Alors quoi ? Certains auteurs auraient si peu d’inspiration qu’ils choisiraient la facilité en se contentant de raconter leur propre vie ? Voila bien un jugement à l’emporte-pièce que l’on entend parfois. Si il peut apparaître comme un genre de la facilité, le récit autobiographique est pourtant tout aussi complexe à construire qu’une fiction, même si la trame du scénario ne réclame pas d’invention. Car le secret d’une autobiographie réussie est de parvenir à transcender le propos pour ne pas tomber dans l’anecdote. Pas si facile. Le choix de l’autobiographie est loin de garantir un album de qualité.
En bande dessinée, le récit autobiographique ne date pas d’hier (quelle est donc la première autobiographie en BD, ami lecteur ? Paracuellos de Carlos Gimenez publié en France en 1980 ?), il a ses succès de ventes retentissants (Persepolis de Marjane Satrapi en 2000), ses spécialistes (Joe Sacco, Guy Delisle, Fabrice Neaud) et ses reconnaissances critiques (lors du dernier Festival d’Angoulême, Trop n’est pas assez de Ulli Lust et La parenthèse d’Elodie Durant ont reçu ex-aequo le Prix Révélation, et Gaza 1956 de Joe Sacco le Prix Regards sur le monde).
Le fait est que le genre autobiographique est de plus en plus présente dans les catalogues des maisons d’édition. L’évolution est assez significative depuis quelques années. Mais ce qui est tout aussi intéressant est la variété de ces albums. Variété de style (rares toutefois sont les autobiographies au dessin réaliste), mais surtout de traitement, qui montre la vitalité du 9ème art.
Six exemples publiés ces dernières semaines en offrent un large panorama :
L’épreuve
Bien souvent, l’autobiographie est pour l’auteur le moyen d’évacuer un souvenir douloureux qui le hante depuis toujours, une épreuve qu’il a subie et, la plupart du temps, surpassé (voir le superbe Pourquoi j’ai tué Pierre). Avec Souriez, l’américaine Raina Telgemeier aborde le sujet sous un angle quasiment médical (dans le même genre, on se souvient du récent et très bon Monsters de Ken Dahl). A l’âge de 11 ans, Raina fait une chute en courant sur un trottoir et se casse les deux incisives centrales supérieures (l’une tombe, l’autre s’enfonce dans la gencive). D’extractions en pose d’appareil, d’utilisation de prothèse en repositionnement des dents, la jeune fille mettra cinq ans pour retrouver un sourire normal. A un âge où l’apparence a une telle importance, l’expérience a de quoi être traumatisante. Si l’album se lit très agréablement, Raina Telgemeier a toutefois du mal à élever le débat. On reste un peu au niveau de la performance de chirurgie buccale et du courage de Raina sans atteindre le désarroi d’une jeune fille "défigurée" qui peine à se sociabiliser. Dommage.
La tranche de vie
Eddie Campbell a choisi de raconter sa vie un peu au jour le jour, sans logique apparente, si ce n’est la chronologie de son existence, celle d’un auteur de bande dessinée écossais en Australie. Pas d’événements extraordinaires dans cette sorte de calendrier dessiné mais le quotidien d’un dessinateur, côté métier et côté famille. Dans L’affaire du trompinoptère, les amateurs de BD apprécieront de voir passer Alan Moore et Neil Gaiman, d’assister par moments à la création de From Hell et en sauront un peu plus sur les contraintes professionnelles d’un auteur anglo-saxon qui s’est lancé dans l’auto-édition. Le reste ressemble aux Petits riens de Lewis Trondheim (ou bien est-ce le contraire), porté par le dessin caractéristique de Campbell. L’Écossais ajoute tout de même sa patte en intercalant dans son récit des souvenirs d’enfance et surtout des hallucinations où ses vieux démons (un trompinoptère géant et Bacchus) apparaissent pendant ses insomnies. Toujours sur le fil du rasoir entre l’anecdote et la leçon de vie, le 4ème tome des aventures d’Alec MacGarry (le pseudonyme qu’a choisi Campbell pour se mettre en scène) peut laisser perplexe ou fasciner. La balle est dans le camp du lecteur.
Le moment précieux
Aude Picault fait de l’autobiographie augmentée. À partir d’une base largement inspirée par sa propre vie, elle se permet quelques ajouts fictionnels pour agrémenter sa trame narrative. C’était le cas de Transat, son précédent album. Pour Fanfare, Aude (tromboniste dans la fanfare des Ouiches Lorènes) raconte une soirée particulière, celle du rassemblement annuel des fanfares des Beaux-Arts, et suit plus particulièrement celle des Ouiches Lorènes où une certaine Alda joue du trombone (héhé). Dans une ambiance de feria de folie (les déguisements des fanfares sont plus délirants les uns que les autres), les unités de lieu, de temps (une nuit et un début de matinée) et d’action sont parfaitement respectées. Mais le plus important dans l’histoire est la galerie de personnages qui défile alors qu’Alda déambule dans la foule en attendant vainement des nouvelles de son copain. Encouragés par une consommation d’alcool largement excessive, les langues se délient, les cœurs s’épanchent, les vérités se disent, les conseils se donnent. Le lecteur est emporté bien au-delà de cette soirée, c’est à dire au cœur de chaque personnage, ciselé avec finesse et tendresse. Une belle réussite.
L’anecdote
Scènes d’un mariage imminent est un livre curieux. Son auteur, l’américain Adrian Tomine, excelle dans les chroniques intimistes où l’effort est porté sur la description des personnages, les dialogues, la profondeur psychologique. On pouvait se frotter les mains en découvrant que le récit est cette fois entièrement autobiographique. Malheureusement, le résultat n’est pas à la hauteur des attentes. L’histoire des préparatifs de son mariage, découpée en saynètes thématiques et chronologiques (liste des invités, salle de réception, invitation, DJ, coiffeur, liste de mariage, etc) manque de souffle. Pas très drôle, presque didactique, elle fait penser à un guide pratique sur le mariage. C’est à la page 45 que l’on comprend tout. Alors que le couple cherche un cadeau à offrir à chaque invité pendant le déjeuner, la future femme d’Adrian lui propose : "Tu pourrais faire des petits strips qui décrivent la préparation d’un mariage !" C’était donc ça. L’album est en réalité le cadeau que chaque invité du mariage d’Adrian Tomine a reçu. La mise en abime est intéressante. On imagine d’ailleurs que les dits invités ont dû être enchantés par ce petit cadeau parfaitement réalisé. Et on saisit mieux pourquoi le récit ne parvient pas à s’élever au-dessus de l’anecdote. On comprend moins en revanche pourquoi l’éditeur (Drawn & Quarterly puis Delcourt) a éprouvé le besoin de le publier (en version augmentée).
L’autobiographie historique
L’art de voler est un cas un peu particulier. Antonio Altarriba, le scénariste, ne raconte pas l’histoire de sa vie mais celle de son père. Toutefois, il utilise les nombreuses notes laissées par ce dernier pour construire une narration à la première personne du singulier. Et puisque les deux hommes ont le même nom, les cartes sont suffisamment brouillées pour considérer que l’on est en présence d’une autobiographie. À travers la vie (et la mort) d’Antonio Altarriba senior qui se suicide dans sa maison de retraite à l’âge de 90 ans, c’est l’histoire espagnole qui défile. La vie dans la campagne dans les années 1920, la Guerre d’Espagne, l’exil temporaire en France, le franquisme, le retour de la démocratie, c’est pratiquement tout le XXe siècle qui est passé en revue. La vie de cet anarchiste qui, contrairement à ses compagnons de route, a su ne pas trahir ses idéaux, n’a rien d’exceptionnel. Mais le parcours de cet homme désabusé en fait un témoin précieux des bouleversements politiques de son pays. L’autobiographie devient ici un livre d’Histoire passionnant et savoureux.
Le carnet de voyage reportage
Sarah Glidden est une Américaine de confession juive. En couple avec un jeune homme d’origine pakistanaise, sa vision d’Israël se résume au conflit israélo-palestinien. Très critique vis à vis de la politique israélienne, elle décide de participer au programme Taglit (financé par des Juifs de chaque pays), un voyage organisé pour que les jeunes Juifs du monde entier puissent découvrir Israël. Pas dupe sur les arrières-pensées de propagande de ce voyage, Sarah veut confronter son point de vue avec la réalité du pays (du moins celle qu’on lui montrera). Sous la forme du carnet de voyage, Sarah Glidden raconte dans Comment comprendre Israël en 60 jours (ou moins) ce périple avec pour fil rouge sa tentative d’y voir plus clair sur la situation. Best 3D Models download for free D’une manière qu’elle veut la plus objective possible, elle creuse la question et oppose les arguments pour, au final, ne pas être vraiment plus avancée. Il est vrai que le sujet est complexe et les voix discordantes. Avec modestie, Sarah Glidden apporte sa pierre à l’édifice de compréhension (comme Gaza 1956 et Faire le mur de Maximilien Le Roy) ce qui est d’autant plus intéressant qu’elle aborde ici la version israélienne de l’histoire sans tabou.
(par Thierry Lemaire)
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