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Thierry Van Hasselt : « C’est un livre qui vient d’une colère profonde » [PODCAST]

Par Didier Pasamonik (L’Agence BD) Romain GARNIER le 13 octobre 2023                      Lien  
Né en 1969, Thierry Van Hasselt a décidé très tôt qu’il ne serait pas un dessinateur de petits mickeys. Ce qui l’intéresse, c’est la « littérature graphique ». Dans la classe de bande dessinée de l’institut Saint-Luc à Bruxelles, il rencontre Olivier Deprez avec qui il fonde le collectif Frigoproduction qui aboutit à la création de la maison d’édition Fréon. Celle-ci fusionne avec le label parisien Amok d’Yvan Alagbé et devient Frémok. Son approche est, comme pour la plupart des productions de Frémok, expérimentale, d’une grande exigence artistique, s’employant à sortir la bande dessinée de ses cases en multipliant les défis techniques dans un souci d’interdisciplinarité.

« À Bruxelles, dit-il dans le podcast, j’ai rencontré là un certain nombre de jeunes artistes formidables avec lesquels on a créé un premier collectif qui s’appelait Frigo Production et puis ça s’est transformé au fil des ans en Fréon et puis on a fusionné avec une autre maison d’édition parisienne qui s’appelait Amok et c’est devenu le Frémok. On est passés d’un collectif à une maison d’édition vraiment dédiée à l’expérimentation et à la bande dessinée de création, la bande dessinée expérimentale. Je parle de maison d’édition, mais on est plutôt vraiment une plateforme de création parce qu’on fait de l’édition, mais ça ne nous empêche pas aussi de travailler, d’essayer de faire des hybridations entre la bande dessinée et d’autres domaines des arts, que ce soit les arts de la scène, le cinéma, la littérature, la poésie. Donc on a créé une structure qui nous permet d ’être très très mobile et de partir de la bande dessinée mais d’aérer avec beaucoup de liberté entre les différents domaines. »

Propos recueillis par Didier Pasamonik et Romain Garnier

Un acteur de la révolution de la BD des années 1990

Car on ne peut pas comprendre la démarche de Thierry Van Hasselt, comme de bien d’autres artistes qui abordent la bande dessinée dans les années 1990 sans en appréhender le contexte. Jusque-là, l’industrie était formatée par la presse et son pendant découvert depuis 40 ans : l’album.

Pilote, puis Charlie Mensuel, Métal Hurlant et (A Suivre) l’avaient poussée dans des retranchements formels. La bande dessinée était devenue poétique (de Fred à Colman Cohen et Moebius…), littéraire (du Greg d’Achille Talon aux univers de Francis Masse ou de Daniel Goossens…), politique (Tardi, Christin…).

La technique de reproduction avait bougé aussi : l’arrivée des scanners rotatifs puis des scanners domestiques au tournant des années 1970 avait permis l’émergence d’une bande dessinée picturale (Druillet, Corben, Bilal, Mattotti, Alex Barbier…). Mais pour le gros de l’industrie, rien n’avait changé : le dessin au trait avec des couleurs sans trop de modelés « à la Tintin », des albums d’une soixantaine de pages… restaient les normes imposées par les habitudes de consommation et l’environnement commercial.

« Frémok apparaît dans les années 1990 à un moment où le paysage éditorial est devenu un petit peu frileux voire carrément réactionnaire, ajoute Thierry Van Hasselt toujours dans le podcast : pas trop de moyens ou pas trop d’ouverture de l’expérimentation et donc c’est à ce moment-là où beaucoup de collectifs commencent à émerger un peu partout en Europe. On pense aux plus connus : à L’Association en France, mais il y a des initiatives comme Strapazin en Allemagne, Còmic en Revolta en Espagne. Il faut prendre un peu de recul, et voir que c’est un mouvement qui est européen, voire mondial en fait puisqu’il y a le magazine d’Art Spiegelman, Raw, qui était aussi pour nous un modèle un peu avant aux États -Unis, et donc en fait ce sont des auteurs qui décident de créer des maisons d’édition pour avoir un peu plus d’autonomie et de liberté de création. »

La nouvelle génération dite de « la bande dessinée indépendante » se développa sur des processus de microéditions, résultant aux aussi des évolutions techniques (chute des coûts de photogravure, méthode d’impression de tirage court, impression à la demande…)

Thierry Van Hasselt : « C'est un livre qui vient d'une colère profonde » [PODCAST]
La dernière publication de Thierry Van Hasselt : "La Véritable histoire de Saint-Nicolas" (Frémok)

Des techniques nouvelles de création

Le premier livre de Thierry Van Hasselt, Gloria Lopez (Frémok, 2000), représente bien cette nouvelle donne. Imprimé en monotype, une technique apparentée à la gravure caractérisée par un dessin à l’encre de gravure, au pinceau sur une plaque de plexiglas, travaillé ensuite avec du White Spirit. Cela donne un dessin flou, aléatoire, dont la structure se retrouve aussi dans le scénario, inspiré du Marquis de Sade : nous sommes dans le milieu des bordels, dans les années 1930, en Amérique du Sud. Rien n’est figé dans ce récit qui progresse comme un bateau ivre. La lecture devient expérience.

La « carrière » de Thierry Van Hasselt n’est pas moins floue et se résume par une addition d’expériences, justement, dans un esprit pluridisciplinaire : il est éditeur pour Frémok, scénographe avec Karine Ponties, danseuse et chorégraphe de la compagnie Dame de pic, plasticien notamment sur un dessin animé expérimental utilisé dans un spectacle, graphiste et enseignant à l’ESA Saint-Luc, etc.

Ces dernières années, pour le Frémok, il s’associe avec d’autres auteurs avec La « S » centre d’art brut contemporain à Vielsalm. Il collabore avec l’un de ses résidents, l’artiste Marcel Schmitz, à la création de Vivre à FranDisco, une création en volume exposée la Fondation Vasarely, le Palais du Facteur Cheval, la galerie Agnès B. à Pars, ou le Cartoon Museum de Bâle. L’univers développé devient galactique, ce qui produit un journal, Planète 2, et une expo aux rencontres d’Aix-en-Provence où interviennent diverses collaborations avec d’autres artistes.

Son dernier opus La Véritable histoire de Saint-Nicolas (un thème issu de FranDisco), est une bande dessinée muette au rotring et à l’aquarelle, dans laquelle il imagine, dans un contexte où la planète est sur le point de collapser, le célèbre saint des enfants à la tête d’une armée de moutards se révoltant contre ce chaos.

"La Véritable histoire de Saint-Nicolas"
© Thierry Van Hasselt
"La Véritable histoire de Saint-Nicolas"
© Thirrey Van Hasselt

C’est contemporain (quelques scènes de violences policières sont présente), poétique et grotesque -entre Swift et Rabelais, surréaliste et même un peu saint-sulpicien tant la figure de Saint-Nicolas reste vénérée. Mais rassurez-vous : cela reste subversif, le festival Formula Bula lui a décerné son premier prix cette année. En attendant un Fauve d’or à Angoulême ?

"La Véritable histoire de Saint-Nicolas"
© Thierry Van Hasselt
"La Véritable histoire de Saint-Nicolas"
© Thierry Van hasselt

Une grande exposition des œuvres de Van Hasselt a lieu à la Galerie Martel -le galeriste de Spiegelman, Crumb, Joost Swarte, et Chris Ware...- jusqu’au 11 novembre 2023. Pour ceux d’entre vous qui peuvent se le permettre, sachez que la Saint-Nicolas se fête un peu avant Noël, le 6 décembre, vous savez ce qu’il vous reste à faire 😉

Voir en ligne : LE SITE DE LA GALERIE MARTEL

(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))

(par Romain GARNIER)

Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.

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Code EAN : 9782390220404

Thierry Van Hasselt à la Galerie Martel
du 12 octobre au 11 novembre 2023.
17 rue Martel - 75010 Paris
Tél. : +33(0)1 42 46 35 09
Ouverture
de 14h30 à 19h00
du mardi au samedi

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