La première couverture du Journal Tintin, noblesse oblige, présentait assez logiquement Le Temple du Soleil d’Hergé, promettant aventures et exotisme. Mais la couverture du numéro 2 nous faisait découvrir un univers tout aussi prometteur. Signée E-P. Jacobs, elle nous offrait une atmosphère plus sombre et plus mystérieuse encore, ancrée dans le récit de guerre et le thriller.
Le Secret de l’Espadon, construit dans la continuité du Rayon U paru dans l’hebdomadaire Bravo paru pendant l’Occupation, sortait alors complètement des sentiers battus. La Seconde Guerre mondiale venait à peine de s’achever qu’E-P. Jacobs en imaginait déjà une troisième dans un conflit militaire qui relevait de l’uchronie.
Le secret de l’Espadon, cette arme extraordinaire, et la folle course-poursuite entre Olrik et les deux résistants anglais vont tenir en haleine les lecteurs pendant près de deux ans. C’est donc tout naturellement que le premier album estampillé des Éditions du Lombard reprend les premières pages de cette saga mythique qui survivra à son créateur et sans doute à ses premiers lecteurs.
L’intégrale de l’Espadon
Bien que cette aventure a toujours été imaginée d’un seul tenant, elle a ensuite été diffusée en deux (et puis en trois) volumes, dont les couvertures sont aisément reconnaissables. Il a fallu attendre 1964 pour que Le Lombard lui apporte une forme intégrale qui est restée unique jusqu’à ce que la Collection Millésime la ressorte en 2006 pour le 60e anniversaire de la maison bruxelloise.
Outre le récit en lui-même, cette intégrale (toujours disponible) comprend un élégant dossier expliquant la genèse de L’Espadon et sa filiation avec Le Rayon U. Toujours aussi peu fiable, Jacques Pessis occulte complètement la mise au net des dix-huit premières planches réalisées initialement par Jacques Van Melkebeke, notre fibre collectionneuse est cependant satisfaite par la présentation en petit format d’une dizaine de couvertures du Journal Tintin, qui ont été souvent insérées comme hors-texte dans les tirages de tête des années 1980, ainsi que dans la version grand format de ces albums, redécoupée en trois tomes.
Près de 70 ans après le début de cette aventure dans le Journal Tintin, les Éditions Blake et Mortimer viennent de publier à leur tour l’intégralité de cette œuvre mythique. Cette troisième intégrale est sans doute la plus complète jamais proposée au grand public. Si elle ne comprend pas de dossier comme dans la version Lombard, un petit texte de Daniel Couvreur explique qu’il s’agit de « Secret de l’Espadon tel que Jacobs l’avait imaginé. »
Cette élégante formule explique sobrement qu’il s’agit bien de la version « album ». Cette introduction revient sur les dix-huit premières planches qui ont été refaites par Jacobs lors de la parution du premier tome du Secret de l’Espadon, mais ne cite pas non plus Van Melkebeke comme metteur au net de cette première partie. C’est regrettable, car la précédente intégrale du Mystère de la Grande Pyramide réservait au lecteur un très riche dossier : études au crayon, documents, découpage du scénario et un extrait de planches issues du Journal Tintin, mais détruites avant la parution en album et refaites par Jacobs. Cette présentation permettait d’opérer une comparaison entre les deux versions, source enrichissante d’enseignements pour le lecteur.
On aurait donc pu s’attendre à ce que les dix-huit pages de Jacobs-Van Melkebeke puisse apporter le même bénéfice à la lecture de l’Espadon, mais le premier rédacteur-en-chef du Journal Tintin semble toujours condamné à rester dans l’ombre. Un problème subsiste-t-il avec ses ayants droits ?
Si le dossier de cette intégrale qui vient de paraître est réduit à sa plus simple expression, on est néanmoins abasourdi devant les reproductions de qualité des couvertures du Journal Tintin réalisées par Jacobs au long de cette aventure. Certes, une petite moitié avait été présentée dans les tirages des années 1980, mais on les retrouve ici en pleine page, en reproduction d’époque. Ces 22 couvertures sont autant de moments d’émerveillement face au graphisme et à la force d’évocation des dessins de Jacobs. Dommage que le contraste des couleurs restent ternes dans certains cas.
Les deux versions des couvertures du premier tome de l’Espadon permettent également de se rendre compte de l’évolution technique de l’auteur : moins d’effets de volume à la mine de plomb pour tendre vers une Ligne claire qu’il adoptera définitivement.
Jacobs : 329 dessins
Si l’amateur de Jacobs peut émettre quelques réserves avec cette nouvelle intégrale, il n’en est pas de même avec le magnifique recueil dos toilé qui reprend des centaines de dessins et de croquis préparatoires de Jacobs. Le journaliste Daniel Couvreur nous fait entrer dans son monde secret : il présente les modèles réels des personnages de Blake, Mortimer et Olrik,. S’y ajoutent des essais couvertures (parfois en couleurs), des études de sujets (dont les hiéroglyphes), des découpages de scénario, des crayonnés de planches, des croquis pris sur le vif, des détails de case, etc.
Enrichi de commentaires aussi sobres qu’explicatifs, ce recueil est un véritable trésor pour tous les passionnés de Jacobs. On passe en revue album après album, d’une thématique à l’autre, car Couvreur propose un fil rouge dans son livre qui permet, soit de le lire de bout en bout, soit de s’arrêter sur une page prise au hasard, fasciné par le soin, la passion et la minutie de ce grand auteur.
« À la différence de bien des auteurs, et de certains repreneurs, nous explique Daniel Couvreur, Jacobs dessinait entièrement un personnage, afin de bien comprendre son mouvement, pour ensuite ne garder qu’une partie du dessin, voire seulement le visage, et le placer dans sa planche. Cette technique augmentait le réalisme du rendu graphique, mais cela signifie que bien des trésors sont enfouis dans ces carnets de croquis que j’ai voulu déterrer aujourd’hui ».
Un ouvrage qui est à explorer l’album ouvert à vos côtés, tant le journaliste approfondit son étude. Du Rayon U aux 3 formules du Pr Sato, ces 329 dessins représentent un fabuleux voyage au sein des univers imaginés par Jacobs. Si vous trouvez le livre sous cellophane en librairie, c’est qu’il contient un ex-libris, présentant une page de carnet de Jacobs, sur laquelle il a crayonné Blake et Mortimer se serrant la main.
Avant Le Secret de l’Espadon, Le Bâton de Plutarque !
" C’est en visitant le bunker de Churchill avec André Juillard, lors du repérages à Londres pour « Le Serment des Cinq Lords », que nous avons commencé à réfléchir à un récit qui se déroulerait pendant la Seconde Guerre mondiale", nous explique le scénariste Yves sente. Mais pour invoquer ce conflit qui précède la première aventure de Blake et Mortimer, il faut une fois de plus faire coïncider les biographies écrites par Jacobs à propos de ses héros dans son "testament", Un Opéra de papier (Gallimard), les envies des auteurs, et les autres récits de la série. C’est ainsi qu’est né Le Bâton de Plutarque.
Le récit début en 1944, alors que le capitaine Blake réussit, aux commandes d’un prototype, à déjouer une attaque-suicide des nazis contre le Parlement anglais. Un exploit qui lui vaut d’être recruté par le MI 6. Sa mission ? Faire gagner aux Alliés la Deuxième Guerre mondiale et les préparer pour… la troisième qui arrive !
Arrivé dans l’une des bases secrètes du MI 6, Blake découvre que son partenaire n’est autre que.. Mortimer, son ami d’enfance (un lien créé par Sente dans Les Sarcophages du Sixième continent). Plongés au cœur d’une vaste affaire d’espionnage sur fond de compétition technologique entre grandes puissances, les deux hommes vont croiser le chemin d’un bien étrange agent, spécialiste des langues slaves, un certain Olrik…
De la première à la dernière case , Sente & Juillard se sont amusés à répondre aux allusions et à combler certains blancs laissés par Jacobs : « Il est essentiel de d’explorer leur passé, ou une facette inconnue des personnages, si nous voulons conserver nos héros en vie., nous explique Yves Sente. Mais la partie la plus amusante de l’écriture a été d’imaginer les liens qui pouvaient réunir Blake, Mortimer et Olrik, alors qu’ils ne sont justement pas évoqués dans le récit de Jacobs. Je confirme et j’ajoute : Mrs Benson, Park Lane, Scaw-Fell,... Plein d’autres sujets "mythiques" ! Quant à la galerie de personnages de second rang, allant du faux héros au vrai traître, c’était un sujet secondaire dans ce récit clairement destiné à satisfaire la nostalgie de nos lecteurs... et la nôtre ! »
Afin de tenir les délais de production, Étienne Schréder fut une nouvelle fois mis à contribution : « Cette première collaboration avec André Juillard s’est réalisée sur du velours, nous explique le dessinateur. Il a fallu accumuler les heures, mais elles étaient très agréables ! »
Doté d’une intrigue très dense, Le Bâton de Plutarque mêle habilement l’histoire des services secrets de tous les âges avec l’univers de Jacobs pour livrer un récit qui séduira sans aucun doute les amateurs de L’Espadon. Cet album est ni plus ni moins un prequel du premier album de la série. Les scènes de bataille aéronavales, qui ont bénéficié des conseils de Yann et de Romain Hugault, experts en la matière, introduisent parfaitement un album au souffle épique proprement jacobsien. Une réussite !
Une exposition à la Maison Autrique
Dans les années 1980, tandis que Métal Hurlant, Fluide Glacial et (A Suivre) sont en train de bouleverser les codes de la bande dessinée, les éditions du Lombard s’étonnent que Gilles Ziller, un graphiste français, s’intéresse de près à cette vieille série. Il vient leur acheter le droit de tirer des estampes à tirage limité des œuvres de l’ermite de Lasne.
C’est par une nuit d’hiver, sur le parking d’un hypermarché, après quelques appels de phares codés, que l’auteur et le sérigraphe se rencontrent pour la première fois. Jacobsien féru, Ziller avoue que le personnage ne l’a pas déçu et qu’il reste pour lui le « Grand dessinateur » !
Gilles Ziller crée les Archives Internationales en 1985 et se spécialise dans l’édition de sérigraphies. Publiées dans une ligne graphique bien définie : logo, tampon, papier à lettre, cartes de vœux, catalogues... sont à l’unisson. Ziller était le premier à éditer des sérigraphies numérotées et signées d’ E-P. Jacobs.
L’exposition qui se tient actuellement à la Maison Autrique propose un habile panorama de planches et de crayonnés originaux de Jacobs (dont une planche refaite de l’Espadon), en ce compris des originaux du dernier album de Juillard et Sente, assorti d’un choix des sérigraphies et autres objets édités par Ziller. Une magnifique introduction à l’univers de Jacobs, et à ses successeurs encore sous le charme de son envoûtement.
(par Charles-Louis Detournay)
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Du 5 décembre 2014 au 15 février 2015
Du mercredi au dimanche de 12h à 18h
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