La jeune ballerine révélée à New York dans une première de Giselle en 1943 va se retrouver très vite propulsée au sommet de la gloire et pendant plus d’un demi-siècle. Sans jamais quitter Cuba, malgré de nombreuses propositions à l’étranger, la Prima ballerina Assoluta va créer une école à part dans le monde du ballet. Son école cubaine réussira la fusion entre rythmes et origines diversifiés donnant ainsi naissance à un style particulier et original.
En dépit de la quasi-cécité qui la frappe à l’âge de vingt ans, la diva ne cessera de promouvoir son art auprès du public international mais aussi de transmettre auprès des générations suivantes. Parallèlement le récit nous invite à suivre le parcours d’Amanda, une ballerine en devenir dans le Cuba de 2011 ou encore celui de sa mère Manuela à la fin des années 1950.
Trois destins, trois vies qui se croisent et se confondent dans un Cuba où règnent la débrouille et l’entraide mais aussi la dénonciation et le marché noir. La démocratisation de la danse classique se conjugue alors avec l’avènement du régime castriste pour lui servir de vitrine sur la scène internationale. Néanmoins au sein de l’école, la compétition reste rude, prétexte à rivalités, joies et déception pour les jeunes ballerines qui veulent marcher sur les traces de la grande Alicia !
Les amateurs se souviennent de cette danseuse au long cou, au tempérament bien trempé, séduisant encore le public à 40 ans passés dans le Lac des Cygnes ! Chorégraphe passionnée et exigeante, Alicia Alfonso continuera d’enseigner son art jusqu’à la toute fin de sa vie en 2019 à 98 ans. L’interprète exceptionnelle de Giselle a réussi à susciter des vocations dans son pays, jouant sans doute malgré elle le rôle d’ambassadrice du Cuba de Fidel Castro.
Scénariste et réalisatrice d’un court métrage déjà consacrée à la Prima Ballerina Assoluta, Eileen Hofer parvient à inscrire dans l’histoire de Cuba les enjeux personnels et artistiques de la danseuse. Surfant avec habileté sur trois périodes caractéristiques de l’histoire cubaine et trois destins différents mais reliés par une même passion dévorante, le scénario renvoie une image sans concession d’un Cuba oublié ou méconnu.
Au delà du registre classique d’un biopic, les autrices alternent les époques, les destins et l’histoire, pour nous tenir en haleine tout au long du récit. Eileen Hofer est parvenue à capter le charisme de cette « légende » du Ballet national en privilégiant une approche esthétique et presque poétique. De son côté, Mayalen Goust n’est pas une inconnue chez Rue de Sèvres : on lui doit notamment l’illustration de la série Kamarades(avec Benoît Abtey)et le one-shot Vies volées, sur un scénario de Matz. Ici, elle use de son style fin et élégant, les tons pastels se révèlent totalement en accord avec l’esprit et les ambiances douces et colorées pour donner à cette histoire un aspect poétique et... politique ! Un bel hommage aux arts de la danse grâce à une habile combinaison entre fiction et réalité.
(par Patrice Gentilhomme)
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