"Francis" de Loputyn, une sorcière qui passe à l’âge adulte

La maison d’édition Shockdom annonçait il y a quelques semaines, son arrivée sur les marchés francophone et espagnol, en dépit de la pandémie et d’une production déjà abondante : « Depuis septembre dernier, les titres Shockdom sont distribués en France et en Espagne, respectivement par Makassar et SD Distribuciones. La maison d’édition fondée et dirigée par Lucio Staiano a décidé de suivre un chemin difficile pour présenter ses livres à l’étranger : au lieu de céder les droits à d’autres éditeurs, elle a choisi d’être directement présente sur le marché », expliquaient-ils dans un communiqué.

L’éditeur annonce un titre par mois de septembre à décembre, puis « la publication des albums augmentera à partir de janvier 2021 avec un rythme d’au moins trois titres par mois. La stratégie éditoriale pour la fin d’année est la même dans les deux pays : la publication d’ouvrages importants. » Intrigués, nous avons lu le premier titre paru en septembre, Francis, réalisé par Loputyn. Et le moins que l’on puisse dire, c’est que ce premier one-shot nous a conquis !

Plantons d’abord le décor : Métillia et Camilia sont les deux sorcières les plus prometteuses de leur clan. Mais elles sont aussi différentes l’une que l’autre. Tandis que Camilia travaille sans relâche, Métillia néglige ses devoirs de sorcière pour faire la fête et profiter de sa jeunesse.

Désormais, peu de temps les sépare de l’épreuve la plus importante de leur vie de sorcière : accomplir le rituel qui désignera la future chef du clan parmi ces deux jeunes filles. Si Camilia est prête pour cette épreuve, Métillia n’a pas réussi à prendre en main son destin. Toutefois, la toute dernière nuit, les brumes de l’alcool offrent à cette dernière une rencontre favorable qui lui permettra peut-être de renverser la situation : Francis, un esprit paresseux, mesquin et vicieux qui aime prendre l’apparence d’un renard. Francis pourra-t-il aider Métillia ? Mais de quelle façon ? Le temps presse car la nuit touche à sa fin...

Jessica Cioffi, alias Loputyn est une autrice italienne qui a fréquenté l’Académie des Beaux-Arts de Bergame avant de se consacrer en autodidacte au dessin et à l’illustration. Dès 2015, elle publie sa première bande dessinée, Cotton Tales, suivie par quatre autres ouvrages, tout en travaillant dans le domaine de la mode. « De toutes les histoires que j’ai partagées avec [les lecteurs], "Francis" est sans aucun doute celle qui m’est la plus chère », explique Loputyn sur son compte Facebook. Et on la comprend car ce récit de 96 pages qui comporte plusieurs volets, aussi intéressants que réussis, étonne par ses qualités.

Déjà, le premier livre francophone de Shockdom étonne par l’excellente finition de sa production. Certes brochée, la couverture à rabats restitue avec justesse le grain de l’œuvre originelle de l’artiste. L’impression de l’ouvrage est à l’unisson.

Fort de cet appui, le dessin de Loputyn, mélange subtil de crayon et d’aquarelle, entre la tradition du dessin européen et celle du manga, alterne sans choquer, des ambiances à la touche enfantine, et des choses plus sensuelles dans la brumeuse frontière de la fin de l’adolescence.

Le compte Facebook de Loputyn permet de prolonger le récit avec quelques illustrations plus évocatrices, mais tout aussi poétiques.

Le récit s’organise autour de ces deux degrés de lecture : le premier raconte l’histoire de cette jolie sorcière qui, ayant fêté tout l’été, se trouva fort dépourvue lorsque l’heure du rituel fut venue ; le second qui décrit le rituel pour devenir chef du clan des sorcières symbolise proprement le passage à l’âge adulte.

On peut d’ailleurs voir Métillia et Camilia comme les deux facettes d’une même personne, tiraillée entre ses désirs et ses aspirations. L’esprit "Francis" qui donne son nom au titre de l’album, ne joue là un rôle très innocent : à la fois séducteur et tentateur, doux et enjôleur, renard et puis loup, il est l’image de l’homme, de celui qui envoûte et dévoie, parfois volontairement et parfois malgré lui.

On laissera chaque lecteur tirer sa propre analyse de la morale en fin de récit, mais on tient là sans nul doute un beau livre d’images, tant dans le fond que la forme. Une réussite que l’on doit à Loputyn - une autrice à suivre - et son éditeur qui fait ici une entrée remarquée sur le marché francophone. Nous vous en reparlerons...