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Une année à l’Élysée vue par Mathieu Sapin

Par Tristan MARTINE le 15 mai 2015                      Lien  
En 2014, les services de communication du président François Hollande autorisèrent pour la première fois un auteur de bande dessinée, Mathieu Sapin, à faire un reportage sur le "château". Une immersion dans le quotidien du palais de l’Élysée, côté coulisses...

Le 6 mai dernier, les médias rappelaient le troisième anniversaire de l’élection de François Hollande. À cette occasion, les services de communication de l’Élysée semblent avoir voulu ouvrir les portes du palais présidentiel, pour montrer au grand public le président au travail, en autorisant V. Schneider et J.-C. Coutausse à rédiger un livre agrémenté de photographies (L’Énigmatique M. Hollande, Stock), les émissions « Zone interdite » de M6 et « Le Supplément » de Canal + à diffuser deux reportages, en acceptant également que le réalisateur Yves Jeuland suive le président, une caméra à la main, pour un projet de documentaire télévisé, et donc, également, en laissant le dessinateur Mathieu Sapin s’imprégner de l’ambiance de l’Élysée pendant plusieurs mois.
Une année à l'Élysée vue par Mathieu Sapin
Après avoir réalisé plusieurs bandes dessinées dans des registres très différents, Mathieu Sapin, sur le conseil de Lewis Trondheim, s’est lancé dans un genre actuellement en vogue : le reportage dessiné. Après avoir suivi le tournage du film de Joann Sfar, Gainsbourg, vie héroïque, il réalisa un reportage sur le journal Libération, puis un autre pour ce même journal sur la campagne du candidat Hollande en 2012.

À peine le candidat devenu président, Mathieu Sapin essaya de s’incruster à l’Élysée pour continuer son reportage. Mais il eut beau contacter tous les conseillers en communication, écrire à Valérie Trierweiler ou rencontrer Aquilino Morelle, l’information ne parvint manifestement pas à F. Hollande.

C’est finalement en envoyant directement un SMS à ce dernier qu’il fut autorisé à l’été 2013, après plus d’un an d’attente, à venir poser son carnet au palais présidentiel. Initialement, son reportage devait durer six mois, mais il dura un peu plus d’un an, jusqu’à la coupe du monde 2014, et connut même un prolongement initialement non prévu, en janvier dernier, quand Mathieu Sapin ressentit le besoin de venir à l’Élysée au moment des attentats contre Charlie Hebdo.

Dans ses précédents reportages dessinés, M. Sapin, homme de gauche, ami de Sfar, traitait ses sujets d’une manière globalement peu critique, mais tel n’était pas son angle d’attaque. Alors que F. Hollande et ses conseillers en communication insistent là encore pour que la bande dessinée décrive l’action politique, ce n’est pas ce qui intéresse le dessinateur. « Mon angle c’est : « L’Élysée comment ça marche ? », les gens, l’histoire du bâtiment, qui fait quoi ?, etc. Mais je ne vais pas m’aventurer à commenter la politique ou à suivre ses déplacements… […] Moi, c’est autant le lieu que le personnage qui m’intéressent. Comment le lieu influence la politique (ou l’inverse)  ».

«  L’idée c’est vraiment de répondre à une curiosité des Français à l’égard de ce lieu de pouvoir qu’est l’Élysée  » explique en début d’album le dessinateur au président, qui lui répond : « L’Élysée appartient à tous et doit être ouvert au désir et à la connaissance de chacun, et ça permettra de montrer qu’il est inutile de chercher à dévoiler des secrets, puisque ici il n’y en a pas  ». De fait, cet album ne nous montre aucun secret, puisque les vrais secrets sont avant tout d’ordre politique à l’Élysée, et que ce n’est pas à cette dimension que s’intéresse M. Sapin, qui ne remplit pas ici la fonction de journaliste politique, mais bien plutôt celle de chroniqueur du quotidien.

On pourrait bien sûr le lui reprocher, et d’aucuns ne manqueront pas de critiquer l’absence de sens critique du dessinateur non-engagé. Mais cette immersion dans le quotidien d’un palais présidentiel est sûrement plus précieuse qu’un brûlot pro- ou anti-Hollande, il nous donne à voir le bal des courtisans, la danse des petites-mains qui font qu’une telle machine peut exister, autant d’éléments quasi intemporels et en tout cas très intéressants.

Que faire des photos de N. Sarkozy qui ornaient les murs de chaque pièce de l’Élysée ? Comment expliquer au président la position dans laquelle il doit se mettre si on lui tire dessus ? Comment dissimuler les imperfections d’un mur en vue d’un direct télévisé ? Comment Sarkozy avait-il essayé de raccourcir les dîners d’État en supprimant le fromage ? Comment mettre aux normes hygiéniques les vieilles cuisines élyséennes ? Pourquoi installer un dojo dans les caves ? De qui est composée l’équipe de rugby de l’Élysée ? Quel type de fleurs mettre quand le président chinois vient en visite ? Que faire du saké laissé par J. Chirac à son départ ? Que faire si un garde républicain s’évanouit suite à une insolation ? Que font les ministres de leur téléphone portable pendant le conseil des ministres ? Combien de discours François Hollande peut-il enchaîner en une journée de séjour à l’étranger ? Comment organise-t-il lui-même ses « off » pour faire passer directement ses messages, que l’on retrouve dans la presse sous la formule « selon l’entourage du président » ? Autant de questions qui peuvent paraître secondaires, mais qui sont les aspects concrets du quotidien de ce lieu de pouvoir, qui est aussi le lieu de vie et de travail de centaines de personnes.

Des moments de crise politique sont vécus par M. Sapin (l’affaire Gayet, l’annexion de la Crimée, les attentats de janvier), mais ils sont justement vus par le prisme du regard décalé et humoristique de l’auteur. Au moment des tensions extrêmes autour de la mainmise russe sur la Crimée, il se demande comment Hollande arrive à jongler dans son emploi du temps entre des remises de décorations interminables et ses appels à Sergueï Lavrov et John Kerry  ; quand Aquilino Morelle démissionne, les attachés de presse s’amusent de ce que les chaussures de Hollande aient toujours été beaucoup moins bien cirées que celles de son ancien conseiller ; le jour des attentats, M. Sapin s’étonne de ce qu’un des membres du personnel de l’Élysée ne soit pas au courant de ce qui se passe une douzaine d’heures après l’attentat alors que toute la France est en émoi.

Bref, on n’a pas ici affaire à une bande dessinée politique, à peine à une BD sur la politique, mais bien à un documentaire sur le quotidien de ceux qui entourent la tête de l’État, du jardinier au ministre. Il ne s’agit pas d’une analyse du spectacle qui se joue, mais plutôt de la manière dont les acteurs se comportent avant d’entrer sur scène et en coulisse. Ce n’est que par son aspect « comm’ » que l’on nous montre la politique, vue par ceux qui la fabriquent (notamment les journalistes et la myriade de conseillers qui se concurrencent entre eux). Les seuls jugements (portés par des journalistes) sur Hollande concernent d’ailleurs sa « comm’ » : «  Hollande, il est bon, mais il est tout seul ! C’est ça son problème », déclare l’un, tandis que l’autre explique que le président est trop sympathique avec les journalistes, qu’il ne les méprise pas assez, à l’inverse de Sarkozy, ce qui finit par nuire à sa stature présidentielle auprès d’eux….

Quand il décrivait les coulisses de Libération, ou le tournage de son film par Sfar, Sapin faisait déjà finalement la même chose : décortiquer la construction artisanale d’un discours destiné à être compris au mieux par le grand public.

Les dorures des salons élyséens qui servent de toile de fond à l’album font naturellement penser à celles omniprésentes dans les planches de Quai d’Orsay, sous la plume de Blain, qui partage d’ailleurs avec Joann Sfar et Riad Sattouf le même atelier que Mathieu Sapin (l’atelier de la Société nationale de bande dessinée). Mais là où le rythme effréné, la course haletante, le mouvement perpétuel était au cœur même de l’album primé à Angoulême, ici on parle davantage de rythme qu’on ne le montre, la faute au dessin de Sapin, loin d’être aussi virtuose que celui du grand Blain. Le cadrage est néanmoins vif et la narration dynamique, on ne s’ennuie à aucun moment. Par ailleurs, le dessin de Sapin est bien loin d’être mis en valeur par la colorisation, d’une faiblesse absolue : la palette utilisée est étrange, avec des couleurs criardes et sans nuance.

Bref, cette bande dessinée porte bien son nom, elle nous décrit minutieusement un château un peu particulier, « un ensemble de bâtisses bizarrement foutu  », dont elle arrive à bien rendre l’atmosphère. Dans son roman, Le Château, Kafka décrivait un palais inaccessible. M. Sapin réussit le tour de force de nous y faire entrer par la petite porte.

(par Tristan MARTINE)

Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.

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