pendant des semaines entières, sinon pour leur demander de l’argent, promettant des planches qu’il ne rendait pas. Les responsables de Vaillant sont furieux devant ce comportement irresponsable et il le punissent sévèrement en le bannissant du journal pendant quasiment deux ans.
Le somptueux appartement de Saint-Germain doit faire place à un Presbytère près de Meaux. Il reprend néanmoins le collier pour le célèbre organe communiste, réalisant Le Cormoran (1954-1968) sur scénario de Jean Ollivier, entrecoupé d’une reprise de Lynx blanc (1956-1958) et de la création de Wango (1958-1960).
Il retient néanmoins la leçon et se présente au groupe Radar qui publie le journal Rêves pour lequel il illustre des récits sentimentaux au lavis. De là, il est contacté par le rédacteur en chef de Radar qui lui propose de partager dans son journal une page avec Angelo Di Marco, le grand illustrateur des couvertures de journaux à sensation. Paul Gillon devient un dessinateur recherché et reconnu.
Le légendaire éditeur Paul Winkler, le créateur d’Opera Mundi et du Journal de Mickey, le repère et lui propose un pont d’or. Il faut dire que Gillon est alors le dessinateur français au dessin « le plus américain » et que la Loi de 1949 impose depuis peu des quotas de création française.. Il crée pour Opera Mundi un bon nombre de bandes dessinées qui seront notamment publiées dans Le Journal de Mickey et ce, pendant de nombreuses années. À ce moment, Paul Gillon vit dans l’aisance, « comme un oiseau sur la branche ».
Arrive l’aventure de France Soir. Le jeune dessinateur qui vient de dépasser la trentaine était venu les voir avec un projet de bande dessinée destiné à leur série « Les Amours célèbres ». Il y a là Paul Gordeaux, Vania Beauvais et d’autres huiles de la rédaction. On lui répond : « On vous écrira ».
En l’occurrence, cette formule dilatoire n’en était pas une. Quelques jours plus tard, on l’appelle pour lui proposer du travail ; c’est 13 rue de l’Espoir, un strip quotidien de Jacques et François Gall qu’il anima de 1959 à 1972, dans un journal qui titrait alors « le seul quotidien vendant plus d’un million d’exemplaires ». Inspirée de The Heart of Juliet Jones (Juliette de mon cœur) de Stan Drake, cette série, commandée par le légendaire Pierre Lazareff, annonçait bien des soap opera qui envahiront la télévision plus tard.
Un pionnier de la science-fiction
Pendant toutes ces années, il loge à l’hôtel, dans des meublés, chez des copains, claque son argent dans des restaurants matin et soir. La trentaine arrivant, il cherche à s’établir. Il lui faut, pense-t-il, une voiture, un appartement et une maison de campagne. Dans l’année, il acquiert une grosse américaine alors qu’il n’a pas le permis, s’achète une ruine dans la Drôme qu’il retapera pendant vingt ans et un appartement au dernier étage d’un immeuble de la rue Lesueur, près de l’avenue Foch. Par la suite, le deux-pièces prit tout l’étage lorsqu’il racheta et aggloméra toutes les chambres de bonne adjacentes. Mais tout ceci au prix d’un travail de titan : trois bandes par jour tous les trois jours pour France Soir, plus les pages pour Winkler et pour Vaillant devenu Pif Gadget, soit une production d’environ 200 planches par an.
Son trait classique lui assure une survie dans le métier, car le dessin académique est rare. Il est un des artistes les plus recherchés de Paris. Pour Pif Gadget, il reprend un personnage secondaire de la série Cormoran et en fait une série autonome, Jérémie (1968-1973). Avec Jean-Claude Forest, qu’il connaît depuis ses débuts dans Vaillant, il voudrait concrétiser un rêve : réaliser une série de science-fiction. Il envisage d’arrêter 13 rue de l’Espoir et propose un projet de SF à France Soir. Mais Lazareff freine des quatre fers : on n’arrête pas une formule qui marche. Gillon et Forest doivent ravaler leurs envies et remettent leur projet dans les cartons.
Les Naufragés du temps
Quelques temps plus tard, Forest partage avec Remo Forlani la rédaction en chef de Chouchou, d’après la mascotte yéyé de Salut les Copains. Il demande à l’auteur de science-fiction suisse, Pierre Versin de concevoir pour Gillon un scénario de bande dessinée. Mais il ne plaît pas au dessinateur. Forest se résout à le faire lui-même mais demande à Gillon de lui donner une idée. Il lui suggère l’histoire d’un couple projeté dans le temps et dans l’espace qui doit sauver l’humanité, mais qui n’arrive jamais à s’unir. Les premières pages du scénario sont conçues par téléphone. Ce sont les Naufragés du Temps (1964). Mais Chouchou coule au bout de quelques numéros et la série reste en carafe.
Paul Gillon continue 13 rue de l’espoir et ses productions pour Winkler, mais au décès de Lazareff en 1972, il revient à la charge et finit par convaincre Vania Beauvais de publier des pages entières de bande dessinée dans le journal, au lieu de strips. Le temps de constituer assez de matière pour sa propre série, Gillon introduit Moebius qui y publie La chasse au Français en vacances, le prototype du futur Garage hermétique de Jerry Cornélius et Hugo Pratt qui y publie, de juillet 1973 à janvier 1974, la première histoire de Corto Maltese : Ballade de la mer salée, Une révolution.
Parmi les autres cooptés, on trouve aussi Pichard & Lob, avec Blanche Épiphanie. Grâce à Gillon, France Soir devient le rendez-vous de la bande dessinée branchée. Dans la foulée, Gillon et Forest signent pour le grand quotidien du soir deux épisodes des Naufragés du Temps, enfin.
Avec un million de lecteurs en face, Gillon et Forest n’ont pas de problème pour convaincre Hachette de faire des albums avec leur série, d’autant qu’Hachette est aussi l’éditeur de France Soir. Ils signent un contrat pour quatre albums tirés à 35.000 exemplaires. Mais les tomes 3 et 4 ne sont tirés qu’à 20.000. Les auteurs demandent alors une compensation financière pour le préjudice encouru. C’est l’occasion d’une fâcherie avec leur éditeur.
L’aventure Métal Hurlant
À ce moment précis, un magazine d’un nouveau genre vient d’arriver en kiosque : Métal Hurlant. La bande dessinée de science-fiction, signée par les meilleurs artistes : Moebius, Druillet, Mézières, Schuiten, Corben, etc. accède enfin à une notoriété importante.
Paul Gillon veut en être. Il connaît à peine Dionnet mais il le rencontre. Leur amitié sera dès lors indéfectible. Mais Forest profite de ce changement d’éditeur pour essayer de modifier la répartition des droits entre les deux auteurs. Gillon, co-auteur du scénario et co-concepteur de la série en même temps que son illustrateur, considère que la répartition actuelle est légitime. Une clause du contrat permet au dessinateur de continuer seul en cas de défection de son scénariste. Voici pourquoi les six albums suivant de la saga seront de Gillon seul. Dix albums paraîtront aux Humanos (1974-1989), les mêmes qui, remis en couleur et remaquettés en grand format, reparaissent chez Glénat aujourd’hui.
Un classique parmi les modernes
Le passage de Gillon chez Métal Hurlant accroît son aura : il est à la fois un classique célébré et partie prenante de l’avant-garde de son époque. Un statut unique que seuls partagent quelques auteurs comme Giraud/Moebius, ou encore Gotlib. Cette dualité le protège contre la ringardisation qui est souvent l’apanage des fins de carrière. Elle lui vaut d’avoir été nommé par ses pairs Grand Prix de la Ville d’Angoulême en 1982, de recevoir les Prix Phénix en 1972 et 1974 (pour Les Naufragés du Temps), le Grand Prix RTL 1986 (pour La Survivante), le Prix Spécial du Jury au Festival de Lucca (Italie) en 1986, et le Grand Prix Yellow Kid à Lucca en 1998.
Mais alors que les fonctionnaires ont depuis longtemps dépassé l’âge de la retraite, l’artiste ne chôme pas. Il fait même flèche de tout bois. C’est une Histoire du socialisme en France (1977), préfacée par François Mitterrand avec une introduction de Pierre Mauroy, qui fait pendant aux biographies du Général de Gaulle qui paraissent un peu partout. Ce sont deux albums pour la collection Vécu chez Glénat, un joint-venture entre la collection de Laffont dirigée par Charles Ronsac et la maison grenobloise : l’adaptation en bande dessinée de Au nom de tous les miens (1986-1987) de Martin Gray, adapté pour la circonstance par Cothias. « Un échec commercial » commente sobrement le dessinateur.
Du Square à l’Écho des Savanes
Auteur apprécié par ses pairs, Gillon n’est jamais oublié. Il reçoit un jour un appel du Professeur Choron qui vient (encore !) de lancer un nouveau journal, « BD », dont Tardi est le directeur artistique et Dominique Grange la secrétaire de rédaction. Il cherche à repositionner ce titre avec des nouvelles collaborations. S’il veut être de l’aventure, Gillon doit lui remettre les premières planches dans trois semaines. Cela l’intéresse naturellement, mais il n’a pas d’idée. Dans la nuit cependant, il pense à l’affaire du Baron Empain, enlevé par des gangsters, aux pétroliers qui coule au large de Cherbourg provoquant une marée noire, et aux frasques de l’Empereur Bokassa. Cela devient Les Léviathans (1982-2000). Au moment où il l’apporte à Choron, l’aventure « BD » se termine. C’est Métal Hurlant qui récupère le projet.
Un autre jour, c’est Wolinski qui l’appelle. Il vient d’être nommé rédacteur en chef de L’Écho des Savanes, le titre mythique fondé en 1972 par Mandryka, Gotlib et Bretécher et qui, dix ans plus tard et après une interruption, vient d’être racheté par Albin Michel. Il lui demande un projet pour le journal. Gillon accepte, bien sûr. Ayant concocté son projet, il rappelle l’humoriste qui lui signale… qu’il n’est plus rédacteur en chef ! Il lui présente son successeur : Claude Maggiori. Celui-ci lit son scénario et le rejette en lui disant : « Cela me plaît pas du tout, on dirait du Vadim. Ca se passe dans des milieux favorisés et on roule en Porsche ! » Il lui propose une idée de son cru : dix lignes dactylographiées qui lui expliquent que l’héroïne se trouve sur terre, seule survivante avec des robots. Elle s’en sert pour se « chatouiller ». À charge pour le dessinateur d’en faire ce qu’il veut ! Cela donnera La Survivante (1985-1995), une série un peu leste qui comptera quatre albums. On lui doit aussi pour cet éditeur une version pas vraiment saint-sulpicienne de la vie de Jeanne d’Arc : Jehanne (1993)
Une valeur sûre
Le passage chez Dupuis de son ami Claude Gendrot, vieux complice des années Pif Gadget passé ensuite chez Métal Hurlant favorise la réalisation avec le jeune scénariste Denis lapière du nostalgique diptyque La dernière des salles obscures (1996-1998) pour la collection Aire Libre, alors que le dessinateur vient de passer le cap des 70 ans.
Ses récents coups d’éclat, il les fait chez Glénat, grâce à Frank Giroud qui lui confie le tome 7 du Décalogue : La conspiration (2002). Ce sera, à cette date, son plus gros best-seller. Un jeune avocat connu des prétoires pour y défendre les intérêts de Charlie Hebdo, Richard Malka, lui propose un scénario par l’entremise de son éditeur Dominique Burdot, ce sera L’Ordre de Cicéron (2004). Succès encore. Frank Giroud vient le rechercher le temps d’un album pour composer le deuxième mouvement de la série Quintett : Histoire d’Alban Méric, dans la collection Empreinte(s) chez Dupuis (2005). Succès toujours.
Perclus de rhumatisme consécutifs à sa maladie d’enfance, le vieux lion continue à se battre sur sa planche à dessin : « Je ne veux pas qu’on me plaigne, que l’on fasse de moi un pauvre bonhomme estropié, nous racontait-il, mais en même temps pourquoi pas ?, cela fait partie du destin de chacun d’avoir des problèmes de santé. Il y a une période de cinq à six mois durant laquelle j’étais attaqué littéralement dès que je m’asseyais à ma table de travail. Je n’avais pas de solution. On a réfléchi à des aménagements de mon plan de travail, relativement aux accès. Mais j’ai toujours besoin de bouger pour un document à aller chercher, etc. Cela fait partie de mes routines : je travaille pendant 20 minutes à une heure, puis je me repose. J’ai toujours travaillé comme cela… Mais surtout, pendant quelques mois, cela a été d’une agressivité terrible. Au bout de dix minutes, j’étais foudroyé. »
Il espérait quand même finir le cycle de L’Ordre de Cicéron. mais la grande faucheuse ne lui laissera pas le temps : il s’est éteint à l’hôpital d’Amiens. Il est possible que les dernières planches soient achevées par François Boucq.
(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))
Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.
Participez à la discussion