Après une série de tests par voie de presse dans certaines régions françaises au printemps, les éditions Atlas distribuent depuis la rentrée, et cette fois sur leur site, une nouvelle collection intitulée Les archives Tintin. Créée par Moulinsart, cette série d’albums à la couverture toilée reprend la liste des 24 aventures du petit reporter (Tintin au pays des Soviets et l’Alph’art compris). Mais pas seulement, puisqu’à l’album bien connu du grand public s’ajoutent plusieurs cahiers rédigés par Jean-Marie Embs et Philippe Goddin, bien connus des tintinophiles.
Cette édition, que l’on peut qualifier de luxueuse, comprend en effet un journal qui résume le contexte politique de l’époque, plusieurs pages sur les sources de l’œuvre qui feuillettent la documentation utilisée par Hergé, une partie sur le dessin en lui-même qui détaille certaines cases, la description des personnages, les unes du Petit vingtième, les autres activités d’Hergé à la même période et même un coin des collectionneurs. On le voit, ces albums de près de 120 pages sont bien remplis.
Evidemment, on est un peu surpris de découvrir que la série démarre avec le Lotus bleu, qui est le quatrième (ou cinquième si l’on prend en compte Tintin au pays des Soviets) paru. Si le choix marketing des éditions Atlas ne respecte pas la chronologie, il propose toutefois une aventure charnière dans l’œuvre d’Hergé, ce qui permet aux « cahiers scientifiques » d’être passionnants.
Le Lotus bleu, publié dans le Petit Vingtième en 1935 et en album un an plus tard, est ainsi replacé dans le contexte de l’inquiétante montée des totalitarismes et en particulier celle du Japon. Embs et Goddin s’attardent sur la documentation photographique qu’Hergé utilise pour la première fois avec un tel soin. Rendons grâce à l’abbé Gosset, aumônier des étudiants chinois de l’Université de Louvain, de l’avoir mis en garde sur les méfaits de l’approximation et de l’utilisation des poncifs. Et surtout de lui avoir fait rencontrer un certain Tchang Tchong-jen, avec qui il se liera d’amitié et dont l’influence sera déterminante sur la suite des aventures du maître de Milou.
La suite de ce premier volume est tout aussi intéressante puisqu’elle présente toutes les numéros du Petit Vingtième dont le Lotus Bleu a fait la une, et le récapitulatif de l’aventure publié dans le journal en 1935 annonçant le retour de Tintin après une absence de plusieurs mois. Le volume conclut sur les autres activités graphiques d’Hergé à la même époque, de Quick et Flupke aux travaux publicitaires en passant par Popol et Virginie.
On remarquera que l’album publié dans ce premier volume est l’édition en couleurs que l’on connaît aujourd’hui. On peut regretter que la première version noir et blanc du Lotus bleu, considérablement différente, n’enrichisse pas encore plus ces Archives Tintin. Elle aurait eu tout à fait sa place.
Précisons enfin que cette collection est introuvable en librairie et ne peut être commandée que sur le site d’Atlas, à un prix défiant toute concurrence de 4,99 euros pour le premier tome. Ne sautez pas en l’air trop vite car le prix des volumes suivants augmente rapidement, comme de coutume pour les éditions Atlas [1].
Le deuxième volume annoncé est Tintin au Tibet, autre album emblématique dans la bibliographie d’Hergé. Toutefois, on attend avec impatience la sortie de Tintin au Congo, dont le « cahier scientifique » pourrait faire taire la polémique (pour cette édition en tout cas) en présentant l’album d’Hergé dans son contexte, c’est à dire comme la matérialisation du paternalisme colonial de son époque. Une contextualisation qui en ferait le témoin de son temps, ni à l’avant-garde de l’humanisme ni à la pointe du racisme, et ressemblerait finalement à l’avertissement en préface que beaucoup appellent de leurs vœux. Un modèle à suivre pour l’édition classique de Tintin au Congo ?
(par Thierry Lemaire)
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[1] le deuxième est à 14,95 euros, et chacun des suivants à 29,90 € (+ 3,50 € de frais de port)
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