Ce pamphlet interdit de publication depuis la guerre, et on le comprend tant il déverse une haine antisémite irraisonnée et d’une rare violence, sert de point de comparaison à un spécialiste de Céline, l’auteur de Voyage au Bout de la Nuit, pour étayer une conviction que l’auteur exprime dans une interview publiée par le magazine Lire de cet été : Celle que le père de Tintin a mis dans la bouche du capitaine Haddock plusieurs jurons inventés par Louis-Ferdinand Céline pour son livre Bagatelles pour un massacre.
Brami commence par faire des comparaisons de date : 1938 entre la publication du livre de Céline et 1940 pour Haddock. Il ajoute : « Si l’on exclut ceux relevant du lexique de la marine (’Marins d’eau douce !’, ’Mille sabords !’, etc), propres à la profession du capitaine, on s’aperçoit que, sur les 35 jurons restant, 14 se trouvaient dans ‘Bagatelles’. » Il poursuit : « Si certaines de ces injures communes à Céline et à Hergé sont assez classiques (’Parasite’, ’Renégat’), d’autres coïncidences sont vraiment troublantes : ’Aztèque’, ’Noix de coco’, ’Iconoclaste’... On trouve déjà le célèbre ’Sapajou’ dans ’Bagatelles’, qui fera son apparition dans la bouche du capitaine Haddock dans ’L’Etoile mystérieuse’, l’aventure suivant immédiatement ’Le Crabe aux Pinces d’or’ ». Il remarque que l’emblématique ’Ornithorynx’ apparaît à la page 68 de ’Bagatelles’ . Il souligne notamment le caractère raciste de ces injures.
Nous ne sommes pas convaincus par la thèse de M. Brami. Comparaison n’est pas raison. Il est même douteux qu’un homme dont un de ses collaborateurs proches de cette époque, Jacques Van Melkebeke, disait qu’ « il n’avait pas lu trois livres dans sa vie » ait jamais lu un écrivain comme Céline dont la verve éructée, l’écriture-crachat, étaient à mille lieues d’un Hergé sans cesse à la recherche du compromis.
En fait, cette recherche des analogies ressemble pas mal au travail fait par Tomasi et Deligne (Tintin chez Jules Verne)) qui trouvait plus de 200 points de comparaison entre l’auteur de Vingt Mille Lieues sous les Mers et celui du Secret de la Licorne. Il concluait sur le fait que ces influences étaient surtout dues à Jacques Van Melkebeke, son scénariste de l’ombre, dont le lumineux livre de Benoit Mouchart (A l’ombre de la Ligne Claire) a montré le tortueux parcours à l’ombre des maîtres de l’Ecole belge.
Bien entendu, Hergé est une cible facile : il a commis en 1942 un dessin antisémite inacceptable (absent de l’album pourtant publié en 1943), dans un journal -Le Soir « volé »- porte-parole nazi sous l’Occupation. Il y a chez lui, c’est vrai, des traces d’antisémitisme ordinaire propre à un habitus belge dont nous aurons l’occasion de reparler. Mais il porte un peu seul le chapeau d’une génération toute entière contaminée par l’idéologie raciste antisémite. Cette nouvelle analyse constitue une nouvelle preuve à charge qui ne manque pas de pertinence, à défaut de clairvoyance, mais qui nous semble davantage encline à profiter de la notoriété de Tintin que de restituer une analyse objective du contexte culturel de l’époque.
(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))
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En médaillon : Dessin de Hergé. (C) Moulinsart.
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