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Exposition Bastien Vivès à Bruxelles : une inauguration sous tension

Par Charles-Louis Detournay le 12 avril 2024                      Lien  
On retenait son souffle : est-ce que la galerie Huberty & Breyne à Bruxelles allait annuler l'exposition Bastien Vivès qui devait s'inaugurer hier sous la pression conjointe d'une pétition et de virulentes campagnes dans les réseaux sociaux, à l'image de ce qu'il s'était passé fin 2022 ? Il n'en fut rien, l'inauguration a bien eu lieu ce jeudi 11 avril, mais dans un climat de fortes tensions. Quelque 150 militants s'étaient rassemblés devant la galerie, bien décidés à se faire entendre auprès des organisateurs, de l'artiste, et des visiteurs courageux qui auraient entrepris de venir assister à l'événement. ActuaBD était là.

Notre article d’hier était clair : l’exposition Bastien Vivès "Héritages" chez Huberty & Breyne relance la polémique. Et celle-ci n’a pas manqué d’enfler ces derniers jours.

Elle commence par la pétition lancée par Dounia Largo, chercheuse au Laboratoire d’Anthropologie des Mondes Contemporains à l’Université Libre de Bruxelles (ULB). Voici ce qu’elle déclarait à nos collègues de la chaîne TV-Radio bruxelloise BX1 : « Vivès n’est qu’un cas parmi d’autres. Ce n’est pas Vivès en tant que tel et ce qu’il propose, c’est le fait qu’il est ancré profondément dans un système misogyne et sexiste, qui ne tient pas compte des sensibilités de certaines personnes, des traumas que cela réveille, des dangers que cela représente de faire la promotion d’images comme il le fait, d’images d’inceste, de viol, de pédopornographie. Et que la façon dont lui l’amène n’est jamais une façon déconstruite de se poser des questions par rapport à ces thèmes-là, jamais une façon de proposer une réflexion, c’est juste une exploration de ses propres fantasmes qui sont malsains et condamnés par la loi, mais qui sont provocateurs pour la beauté de la provocation. »

Comme nous vous l’expliquions jeudi, d’autres voix s’élèvent également, notamment une autre galerie bruxelloise That’s what X said qui communique sur son compte Instagram (extrait) : « Nous condamnons fermement les actes de cet homme et de la galerie Huberty & Breyne qui, sous couvert de satire et de liberté d’expression, défend un artiste qui véhicule des messages pédopornographiques et incestueux. Ses dessins participent à la culture du viol qui font loi dans notre société. Nous sommes déçues, heurtées et indignées par le choix de la galerie Huberty & Breyne de montrer le travail de Bastien Vivès, d’autant plus lorsque l’initiative vient d’un membre de notre famille. »

Exposition Bastien Vivès à Bruxelles : une inauguration sous tension
Dounia Largo interviewée par nos confrères de BX1

Interpelée, la très respectée association Child Focus, fondée par le père d’une des victimes du pédophile Marc Dutroux, a déclaré au quotidien belge La DH que « les dessins de bande dessinée à caractère sexuel sont punissables par la loi belge (5-10 ans de prison avec une amende de 500 à 10.000 €)  ». Par la suite, après s’être renseignés auprès de la galerie, ses représentants déclarent sur BX1 avoir été « rassurés par les organisateurs de l’expo et qu’ils ne souhaitent pas entrer dans la polémique tant qu’il n’y a pas de délit ».

Les instances politiques se sont également inquiétées de la situation : une responsable de la Fédération Wallonie-Bruxelles s’est présentée à la galerie avant l’ouverture de l’exposition. Après une visite minutieuse, elle jugea que le contenu de l’exposition ne présentait pas de problèmes. Dans la foulée, le galeriste Alain Huberty a déclaré à l’Agence Belga maintenir « son choix d’accueillir une exposition de Bastien Vivès en ses murs. « Aucun des dessins présentés à la galerie ne provient d’un des trois albums controversés », se défend-il. »

L’Agence Belga ajoute dans son communiqué de jeudi 11 avril après-midi : « À Bruxelles, plusieurs collectifs, dont le Réseau Ades, ont appelé à un rassemblement « pacifique, solidaire et joyeux » jeudi à 17h45 devant la galerie située place du Châtelain. « Programmer un bédéaste qui tient des propos valorisant l’inceste et mettant en scène du viol et des scènes de pédocriminalité, c’est un choix, de la part des galeristes (…) qui se placent dans un continuum de la culture du viol. »

Rappelant que Bastien Vivès n’a jusqu’ici fait l’objet d’aucune condamnation judiciaire, Alain Huberty reproche aux personnes « à l’origine de la campagne de boycott de l’exposition de ne pas avoir pris la peine de s’intéresser aux thèmes des dessins qui seront exposés. Ce qu’ils et elles veulent, c’est tout simplement interdire toute présentation, publication des œuvres de Bastien Vivès. Ils veulent sa mort artistique ».

LE COMMUNIQUE DE LA GALERIE HUBERTY & BREYNE

(PDF ci-dessous)

Craignant des débordements pendant l’inauguration prévue ce 11 avril, la galerie avait pris quelques mesures de sécurité. Une vingtaine de policiers répartis devant la galerie et tout autour en vélo devait aussi encadrer la manifestation et se placer en renfort en cas de besoin. La question était de savoir combien de personnes allaient constituer ce rassemblement et quelles seraient leurs intentions.

Dès 17h30, les premiers manifestants sont arrivés, avec des mégaphones et des pancartes délivrant des messages très explicites : « Pas de vitrine sur Vivès », « Casse-toi, la honte doit changer de camp », « Justice nulle part, police partout », « On n’en peut plus d’une société qui tolère ça », « Sexualiser les enfants dans une bande dessinée n’est ni drôle ni de subversif ! Ni de l’art ! », « Pas de quartier pour les pédophiles, pas de pédophile dans nos quartiers »...

A 18h, une cinquantaines de manifestants s’étaient déjà rassemblés. Ce nombre allait tripler...

Regroupant environ 200 personnes, les manifestants étaient aussi déterminés qu’organisés : tournée vers la vitrine, la foule ceinturait la galerie pour interdire l’accès à toute personne qui souhaitait entrer. Il fallait donc se frayer - cela a été le cas de certains journalistes - un passage entre les manifestants qui ne s’écartaient pas, sous les huées, pour atteindre l’entrée. Ce même traitement de « la honte » était réservé à la sortie, pour les rares visiteurs qui n’avaient tourné casaque dès le début face à cet impressionnant déploiement.

Poursuivi au même titre que ses maisons d’édition pour diffusion d’images pédopornographiques dans ses ouvrages Petit Paul, La Décharge mentale et Les Melons de la colère, Bastien Vivès est, à l’heure où nous écrivons ces lignes, en attente de son jugement qui devrait tomber prochainement.

Que l’on apprécie ou pas son œuvre, le bédéaste cristallise aussi beaucoup de haine par son attitude et ses propos provocateurs sur l’inceste et les menaces qu’il a proférées sur les réseaux sociaux à l’encontre de sa consœur Emma en 2017.

Cependant, ce qui s’appelle désormais l’Affaire Vivès permet de pousser bien plus loin notre réflexion sur l’art de représenter, les limites entre le réel et la fiction ou encore la confusion homme/artiste. L’Observatoire de la liberté de création fait observer dans un communiqué que « L’article 227-23 du code pénal, depuis une modification de 1998 perçue comme anodine par le législateur de l’époque, ne permet plus de discerner la fiction du réel. C’est pourquoi l’Observatoire de la liberté de création appelle à ce que les articles 227-23 et 227-24 soient révisés afin que cesse cette confusion dangereuse. » L’Affaire Vivès illustre bien cette contradiction dans la loi.

Ce point de droit soulève au moins un problème : quelle est la responsabilité morale de l’artiste et de son éditeur à partir du moment où les dessins fictionnels sont publiés et s’inscrivent donc dans la réalité ? Chacun se fera son opinion mais ce qui est sûr, c’est que d’Angoulême à Bruxelles, jusqu’aux réseaux sociaux d’ActuaBD, l’affaire Vivès n’a pas fini de faire parler.

(par Charles-Louis Detournay)

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à partir de 13 ans Belgique L’affaire Vivès
 
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16 Messages :
  • Une pétition signée par 1000 personnes, 150 manifestants… la Belgique est certes un petit pays, mais c’est quand même complètement anecdotique. Ce qui l’est moins, c’est qu’un dessinateur qui expose des petites aquarelles doive être protégé par la police et ceci 10 ans après que les dessinateurs de Charlie-Hebdo ont été massacrés.

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    • Répondu par Gina Vanilla le 12 avril à  17:17 :

      Oui, mais bon, ce n’est pas Polino !

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    • Répondu le 12 avril à  17:23 :

      Et probablement qu’un bon nombre des signataires et des manifestants étaient Charlie après le fameux attentat de 2015. On est coupable sans procès judiciaire. "Le peuple" a parlé : "pendons Vivès haut et court !".
      Sous couvert des idées les plus nobles (la lutte contre l’inceste, la pédophilie, ...), ces gens-là prépare une régression de notre société. Et ils ne s’en rendent même pas compte. Ces gens-là crient, hurlent, pérorent sur les réseaux sociaux. Mais représentent-ils vraiment la majorité de la population ?
      Vivès a le droit d’exercer son métier : de publier des livres ou d’être exposé.
      Je suis convaincu que la majorité de ces manifestants et des signataires des pétitions n’ont jamais pris la peine de lire les livres polémiques. Personnellement, ils me tombent des mains, mais ils ne sont pas plus répugnants que d’autres que l’on trouve en vente libre.
      _

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      • Répondu par Milles Sabords le 13 avril à  05:25 :

        Certes, ces boycotteurs ne représentent pas la majorité de la population, mais il ne faut pas oublier que le pourcentage de la population qui lit de la BD est faible. En gros, la population a d’autres problèmes en tête, l’inflation des prix, la crise immobilière, que l’émoi de l’affaire Vivès qui secoue le microcosme Bédéiste. Avec tous les scandales dans le cinéma depuis Depardieu, c’est un flot de faits judiciaires que déversent les chaînes en continuent, une affaire en noyant une autre. Je crois bien que la population s’en fiche de l’affaire Vivès.

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        • Répondu le 13 avril à  22:16 :

          Pas besoin de mobiliser toute une population pour organiser un lynchage. Où est le shérif ?

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  • Ces hordes fascistes laissent entendre que BV est un criminel qui s’attaque aux enfants, c’est inacceptable puisqu’entièrement faux, basé sur rien. Ils le comparent à Marc Dutroux, c’est proprement scandaleux, pourquoi les autorités ne font rien contre ces mensonges, ces agressions ? Ces hordes fascistes ont eu la peau de Ed Piskor la semaine dernière, ces gens-là tuent, ils veulent du sang, ce sont des cinglés, des cinglés mortifères. Ces gens-là prennent une victime au hasard et veulent en faire un exemple expiatoire, pour se rassurer eux-mêmes, s’illusionner d’être dans le camps du bien.

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  • Elisa Huberty vs Daniel Huberty ?

    Bizarre, cette affaire… Je creuse un tout petit peu et je trouve sur le site de la galerie tenue par la fille du père :
    "La galerie "That’s what X said" est inscrit à la BCE sous le nom Huberty & Breyne Gallery".

    ESt-ce un faux scandale pour faire le buzz et Actua BD en est l’écho ou pas du tout ?
    Il faudrait qu’on m’explique un peu mieux ce qui a motivé une fille à s’en prendre aux intérêts de son papa donc aux siens.

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    • Répondu le 13 avril à  11:37 :

      On n’est pas obligé d’avoir les mêmes idées que ses parents ou que ses enfants.

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    • Répondu par Pleg le 13 avril à  17:39 :

      Business is business…

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  • Merci pour cet article équilibré qui laisse s’exposer des points de vue divers et permet de montrer où est l’intérêt de cette affaire (qui n’est pas une affaire de pédophilie, il faut le rappeler mais pas non plus seulement une question de liberté d’expression).

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    • Répondu le 13 avril à  11:35 :

      C’est à 100% une affaire qui concerne la liberté d’expression et le droit de la presse.

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      • Répondu par Bloch le 14 avril à  00:16 :

        Bah justement pas à 100%, ou alors on considère que tout va bien puisque d’un côté on a des gens qui font usage de leur liberté d’expression pour condamner l’œuvre de Vivès et d’autres pour de légitimer toute espèce de critique au nom de la liberté d’expression qui doit être sans limite.
        Je trouve la première intervenante citée intéressante à cet égard, elle ne prétend pas interdire aux gens d’accéder à son œuvre, elle ne l’accuse pas d’avoir commis en actes les choses énoncées dans les œuvres, elle ne fait que s’interroger sur ce que ça apporte et les représentations qui sont véhiculées. Et aussi sur les mécanismes de récompenses symboliques et pécuniaires de la bande dessinée.
        on rappelle aussi que Vives paie une expression trop libre sur les réseaux sociaux (à la limite du légal, d’ailleurs). Bien sûr que ça concerne la liberté d’expression mais défendre Vivès à tout pris en prétendant la défendre est très simpliste

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        • Répondu le 14 avril à  09:33 :

          Il ne s’agit pas de défendre Vives à tout prix, mais seulement de demander le respect de la loi. En France en tout cas, la liberté d’expression est encadrée par la loi. C’est à la justice de dire si quelqu’un a enfreint la loi et pas à des regroupements de complotistes sur les réseaux qui voient de la pédocriminalité là où il n’y en a peut-être pas. Le problème de la justice c’est qu’elle est trop lente mais ça n’excuse pas ceux qui prétendent rendre la justice à sa place.

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  • Ces règlements de compte entre le clan d’Emma et celui de Vivès sont justes ridicules. Pour peu que ce soit récupéré pour des loi liberticides par dessus les fagots.

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  • « Les dessins de bande dessinée à caractère sexuel sont punissables par la loi belge (5-10 ans de prison avec une amende de 500 à 10.000 €). » QUOI ??? La BD érotique serait donc interdite par la loi en Belgique ? Une explication, please !

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    • Répondu par LAURENT le 17 avril à  06:47 :

      Manara, Gotlib, Dany, Crepax, Bilal, Edika, Maester, vont tous aller en prison, alors ?

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