L’ambiance était tendue hier matin lors de la visite de presse de l’exposition qui ouvre ses portes aujourd’hui. Le service d’ordre du Mémorial, déjà vétilleux d’ordinaire, était sur les dents. Nous avons pu rencontrer Riss, directeur de Charlie Hebdo. Il était protégé par huit gardes du corps, dont trois en permanence à deux mètres de lui.
À ses côtés, il y avait l’historien Laurent Joly, commissaire de l’expo, directeur de recherche au CNRS, auteur notamment de L’État contre les Juifs. Vichy, les nazis et la persécution antisémite (Poche – Champs Histoire, Flammarion, 2018), il était déjà le commissaire de l’exposition Cabu sur la rafle du Vel d’Hiv’ l’année dernière. Il est également l’auteur d’une version commentée des dessins de Riss (Ed. Les Échappés).
Blessé à l’épaule droite, Riss fait partie des rescapés de la fusillade au siège de Charlie Hebdo en janvier 2015. Il participait au journal satirique depuis 1992 et en était devenu le directeur de la rédaction à la suite de Charb en mai 2009. Il participe à la relance du journal et devient son directeur à la suite de l’attentat.
C’était auparavant un des journalistes les plus assidus aux grands procès, dont deux concernèrent la Shoah : le Procès Touvier (1992) et le Procès Papon (1997). Ils ont l’un et l’autre fait l’objet d’un hors-série de Charlie Hebdo.
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Un travail de mémoire
C’est un procès-clé de l’histoire de la Shoah en France. Jusque-là, deux procès avaient eu lieu en France : le Procès de Klaus Barbie (1987), le « boucher de Lyon », responsable notamment de la déportation des Enfants d’Izieu et de l’assassinat de Jean Moulin, et le Procès Paul Touvier (1994), un criminel de la milice de Lyon. Tous deux avaient été condamnés à perpétuité. Avec Papon, nous avons affaire à un fonctionnaire de Vichy qui symbolise la « collaboration de bureau » restée encore impunie. C’est aussi, historiquement, le dernier procès de la collaboration.
Riss était envoyé par son journal pour faire des « croquis d’audience », les photographes étant interdits dans l’enceinte dans le tribunal. Il se trouvait à côté de l’accusé, au plus près du procès. Son trait fait mouche et caractérise bien le « théâtre » judiciaire. Il est le seul dessinateur et peut-être le seul journaliste à l’avoir suivi de bout en bout : près de 600 dessins, dont les principaux originaux sont exposés ici. Mais le Mémorial a pris soin de les reproduire tous, en guise de papier peint pour décorer les pièces. Une belle scénographie, sobre et élégante.
Ce qui est intéressant, et Laurent Joly l’explique bien, c’est l’attention portée à la parole des témoins. Non seulement il les dessine, mais il retranscrit toutes leurs paroles, « à la manière d’un sténo », matériau précieux pour retranscrire l’audience dans le journal. Un travail de mémoire remarquable.
L’expo montre des séquences filmées du procès (l’un des premiers procès filmés en France) sortie de plus de 300 heures de rushes. On peut donc confronter la réalité aux dessins. Le dessin de Riss est plus charbonneux, plus fouillé, plus virtuose que ses dessins satiriques habituels publiés dans Charlie : « Pour moi, le dessin de reportage, j’aime bien quand il est un peu réaliste, ou semi-réaliste. Ce n’est pas du dessin satirique. Je n’utilise pas l’encre, parce que c’est du dessin pris sur le vif, alors que le dessin satirique, il est un peu plus élaboré… »
Ce qui donne un tableau vivant des séances. Comme le dit Laurent Joly : « On est enfermé, avec lui, dans la salle d’audience, et toujours du côté des victimes. »
(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))
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