Depuis la création des premiers clubs de la bande dessinée dans les années 1960, le mépris a toujours été affiché pour cet objet entré dans le langage populaire sous le vocable d’Image d’Épinal.
L’image d’Épinal est une estampe de format 40x50 cm imprimée en recto constituant littéralement une bande dessinée, c’est-à-dire une suite d’images racontant une histoire. Ces images apparaissent au tournant du XIXe siècle lorsque Jean-Charles Pellerin, issu d’une famille de graveurs sur bois, imprimeurs d’imagiers installés à Épinal en 1735 décida de diversifier une production de cartier (fabricant de cartes à jouer) et de minoterie (fabrication de papier peint) avec des planches didactiques, perpétuant une tradition déjà ancienne d’images votives racontant des vies de saints le plus souvent invoqués pour protéger la maison des malheurs de la vie (contre la maladie, les voleurs, les mauvaises récoltes…). Ces images étaient vendues par des colporteurs.
Jean-Charles Pellerin profite d’un contexte qui va favoriser la diffusion de l’image durant tout le siècle : la fabrication industrielle du papier et des encres, la mécanisation de l’impression, le développement de la caricature et du dessin de presse à la suite de l’effondrement de l’ancien régime et de la suppression des privilèges royaux et cléricaux sur l’imprimerie, enfin la diffusion qui se répand au milieu du siècle grâce à la création du chemin de fer, et qui se popularise grâce à l’alphabétisation des masses à la suite de la loi Guizot sur l’enseignement élémentaire (1833).
Nous sommes vraiment là sur les fonds baptismaux de la bande dessinée. Mais pour différentes raisons (ses origines cléricales, son usage par la propagande napoléonienne peut-être…), l’image d’Épinal traîne une mauvaise réputation. Dans le langage courant, elle désigne une représentation criarde et grossière. Dans les débuts de l’habilitation de la bande dessinée à partir des années 1960, la production spinalienne est écartée avec mépris. Seule la bande dessinée des journaux et des albums est digne d’intérêt.
Il semble, à lire le dossier de presse, que ce mépris persiste : on parle de la mauvaise réputation de la bande dessinée, on met en avant Rodolphe Töpffer, prétendu fondateur de la bande dessinée moderne qui n’a rien à voir avec ce type de production, on parle de bulles (dont les images spinaliennes sont dépourvues) et de « gaufrier » pour mieux s’étonner du travail des artistes qui (très tardivement) s’en affranchissent. Comme si l’image d’Épinal n’était qu’une suite d’illustrations d’un texte. Pourtant, le rapport texte-image, le jeu inter-iconique, la fantaisie graphique, le lien à l’actualité sont déjà très présents dès le début du siècle.
Les premiers auteurs-graveurs (Antoine Réveillé, François Georgin, Charles-François Pinot,…) connus pour leur production et collectionnés comme tels sont concurrencés à la fin du siècle par les illustrateurs venus de la presse (Caran d’Ache, Steinlen, Rabier, Hansi…) quand la technique de la photogravure déclasse les graveurs manuels.
Pourtant, le langage de l’image se forge dans ces publications, parallèlement aux revues et aux feuilles satiriques qui pullulent dans la dernière partie du siècle. Elles coexisteront jusqu’à la Guerre de 1914, l’illustration se voyant supplantée par la photo, la presse périodique et le livre rendant obsolète l’estampe affichée dans les classes et les chaumières.
L’Image d’Épinal n’a donc pas à avoir le complexe de la bande dessinée et la nouvelle génération des historiens ferait bien de s’y pencher avec un esprit curieux.
(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))
Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.