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"Alors que j’essayais d’être quelqu’un de bien" (Ulli Lust) : l’autobiographie d’une artiste libre

Par Frédéric HOJLO le 6 décembre 2017                      Lien  
La dessinatrice Ulli Lust revient à l'autobiographie, sept ans après "Trop n'est pas assez". Nous la retrouvons aux Éditions çà & là qui publient "Alors que j'essayais d'être quelqu'un de bien", racontant son amour pour deux hommes. D'une sensibilité et d'une honnêteté hors du commun, son nouvel ouvrage constitue une des plus belles parutions de cette fin d'année.

Avec Trop n’est pas assez (Éditions çà & là, 2010), Ulli Lust prenait le parti de se montrer en toute franchise, n’éludant que peu de détails. Alors que j’essayais d’être quelqu’un de bien, dont l’action de situe cinq ans après celle du volume précédent, reprend ce principe, lui donnant peut-être encore davantage d’ampleur et de profondeur.

Ulli Lust raconte dans ce nouvel ouvrage quelques mois de sa jeunesse, au début des années 1990. Le récit, centré sur son amour pour deux hommes, se déroule lorsqu’elle a vingt-trois ans et vit à Vienne [1] où elle tente de faire éditer son premier livre destiné aux jeunes lecteurs. Elle semble alors trouver une certaine stabilité sentimentale auprès de Georg, certes plus âgé qu’elle mais avec qui elle partage une belle complicité et une grande proximité intellectuelle et morale. Elle demeure cependant partagée entre sa vie à Vienne et la campagne qui l’a vue grandir, où son propre fils Philipp réside.

L’équilibre d’Ulli reste malgré tout fragile. Elle peine à tirer suffisamment de revenus des allocations chômage ou des petits boulots qu’elle doit accepter pour satisfaire le système social autrichien. Elle multiplie les trajets entre Vienne et son village natal, afin de voir son fils qu’elle a confié à ses parents, ce qui ne suffit pas à éviter la culpabilité liée à l’absence et aux reproches qu’elle entend parfois. Sa relation avec Georg lui apporte un réel épanouissement, mais sa libido ne coïncide guère avec les doutes et la perte de désir de son compagnon. Elle est enfin déterminée à vivre de son art, le dessin, sans pour autant parvenir à entrer dans une école qui lui ouvrirait plus aisément la voie de l’édition.

Ce retour de la dessinatrice à l’autobiographie, après l’adaptation du roman de Marcel Beyer Voix de la Nuit (Éditions çà & là, 2014), séduira même les lecteurs un peu lassés de cette voie très - trop ? - empruntée en bande dessinée depuis quelques années. Ulli Lust s’y décrit avec une honnêteté rare, n’omettant ni ses hésitations ni ses faiblesses, assumant ses décisions et, surtout, sa liberté.

"Alors que j'essayais d'être quelqu'un de bien" (Ulli Lust) : l'autobiographie d'une artiste libre
Alors que j’essayais d’être quelqu’un de bien © Ulli Lust / Éditions çà & là 2017
Alors que j’essayais d’être quelqu’un de bien © Ulli Lust / Éditions çà & là 2017

Car il est beaucoup question de liberté dans ce livre, davantage que de sexualité, de jalousie ou de violence. Certes la passion d’Ulli pour Kimata, jeune nigérian qu’elle rencontre au moment où sa relation avec Georg entre dans une longue parenthèse (du moins dans sa dimension la plus intime) est fondée sur la chaleur de leurs ébats. Mais si l’artiste souligne la puissance de son désir et la force du plaisir, elle met l’accent sur l’importance concomitante de ses deux relations. Liée charnellement à Kimata, elle ne veut pas pour autant se passer de son amour pour Georg - et inversement. Elle souhaite, simplement, être libre de ne pas choisir entre l’un et l’autre.

Cette liberté se retrouve dans le ton du récit. Ulli Lust présente tous les aspects de ses deux relations, du plus banal au plus intime. Elle dresse en parallèle le portrait d’une jeune femme déterminée mais ouverte aux questionnements, dynamique et cependant réfléchie, aimant son fils mais désireuse d’accomplir avant tout ce qu’elle considère presque comme un impératif, celui de vivre de son art. La façon dont elle débute sa carrière de dessinatrice témoigne de son opiniâtreté. La suite lui aura donné raison, elle qui fut récompensée pour Trop n’est pas assez du Prix Révélation au FIBD 2011 et du Prix Artémisia 2011, et qui reçut le Prix Max und Moritz de la meilleure artiste de bande dessinée de langue allemande en 2014.

Liberté de forme enfin. Ulli Lust ne s’astreint pas à un canevas prédéterminé ou à une pagination limitée. Son récit est ample, se déroulant sur plus de 350 pages, ce qui n’empêche pas pour autant les moments d’accélération et les ellipses. Son dessin est en général sobre, presque sage, parfois précis, parfois plus évocateur. Mais son trait se fait plus dur voire violent quand elle représente les crises de jalousie de Kimata, ou au contraire plus souple et délié quand il s’agit de faire revivre leurs nuits d’amour.

La composition de ses pages suit également le rythme de ses changements d’humeur. Au gré des émotions et des sentiments, les cases se font plus ou moins nombreuses, plus ou moins larges, plus ou moins rigides. Il arrive même qu’elles disparaissent, dans les moments les plus intenses du récit, ou laissent la place à de superbes pleines pages.

Il n’est pas étonnant, et il est même rassurant, de retrouver cet ouvrage dans la sélection officielle du prochain FIBD. Ulli Lust parvient, dans un genre pourtant devenu parmi les plus usités, à passionner le lecteur tout au long de son récit. Les pages les plus marquantes concernent bien sûr sa relation avec Kimata, mais bien d’autres aspects de sa vie sont développés, nous en apprenant ainsi davantage sur sa personnalité et son parcours. Elle adapte subtilement son dessin et sa composition au ton du récit et aux émotions qu’elle-même a pu ressentir, entraînant ainsi le lecteur tout en évitant le manichéisme. Alors que j’essayais d’être quelqu’un de bien est donc l’un des livres à ne pas manquer en cette fin d’année !

Voir en ligne : Le site de l’autrice

(par Frédéric HOJLO)

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Code EAN : 9782369902461

Alors que j’essayais d’être quelqu’un de bien - par Ulli Lust - Éditions çà & là - titre original : Wie ich Versuchte ein Guter Mensch zu sein - traduit de l’allemand par Paul Derouet - 368 pages en bichromie - 17 x 23 cm - couverture souple avec rabats - parution le 14 novembre 2017 - commander ce livre chez Amazon ou à la FNAC.

Consulter le site de l’autrice.

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[1Née à Vienne, Ulli Lust vit et travaille à Berlin depuis 1995.

 
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