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René Hausman : "La créativité, c’est aussi, une histoire d’habitude et d’expérience"

Par Nicolas Anspach le 7 juin 2010                      Lien  
Dessinateur animalier hors pair, {{René Hausman}} aime croquer le terroir ardennais et transposer en BD ou en illustrations les contes et légendes populaires. Avec {{Michel Rodrigue}}, il revient à ces ambiances en illustrant, « {[Le Chat qui courait sur les toits->10174]} », une histoire qui peut être envisagée comme une introduction au mythe du Chat Botté. Rencontre.

René Hausman : "La créativité, c'est aussi, une histoire d'habitude et d'expérience"Comment est née cette collaboration avec Michel Rodrigue ?

Nous avions déjà travaillé ensemble précédemment autour de la Grande Tambouille. Trois livres contenant textes et illustrations, consacrés aux fées, aux sorcières et aux lutins, sont parus aux éditions « Au Bord des Continents ». Ces petites histoires pour enfants contenaient des « recettes de cuisine ». Je connais Michel Rodrigue depuis quelques années. C’est un confrère. Il a brillamment repris Cubitus, et nous avons sympathisé dans un festival. Un jour, il m’a parlé d’un scénario « sur mesure » qu’il voulait que j’illustre. Il pensait que ce scénario me plairait car on peut le percevoir comme une introduction au mythe du Chat Botté.
Le temps a passé, et il a écrit son scénario. Je l’ai dessiné avec plaisir. Nous sommes partis d’une base existante. Le château est inspiré de celui de Gruyère, en Suisse. J’en ai même fait la maquette pour pouvoir mieux le dessiner. L’époque n’est pas définie. Nous nous sommes basés sur la période des contes de fées, le 17e et le 18e siècle. Cela me laissait plus de liberté pour le choix des costumes. Et comme je n’aime pas trop tenir compte des réalités historiques…

Ce conte n’est pas si cruel que cela, contrairement aux autres albums de votre œuvre. Un enfant peut le lire sans aucun problème.

Effectivement. Il n’y a pas d’atrocité dans ce récit. Étant très différent, ce prince est caché. Il est hors de question de le montrer au public, et ses parents font tout pour qu’il ne soit pas vu par le personnel du château. Il parvient à s’enfuir du château et est rejeté par les hommes. Seul des marginaux, des comédiens ambulants, l’apprécient. Ces gens-là, dans une époque lointaine, n’avaient même pas le droit à une sépulture. À leur mort, les comédiens étaient jetés à la fosse publique. Alors même que les nobles se réjouissaient de leurs farces. Le seul élément cruel dans le récit est le fait que le prince ne peut pas assurer un amour naissant.

Comment décrirez-vous Michel Rodrigue ?

Il a été comédien lui-même, et athlète de cirque. Il a également été rugbyman. Il assure donc physiquement (rires). A côté de cela, il a une âme de poète et d’humoriste. Michel est cultivé, peut-être même trop. Dans Le Chat qui courait sur les toits, il cite Cyrano de Bergerac et le Capitaine Fracasse. Cela devient même parfois contraignant de retranscrire sur les planches des discours pompeux qui n’en finissent pas ! Mais son écriture fonctionne parfaitement malgré cet excès de verbe…

La trame est classique.

Oui. J’aurais désiré une fin différente à ce récit : lors du duel final, que j’aurais fait durer plus longtemps, le prince et l’usurpateur se seraient entretués. En mourant, le prince aurait retrouvé une apparence humaine. Il serait redevenu le beau prince qu’il aurait dû être. Cette fin aurait été plus pessimiste, moins « happy end ». J’ai lu un jour une phrase qui m’a marqué : « Tout fini par s’arranger, même mal ! ».

Extrait du "Chat qui courait sur les toits"
(c) R. Hausman, M. Rodrigue & Le Lombard

J’ai entendu une interview où vous disiez être un artisan. Pourquoi ne vous sentez-vous pas être un artiste ?

Mais je ne sais pas ce qu’est être un artiste. Les juges de Jeanne Darc lui demandaient si elle était élue de Dieu. Elle leur répondit : « Si je le suis, que je le reste. Si je ne le suis pas, que je le devienne ». J’ai un véritable plaisir pour l’artisanat, le dessin, la mise en couleur. La créativité proprement dite, c’est aussi, pour beaucoup, une histoire d’habitude et d’expérience !

Cette vision n’est-elle pas due au fait que vous êtes né à une époque où la bande dessinée n’était pas considéré comme un art.

Peut-être. C’était à l’époque un divertissement pour les malheureux et les sous-développés. J’ai lu des bandes dessinées et des livres illustrés quand j’étais enfant. J’ai eu beaucoup de plaisir à trouver des chromos dans les bâtons de chocolats et les coller dans des revues. Cela a entraîné un plaisir de l’image. Mon père ne souhaitait pas que je réalise ce métier. Il estimait que je n’arriverai jamais à gagner suffisamment ma vie. Lorsqu’il m’en parlait, je lui répondais : « Oui, mais Benjamin Rabier a fait une belle carrière ! ». Il contre-argumentait aussitôt : « Oui, mais, lui, c’est Benjamin Rabier ». Autrement dit, il considérait que je n’avais aucune chance !

Vous avez tardé à vous imposer comme dessinateur de bandes dessinées. Il a fallu attendre la fin des années ’80 avec la parution du premier tome de Laïyna pour que vous soyez enfin un auteur régulier.

Effectivement. J’avais fait beaucoup d’illustrations auparavant. Les éditeurs n’acceptaient pas les auteurs tels que moi à l’époque. J’ai donc publié des livres illustrés chez Dupuis notamment. D’ailleurs, les éditions Dupuis vont republier en un volume les Fables de la Fontaine à la fin de l’année. Nous avons publié ce livre il y a plus de trente ans. Mon épouse a créé Luzabelle, un label éditorial, qui publie des affiches représentant des dessins issus de ces livres. Il y en a quelques-uns du Bestiaires. Ces dessins représentant des animaux sont reproduits avec une grande fidélité. J’en suis particulièrement heureux car, à l’époque, ces livres étaient très mal imprimés. Les techniques ont évolué d’une manière incroyable.

Vous venez de dire que vous aviez réalisé la maquette du Château de Gruyère. Finalement, vous êtes un touche-à-tout. Pierre Dubois me confiait que vous aviez façonné une marionnette représentant « Le Capitaine Trèfle » pour l’un de ses anniversaires. Vous avez fait de la sculpture, fait partie d’un groupe en tant que musicien…

J’ai participé à beaucoup d’expériences durant ma folle jeunesse. J’avais envie d’explorer. L’appétit s’est apaisé avec le temps, et l’énergie n’est aujourd’hui plus la même.

Extrait du "Chat qui courait sur les toits"
(c) R. Hausman, M. Rodrigue & Le Lombard.

Apprenez-vous toujours des choses en dessinant ?

Bien sûr ! Tous les jours, même. Des choses à faire et à ne pas faire ! Je serai triste le jour où je n’apprendrai plus rien. J’ai toujours le même enthousiasme que le premier jour. Parfois, je fatigue un peu, ou j’ai plus de mal. Mais cette diminution de régime et d’envie ne dure pas longtemps. L’enthousiasme reprend le dessus. J’ai envie de continuer jusqu’au bout…

Contrairement à Raymond Macherot qui a arrêté la bande dessinée relativement jeune.

Oui. C’est dommage ! J’ai fait sa rencontre en 1953. C’était un bourreau de travail, un perfectionniste et un éternel insatisfait. Je me souviens des planches d’un Chlorophylle, probablement celles de Chlorophylle et les Rats Noirs, qu’il jetait à la poubelle avant de les recommencer. Ces pages étaient pourtant tout à fait publiables. Raymond était un pointilleux, réglé à sa table. Et subitement, il a pris sa retraite. Mais cela s’annonçait. Il a traversé des dépressions. C’était un génie, qui est malheureusement méconnu.

Est-ce Macherot qui vous a introduit chez Spirou ?

Non. Mais il m’a encouragé à y aller pour y montrer mes dessins. J’avais rencontré, à Verviers, Roger Forthomme, un publicitaire qui avait fait ses premières armes dans la presse locale à Verviers. Il était en relation avec la World Press[[Ndlr : une agence de distribution des bandes dessinées sur le modèle des syndicats américains ou encore du célèbre Opera Mundi de Paul Winkler]. Il m’avait arrangé une entrevue avec Georges Troisfontaine et les éditions Dupuis en 1957. J’avais alors 21 ans. De fil en aiguille, on m’a présenté Yvan Delporte avec qui j’ai créé Saki et Zunie. J’ai commencé ma carrière par cette bande dessinée. J’aurais pu aller au Lombard à l’époque, mais le hasard des rencontres a fait que j’ai été plus rapidement publié par Spirou. Assez curieusement, je n’ai illustré que deux ou trois textes pour Tintin et une couverture pour le journal.

Vous parliez du Bestiaire. Je me souviens avoir feuilleté l’album quand j’étais enfant. Il m’avait fichu la frousse !

Tant mieux ! Je l’ai conçu dans cette optique. Assez curieusement, cela ne correspondait pas du tout à mon état d’esprit du moment. On peut dessiner et inventer une histoire très sombre tout en étant heureux et bien dans sa peau. L’inverse est également vrai… Peut-être est-ce une forme de compensation ?

Pierre Dubois, avec qui vous avez signé Laïyna me disait avoir envie de retravailler avec vous …

Et c’est actuellement le cas. Nous allons signer ensemble un livre pour les éditions Hoëbeke. Il s’agira d’un livre qui s’inscrit dans la lignée de ses grandes encyclopédies. Je réalise actuellement des illustrations pour ces Elfemerides. Ce livre sera une éphéméride du monde merveilleux, de mois en mois, de semaines en semaines où nous aborderons les plantes et animaux du moment, ainsi que les croyances qui y sont attachées.

Extrait du "Chat qui courait sur les toits"
(c) R. Hausman, M. Rodrigue & Le Lombard.

Pierre Dubois semble être votre double. Vous vous complétez bien, non ?

C’est avant tout un grand ami ! Nous nous connaissons depuis 1972, soit 38 ans. Un bail ! Nous accordons tous les deux une très grande importance à ce qui nous passionne. Si bien que la vie nous passe un peu sous le nez. On sacrifie beaucoup de choses pour nos histoires. Nous sommes tous les deux passionnés par les mêmes sujets : les contes, les légendes, le folklore, etc. Ainsi que certains côtés épiques de la littérature et du cinéma d’une certaine époque.

N’êtes-vous pas triste que l’on perde aujourd’hui cette tradition du conte et des légendes. Les adultes n’en racontent plus aux enfants…

Cette tradition est remplacée par le cinéma, et tous ces moyens de divertissement extraordinaires que l’on peut voir aujourd’hui. Mais c’est dommage que les enfants les vivent par procuration. Ceci dit, j’ai des petits-enfants, et un fils en bas âge, et malgré la télévision, dès que je leur raconte une histoire, je les sens accrochés à mes lèvres. Ils sont conquis. La réalité du contact et de la magie est toujours présente ! C’est simplement dommage que la transmission se fasse aujourd’hui plus par les médias et les livres que par les gens. C’est plus virtuel et artificiel… Mais d’un autre côté, les jeunes ont accès à des livres et des films extraordinaires et des personnages de jeux de rôle fascinants.

Vous n’avez pas envie d’écrire ces contes et légendes comme vous l’avez fait notamment dans l’introduction de Camp Volant ?

Oui. Si je n’avais pas dessiné, j’aurais probablement écrit ! Malheureusement, avec les Elfemerides, je n’aurai pas le temps d’écrire. Peut-être serai-je amené à rajouter des textes dans l’adaptation du Capitaine Trèfle, avec l’assentiment bien sûr de Pierre Dubois.

"Les aristochats", selon René Hausman
(c) R. Hausman.

Vous prévoyez de ressortir le « Grand Fabulaire du Petit Peuple » aux éditions Luzabelle, le label éditorial géré par votre épouse. Pourtant, Pierre Dubois a publié l’ensemble des textes chez Hoëbeke…

Oui. Nous répondrons les dessins qui ont été publié dans le magazine Spirou. Et pour les raisons que vous avez évoquées, nous adapterons quelques extraits du Fabulaire sous une autre forme en dessous de ces dessins. Nous avons l’intention de sortir ce livre, mais nous ne savons pas encore quand.

Il y aura-t-il d’autres rééditions ?

Dupuis va rééditer Les Fables de La Fontaine. J’aimerai voir une nouvelle édition du Roman de Renart et Les Contes de Perrault, que l’on trouve difficilement en librairie. Le Roman de Renart a été un tournant dans ma carrière, dans ma manière de travailler. Même si le dessin est inégal et manque d’unité.

Vous sentez-vous plus dessinateur de BD ou illustrateur ?

Illustrateur, sans aucun doute.

Est-ce pour cela que vous avez fait des incartades à la bande dessinée ?

Oui. J’ai dernièrement illustré L’Oiseau Bleu de Maeterlinck. J’ai également travaillé ces derniers mois pour le Musée de l’Homme de Spy. J’ai dessiné une fresque représentant une scène de chasse avec des hommes de Néandertal. J’ai également représenté un mammouth qui sera reproduit grandeur nature.

Illustration pour le livre "L’Oiseau Bleu" de M. Maeterlinck
(c) R. Hausman & Luc Pire.

Mis à part les auteurs que nous avons cité, quels sont ceux qui vous ont marqué ?

Calvo ! Je ne l’ai jamais rencontré malheureusement. C’est mon maître ! Sinon, il y a, dans une moindre mesure, Benjamin Rabier. Et beaucoup d’illustrateurs anglais du siècle passé : Edmond Dulac, Arthur Rackam, etc. J’aime aussi l’univers méconnu et, injustement oublié, de Jacques Laudy. Ce qu’il a publié dans le journal Bravo est extraordinaire. Il avait un sens de l’écriture en intégrant des jeux de mots bruxellois et français dans ses textes. J’ai eu la chance de le connaître un peu. Il fut l’un des auteurs à publier dans le premier numéro du journal de Tintin, avec Les 4 fils Aymon.
Un autre génie que j’ai rencontré quelques fois, sans avoir une réelle alchimie entre nous, c’est Jijé. Dans la moindre case de Jerry Spring, il y a bien plus que ce que Jijé était capable de faire dans ses peintures.

Quand sortira votre prochaine BD ?

Le livre chez Hoëbeke va prendre un an de mon temps. Après, j’adapterai le roman du Capitaine Trèfle en BD. Ce récit raconte l’histoire d’un petit marquis, au XVIII siècle, qui ressemble par certain aspect au Baron de Münchhausen. Il va poursuivre jusque dans les pôles des pirates qui parcourent le monde à la recherche de créatures fantastiques… L’album paraîtra très probablement aux éditions du Lombard. Je commencerai à le dessiner dans une bonne année.

Les "Fables de La Fontaine" illustrées par René Hausman paraîtront en octobre chez Dupuis
Couverture provisoire.

(par Nicolas Anspach)

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- René Hausman, le fabuleux fabuliste (mai 2007)
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Voir une interview vidéo de René Hausman sur le site de notre partenaire France Télévision.


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Lien vers le site des éditions Luzabelle et vers le site officiel de René Hausman.


Photo (c) Nicolas Anspach

 
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