Je m’appelle Perfect... Phil Perfect. Ce nom claque à l’extrême fin des années 1970 dans les pages de Métal Hurlant comme un revival de l’après-guerre, une sorte de mix entre James bond et Vernon Sullivan.
La mode est alors au revival : rock, mode, design, architecture... La bande dessinée, grâce à Swarte, Ted Benoît et Floc’h & Rivière, vient d’inventer le classicisme de l’école "franco-belge" et lui rend hommage dans un processus de déconstruction dont les effets ravageurs nous parviennent encore jusqu’à aujourd’hui.
Arrivent Yves Chaland et Serge Clerc. Alors que le premier est dans une déconstruction minutieuse et méthodique des codes, multipliant les références, le second, bien moins référentiel, en capte immédiatement l’essence. La documentation, qui est le fondement stylistique de l’École belge, est soigneusement prise en charge par l’auteur de Bob Fish et de Freddy Lombard. Pas chez Serge Clerc. Son dessin à lui est foutraque, syncopé, arbitraire : visages élaborés en trois coups de pinceau, proportions de guingois, épaules taillées à l’équerre, sans compter les couleurs, essentiellement californiennes, influencées par le peintre anglais David Hockney, sans doute au travers de l’influence subie par Loustal.
Il y a du génie chez Serge Clerc, Jean-Pierre Dionnet et Moebius à sa suite ne s’y sont pas trompés. Une énergie surtout : vibrante, profonde, sincère, vivante. Contrairement au dessinateur néracais, Clerc n’est pas dans la réflexion, l’intellect, le calcul. Il est émotion, et seulement émotion. C’est pourquoi Nid d’Espions à Alphaplage, un récit de 13 pages présent dans cet album, est son chef d’œuvre. Il est trempé de larmes et d’alcool ; larmes d’un chagrin d’amour, relents d’une mauvaise cuite.
On classe souvent Serge Clerc dans le mouvement de la Ligne Claire. Il n’y est pas du tout. Il est plutôt dans le Style Atome. Selon la définition de Joost Swarte (cf. la conférence de Makassar dans Swarte 30x40), c’est un style "joueur avec le design", comme chez Franquin, comme chez Jijé, comme chez Will... Mais certainement pas comme chez Hergé, Jacobs et encore moins chez Jacques Martin. Nous ne sommes pas non plus dans l’École de Marcinelle, ce pendant humoristique de l’École de Bruxelles, où figurent des virtuoses comme Morris, Peyo, Roba, Wasterlain, Walthéry, Janry...
Serge Clerc, à cause de son nom, et parce qu’il signe d’un tortillon en forme de "krollebitche", comme disait Bob de Moor, pense qu’il est issu de la Ligne Claire. Non. Le distinguo est pourtant simple : Franquin : Style Atome et non Ligne Claire ; Jacobs ou Jacques Martin : Ligne Claire et pas du tout style atome.
Beaucoup de graphistes ressortent de deux courants : Swarte, Ever Meulen, Chaland, Floc’h, Ted Benoît... Ligne Claire ET Style Atome puisqu’ils allient précision, documentation et design "joueur". Tillieux ? Un avatar Ligne Claire de l’École de Marcinelle... Serge Clerc ? Pur Style Atome.
On le voit, rien que pour cela (mais aussi pour le merveilleux texte d’introduction de José-Louis Bocquet et, bien sûr, pour les éblouissants dessins de Serge), cette Intégrale mérite de figurer dans vos bibliothèques.
(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))
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