Sixto au service du Polar

L’Ange Noir de Jean-Pierre Bathany et Jérôme Mathé

Ed. Sixto

Notre ami Gilles Ratier de l’ACBD nous le confirmera dans quelques jours : il y a ENCORE plus de bandes dessinées qui ont publiées en France cette année que l’année précédente.

Cette "surproduction" n’a rien de choquant, comme nous vous l’avons raconté. Elle rend cependant plus difficile la gestion des stocks en librairie, la visibilité des nouveautés et le lancement des numéro un de séries.

Par ailleurs, la situation économique (nous y reviendrons prochainement) fait que la librairie est un secteur sous pression et que le réflexe des éditeurs est d’aller vers les produits simples, parfaitement balisés, et des valeurs sûres. D’où la multiplication des spin-offs et une concentration de la promotion sur des marques et des auteurs connus et reconnus, quitte à réduire la production des nouveautés, comme certains grands éditeurs s’apprêtent à le faire, de 8 à 20%.

Danse Macabre de Keraval & Monnerais

Ed. Sixto

Ces grandes manœuvres concernent peu les "petits" éditeurs dont les tirages pèsent de façon insignifiante sur le marché (1000 ex. environ sur quelque 40 millions d’albums de BD vendus en France). Pour eux, comme pour leurs auteurs, il y a simplement la nécessité d’exister, puis de durer, jusqu’à ce qu’un titre de la collection démarre et permette de payer les premiers salaires.

À quelques exceptions près, toutes les maisons d’édition se sont créées de cette façon : Glénat avec un fanzine ronéotypé, Delcourt avec un premier album qui n’a pas été (tout de suite) un best-seller. Même Dupuis et Casterman à leurs débuts devaient le financement de leur activité d’édition au chiffre d’affaire de leur imprimerie. De la même façon, combien d’auteurs ne font pas pour vivre entre deux albums l’un ou l’autre travaux de commande ?

Les éditions Sixto ne dérogent pas de ces règles. En créant une collection de polars, CasaNostra, ils se positionnent sur un segment balisé, offrant des récits qui s’écartent peu finalement des Casterman / Rivage Noir, voire même des Leo Mallet de Tardi. Mais ils l’ancrent le plus souvent dans leur région : Nantes, Rennes, Saint-Malo... Si bien que ces productions restent presqu’inconnues du reste du pays. C’est une des autres dimensions de la production actuelle : sa grande disparité géographique

Danse Macabre d’Olivier Keraval (Scénario) et Luc Monnerais (dessins), avec son enquêteur parisien prenant en charge le dossier d’un notable accusé de meurtre et qui passe subitement de vie à trépas, juste après une première entrevue où il clamait son innocence. Une enquête simenonienne qui fleure bon la province.

Danse Macabre de Keraval & Monnerais

(C) Ed. Sixto

L’Ange noir de Jean-Pierre Bathany (scénario) et Jérôme Mathé (dessins) se situe à Nantes. L’assassinat d’une avocate interpelle un flic un peu rebelle. Le ciel gris, les paysages périurbains prêtent parfaitement leurs décors à ce récit somme toute classique.

Ce qui nous tire davantage l’œil, c’est ce Saint-Mal écrit et dessiné par Lambda. Il offre, entre Saint-Malo et Tchernobyl, une quête d’identité au rythme étrange et, si le dessin s’avère parfois maladroit, comme pour les autres titres de la collection, les atmosphères qui s’en dégagent sont suffisamment séduisantes pour qu’on se dise que ce Lambda n’est pas n’importe qui.

Avec trois albums publiés en un an, tirés à 1000 exemplaires, notre petit label nantais n’est pas dans la "surproduction". Ce serait d’autant plus difficile qu’elle se diffuse et se distribue elle-même, ce qui lui interdit bien des circuits de distribution. Elle a cependant joui de quelques retirages et leur quatrième album est une commande de la SNCF.

Comme dirait Werner Herzog : "Les nains aussi ont commencé petits."

Saint-Mal de Lambda

(c) Ed. Sixto