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Mathieu Bablet (Midnight Tales) : "Tous les dessins ne plairont pas à tout le monde, mais je recherchais cette diversité."

Par Lise LAMARCHE le 16 juillet 2018                      Lien  
Célébré pour “Shangri-La”, “Adrastée” ou “La Belle Mort”, Mathieu Bablet a lancé en 2018 la série d’épouvante “Midnight Tales”, toujours chez Ankama. Rencontre avec l’auteur autour de ce nouveau titre à succès.

Mathieu Bablet, vous avez publié trois albums chez Ankama au Label 619, pour lesquels vous avez réalisé le dessin et le scénario. La série Midnight Tales est un projet collectif dont vous êtes le concepteur et le scénariste, ainsi que le dessinateur pour un des cinq récits. Comment vous est venue l’idée de ce projet ?

Cela s’est passé en deux temps. Cela venait d’abord de la volonté de commencer un projet collectif. Après ma précédente BD Shangri-La, qui avait été un travail assez long et solitaire, je ne me sentais pas de repartir tout de suite sur quelque chose de similaire, d’où l’idée d’un projet collaboratif.
Dans un deuxième temps est venu le choix de la thématique. Il faut savoir qu’à Ankama Éditions on a tous à peu près le même âge et les mêmes références. À titre personnel je lis de la littérature d’épouvante de manière abondante. Cela m’intéressait d’explorer et de croiser ce thème avec nos références qui datent des années 90, à savoir les Magical Girls, Buffy contre les Vampires, Charmed.

Mathieu Bablet (Midnight Tales) : "Tous les dessins ne plairont pas à tout le monde, mais je recherchais cette diversité."

Quelles sont vos inspirations dans la littérature d’épouvante ?

D’abord Howard Phillips Lovecraft, et mes lectures de jeunesse qui m’ont beaucoup marqué : Frankenstein de Mary Shelley, Dracula de Bram Stocker. Cela m’a vraiment touché étant jeune et m’a influencé.

D’où vient le titre Midnight Tales  ? Du magazine pulp des années 70 ?

Je ne connaissais pas ce titre ! Le but était de faire un hommage aux magazines d’horreur des années 40 comme Tales from the Crypt ou Horror. J’ai mélangé deux mots qui ressembleraient à un titre pulp.

Dans ce premier tome, vous mélangez les auteurs et les genres : bande dessinée, littérature, articles encyclopédiques, ce qui donne un recueil varié et original.

Je n’ai pas inventé ce mélange, on le trouvait déjà dans Doggy Bags, auquel j’ai participé également. Ce collectif a un peu ouvert la voie et proposait des nouvelles dans les derniers tomes.
Je trouve que cela marche très bien avec Midnight Tales, qui a un héritage de récits d’épouvante. Il y a aussi un côté “encyclopédique” avec les thèmes mythologiques et les sujets de société, qui rend les articles indispensables.

Parlez-nous des auteurs présents dans ce premier tome.

Samsara traite de la condition de la femme en Inde

La plupart des personnes que j’ai sollicitées pour le Tome 1 avaient déjà travaillé pour Ankama, je les connaissais de longue date. Je suis allé voir des gens dont je connaissais le travail et en qui j’avais confiance pour lancer le projet. Au dessin il y a Guillaume Singelin (The Grocery, Doggy Bags), Sourya (Rouge, Talli), et Gax.
Deux autrices sont présentes, Elsa Bordier pour la nouvelle Avant la tempête et Claire Barthes pour les articles et la partie documentation. À l’avenir je souhaite que plus d’autrices encore apparaissent dans les recueils.

Au sein du thème de l’épouvante, vous avez choisi les sorcières comme héroïnes. D’où vient la volonté de mettre au premier plan des figures féminines  ?

Jusqu’à présent j’avais toujours représenté des personnages principaux masculins, cela devenait une sorte de systématisme inconscient. On consomme beaucoup d’œuvres où les personnages masculins sont toujours mis en avant. Je pense qu’en tant que créateur on a la responsabilité de perpétuer ou non ce schéma. Je voulais sortir de mes automatismes et proposer autre chose.
Peu d’histoires réussissent le test de Bechdel [1] Souvent, les personnages sont des hommes ou parfois des femmes “badass”, qui ont des caractéristiques masculines pour justifier leur place de personnage principal. Dans Midnight Tales j’avais vraiment la volonté de créer des personnages féminins aussi denses et complexes que les personnages masculins.

La figure de la sorcière est intéressante parce qu’elle est historique, il y a eu les persécutions au XVIIème siècle. Cela permet d’avoir une base historique, mais aussi très actuelle, car aujourd’hui la sorcellerie resurgit avec des teintes féministes. Cela donne un mélange à la fois ésotérique et profondément moderne.

Avez-vous des exemples de cet attrait pour la figure de la sorcière de nos jours ?

Il y a le groupe californien Witch. C’est un groupe féministe américain qui s’est fait connaître pendant les Women’s March qui ont eu lieu à la suite de l’élection de Donald Trump. Plus proche de nous, Jack Parker s’approprie ce qui touche à l’ésotérisme dans ses articles et participe aussi à la libération de la parole des femmes.

Le quotidien des sorcières de l’Ordre de Minuit - Guillaume Singelin

Les héroïnes sont très diverses dans leurs personnalité et leur apparence, en particulier dans la première histoire The Last dance, par exemple où l’une d’elles est victime de grossophobie. Cela faisait-il partie du cahier des charges ou bien s’agit-il d’une idée du dessinateur Guillaume Singelin ?

Un peu les deux. L’anecdote sur la grossophobie venait de moi, mais Guillaume dans son dessin s’attache toujours à varier au maximum les représentations, du point de vue des origines ethniques ou de la morphologie.

Qui propose les différents mythes que vous évoquez dans vos histoires ?

Pour le premier tome j’étais à l’initiative du projet et c’est moi qui suis allé voir les autres auteurs avec mes références. Il y en a que j’ai découvert par hasard, mais en ce qui concerne le voyage en Inde (dans Samsara, avec Sourya) , c’est suite à un voyage que j’ai fait là-bas que j’ai eu envie de traiter la condition des femmes en Inde, puis la mythologie s’est rajoutée là-dessus.

Parlez-nous de l’Ordre de Minuit : comment vous est venue l’idée de cet ordre secret composé uniquement de femmes ?

Une fois le thème de l’épouvante choisi, je me suis dit que ce serait sympa de pouvoir voyager partout dans le monde pour ne pas se limiter à certaines mythologies occidentales, mais de représenter les contes et légendes du monde entier. L’Ordre de Minuit permet de faire voyager le lecteur dans plein de cultures différentes, au travers des différents tomes.

L’Ordre de Minuit reste assez mystérieux, notamment sa structure interne. Les autres tomes seront-ils aussi centrés autour de l’Ordre ? Des personnages vont-ils revenir ?

Oui, on peut dire que c’est le personnage principal, le noyau de tous les tomes à venir. On retrouvera certaines héroïnes du Tome 1 dans les autres tomes, pour d’autres leur histoire est terminée. Mais l’Ordre de Minuit, cette organisation qui incite les jeunes femmes à devenir sorcières, est au centre. On suivra son évolution, de sa formation à une véritable fin.
Le but était que ce soient à la fois des récits mythologiques et à la fois que toutes les histoires suivent un fil rouge qui amène à une conclusion. L’intrigue sera déroulée tout doucement, mais on pourra repérer des héros et des antagonistes récurrents pour construire l’univers.

En ce qui concerne la temporalité, sera-t-elle toujours contemporaine ?

Au début les histoires se passeront aujourd’hui, mais si je respecte le plan prévu, autour du tome 5 il y aura un changement. Le plus souvent ce sera contemporain car les histoires traitent de sujets de société de notre époque, mais pour comprendre l’Ordre certaines histoires se passeront à d’autres époques.

Les personnages principaux seront-ils toujours exclusivement féminins ? Les hommes ont-ils des pouvoirs dans cet univers ?

Il n’y aura pas de héros masculins. Au fil des tomes nous allons rentrer plus précisément dans les secrets de l’organisation et comprendre pourquoi il n’y a que des femmes. Dans le premier tome tout à l’air de bien se passer, mais ce n’est pas si évident d’avoir cette responsabilité de protectrices de l’équilibre entre le monde des vivants et celui des esprits, sans pouvoir la partager. La série va apporter des réponses à ce sujet.

Pouvez-vous nous dévoiler quelques-uns des futurs auteurs présents dans Midnight Tales  ?

De confirmé, nous avons Florent Maudoux, qui est un habitué d’Ankama (Freak’s Squeele, Doggybags, etc.). Il y aura également Loïc Sécheresse et Mathilde Kitteh, une jeune autrice avec un style manga vraiment sympa. Je suis en train de contacter les auteurs, le plus difficile est de jongler entre les plannings de chacun.

Allez-vous continuer à écrire tous les scénarios, comme dans le tome 1 ?

Je vais en écrire la majorité, mais je vais aussi laisser la main à d’autres scénaristes. Il y a un univers à respecter, alors nous avons des discussions en amont mais dans les tomes 2 et 3 deux scénaristes feront leurs propres histoires. Si tout se déroule bien il devrait y avoir dix tomes. Pour l’instant Ankama en a validé quatre.

Nightmare from the shore, par Mathieu Bablet

Avez-vous des projets en solo en parallèle ?

Oui, je travaille sur un one shot de science-fiction cyber punk, toujours chez Ankama. Ce sera un gros album de 240 pages environ, prévu pour 2020 pour l’instant. Le but est d’explorer la robotique et l’intelligence artificielle par le biais des changements que cela va apporter dans un futur proche dans nos sociétés, en particulier en ce qui concerne le genre et le rapport au corps, ce que la société assigne par rapport aux différents corps.

Après avoir touché au genre post-apocalyptique (La belle mort), à la mythologie antique (Adrastée), au space opera (Shangri-La), et à l’épouvante avec Midnight Tales, vous vous attaquez à présent au cyber punk. D’où vient une telle volonté d’explorer de nouveaux thèmes à chaque œuvre ?

Chaque projet est très long et demande une longue gestation, c’est une respiration de pouvoir me dire que je passe à quelque chose de complètement différent, avec un nouvel univers graphique et de nouvelles recherches.

Qu’avez-vous apprécié le plus dans ce projet autour de Midnight Tales ?

Le travail d’équipe, clairement. Après avoir passé le plus clair de mon temps à travailler seul, j’ai adoré monter un projet en commun avec des idées apportées par d’autres, des compromis à faire, un résultat final qui n’est pas tout à fait celui qu’on attendait mais la somme de ce que chacun a apporté.

J’avais une vraie volonté de proposer des styles différents même si cela peut être un peu déroutant. Tous les dessins ne plairont probablement pas à tout le monde, mais je recherchais cette diversité.
L’univers est très vaste, je sais où va l’histoire mais j’espère que la série marchera assez pour arriver à la fin. Tous les propos parsemés dans l’histoire se rapportent à un discours général construit dans ces 10 tomes, sur des thèmes liés à la condition des femmes.

Propos recueillis par Lise Lamarche.

Le Tome 2 sortira le 26 octobre 2018, avec au scénario Mathieu Bablet, Clément Rizzo, Tanguy Mandias et au dessin Mathieu Bablet, Da Coffee Time, Loïc Sécheresse, Mathilde Kitteh.

Quelques planches originales exposées à la Galerie Octopus en juin 2018 :

Planche originale de "Devil’s garden" par Gax
Nightmare from the shore, par Mathieu Bablet
Samsara, par Sourya
The last dance, par Guillaume Singelin

(par Lise LAMARCHE)

Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.

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Code EAN : 9791033505419

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- Midnight Tales T1

[1D’après Alison Bechdel, dans Gouines à suivre.
Pour réussir ce test, l’œuvre doit faire intervenir des personnages féminins dans un rôle essentiel.
Le test repose sur trois questions.
L’œuvre fait-elle intervenir deux femmes identifiables par un nom ?
Ces deux femmes discutent-elles ensemble ?
Parlent-elles d’autre chose que d’un personnage masculin ?
Si l’une des réponses est négative, cela indique que l’œuvre est probablement centrée sur les figures masculines, les personnages féminins n’ayant qu’un rôle mineur.

Midnight Tales Ankama Label 619 ✏️ Mathieu Bablet
 
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