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La Ligne Clerc n’est pas une Ligne Claire

Par Didier Pasamonik (L’Agence BD) le 4 décembre 2012                      Lien  
Avec "L'Intégrale Phil Perfect", Serge Clerc entre pour la deuxième fois dans le catalogue de Dupuis, le groom Spirou l'ayant introduit précédemment dans le maison de Jijé, Franquin et Tillieux. Effet étrange : une figure du post-modernisme des années 1980 vient se ranger harmonieusement à côté des classiques des années 1940 à 1970. Non sans raison : Clerc incarne la génération qui lui rend hommage.
La Ligne Clerc n'est pas une Ligne Claire
Serge Clerc
Photo : D. Pasamonik (L’Agence BD)

Je m’appelle Perfect... Phil Perfect. Ce nom claque à l’extrême fin des années 1970 dans les pages de Métal Hurlant comme un revival de l’après-guerre, une sorte de mix entre James bond et Vernon Sullivan.

La mode est alors au revival : rock, mode, design, architecture... La bande dessinée, grâce à Swarte, Ted Benoît et Floc’h & Rivière, vient d’inventer le classicisme de l’école "franco-belge" et lui rend hommage dans un processus de déconstruction dont les effets ravageurs nous parviennent encore jusqu’à aujourd’hui.

Arrivent Yves Chaland et Serge Clerc. Alors que le premier est dans une déconstruction minutieuse et méthodique des codes, multipliant les références, le second, bien moins référentiel, en capte immédiatement l’essence. La documentation, qui est le fondement stylistique de l’École belge, est soigneusement prise en charge par l’auteur de Bob Fish et de Freddy Lombard. Pas chez Serge Clerc. Son dessin à lui est foutraque, syncopé, arbitraire : visages élaborés en trois coups de pinceau, proportions de guingois, épaules taillées à l’équerre, sans compter les couleurs, essentiellement californiennes, influencées par le peintre anglais David Hockney, sans doute au travers de l’influence subie par Loustal.

Il y a du génie chez Serge Clerc, Jean-Pierre Dionnet et Moebius à sa suite ne s’y sont pas trompés. Une énergie surtout : vibrante, profonde, sincère, vivante. Contrairement au dessinateur néracais, Clerc n’est pas dans la réflexion, l’intellect, le calcul. Il est émotion, et seulement émotion. C’est pourquoi Nid d’Espions à Alphaplage, un récit de 13 pages présent dans cet album, est son chef d’œuvre. Il est trempé de larmes et d’alcool ; larmes d’un chagrin d’amour, relents d’une mauvaise cuite.

On classe souvent Serge Clerc dans le mouvement de la Ligne Claire. Il n’y est pas du tout. Il est plutôt dans le Style Atome. Selon la définition de Joost Swarte (cf. la conférence de Makassar dans Swarte 30x40), c’est un style "joueur avec le design", comme chez Franquin, comme chez Jijé, comme chez Will... Mais certainement pas comme chez Hergé, Jacobs et encore moins chez Jacques Martin. Nous ne sommes pas non plus dans l’École de Marcinelle, ce pendant humoristique de l’École de Bruxelles, où figurent des virtuoses comme Morris, Peyo, Roba, Wasterlain, Walthéry, Janry...

Serge Clerc dans "La Nuit du Mocambo", une aventure de Phil Perfect. Rien à voir avec la Ligne Claire.
(C) Dupuis

Serge Clerc, à cause de son nom, et parce qu’il signe d’un tortillon en forme de "krollebitche", comme disait Bob de Moor, pense qu’il est issu de la Ligne Claire. Non. Le distinguo est pourtant simple : Franquin : Style Atome et non Ligne Claire ; Jacobs ou Jacques Martin : Ligne Claire et pas du tout style atome.

Beaucoup de graphistes ressortent de deux courants : Swarte, Ever Meulen, Chaland, Floc’h, Ted Benoît... Ligne Claire ET Style Atome puisqu’ils allient précision, documentation et design "joueur". Tillieux ? Un avatar Ligne Claire de l’École de Marcinelle... Serge Clerc ? Pur Style Atome.

On le voit, rien que pour cela (mais aussi pour le merveilleux texte d’introduction de José-Louis Bocquet et, bien sûr, pour les éblouissants dessins de Serge), cette Intégrale mérite de figurer dans vos bibliothèques.

(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))

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8 Messages :
  • Le style Atome n’est donc que formaliste ?

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  • merci pour cette mise au point quant à l’importance du Dessinateur-Espion.
    Que doit-on comprendre du titre de ce volume ?
    Que c’en est fini de Phil Perfect ?

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    • Répondu par Fred Poullet le 4 décembre 2012 à  20:45 :

      Ben oui, depuis 1986,à peu près...

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      • Répondu le 9 décembre 2012 à  10:14 :

        à peu près c’est 14 ans ?..
        Dernière aventure de Phil Perfect : Les limaces rouges, 2000.

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  • La Ligne Clerc n’est pas une Ligne Claire
    4 décembre 2012 21:29, par Christian Rosset

    Bonjour. David Hockney a vécu longtemps en Californie, mais il est anglais. Sinon, belle intégrale et effectivement bravo à José-Louis.

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    • Répondu par Didier Pasamonik (L’Agence BD) le 5 décembre 2012 à  00:15 :

      Effectivement. Nous avons corrigé cette étourderie.

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  • La Ligne Clerc n’est pas une Ligne Claire
    4 décembre 2012 23:40, par Alex

    C’est pourquoi Nid d’Espions à Alphaplage, un récit de 13 pages présent dans cet album, est son chef d’œuvre.

    Absolument ! Je suis très loin d’être un amateur de son travail esthétisant qui ravit seulement l’oeil. Mais ces 13 pages font exception et sont pour moi tout simplement l’un des meilleurs récits tout genres et époques confondues jamais raconté en bande dessinée. Magistral, intriqué et émouvant. Dommage que le court récit ait quasiment disparu de nos horizons. La preuve en est ici flagrante : une qualité et une concentration de talents qui surpasse nombre de productions plus quantitatives.

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    • Répondu le 5 décembre 2012 à  09:04 :

      "qui ravit seulement l’oei"

      c’est déjà pas mal, il y a tellement d’albums publiés qui ne ravissent rien du tout.

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