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Histoire de la bande dessinée au Bénin (première partie) 1978 - 2007

Par Christophe CASSIAU-HAURIE le 13 décembre 2023                      Lien  
La bande dessinée béninoise a beau avoir une histoire récente, elle n’est pas dépourvue de talents ! Malgré un vivier de dessinateurs et de fructueuses collaborations, les éditions d’albums suivent cependant difficilement.

L’histoire connue de la bande dessinée béninoise commence en 1978, très loin des rives du golfe de Guinée. C’est à Cayenne, en Guyane française que la première bande dessinée d’un auteur béninois a été publiée. Il s’agissait de Candia, la petite oyapockoise, scénarisé et édité à compte d’auteur par un professeur de sciences économiques au lycée de Cayenne, Jules Nago (né en 1944) sur des illustrations de Maurice Tiouka.

Histoire de la bande dessinée au Bénin (première partie) 1978 - 2007

Jules Nago, auteur par ailleurs de pièces de théâtre et de recueils de poèmes, éditera également – toujours à compte d’auteurs – un album pour enfants en 1993 : La mère poule et ses canetons. Il vit de nos jours à Cotonou.

Quand le dessinateur rencontre l’écrivain
Au Bénin, c’est en 1989 qu’aurait été éditée la première bande dessinée : Zinsou et Sagbo signée par Damien Hector Sonon, qui démarrait alors une très belle carrière de bédéiste et d’illustrateur [1].

Après avoir été primé au concours Calao en 1992, premier concours pour dessinateurs africains, organisé avec le soutien de la Coopération française, sa rencontre avec l’écrivain et journaliste Florent Couao-Zotti  [2] donnera une impulsion à sa carrière.

Leur association donnera lieu à plusieurs histoires publiées dans différents journaux de Cotonou : Inceste, sang et larmes [3] sur l’inceste familial, Papa Ziboté  [4], critique sociopolitique en phase avec les événements de l’époque [5] et surtout, entre 1996 et 2 000, furent publiés dans le magazine interculturel Interfaces les quatre tomes de Les couleurs de la mémoire, saga historique se déroulant à l’époque de l’esclavage [6].
Le tandem publie par ailleurs en 1998 un ouvrage illustré aux éditions de L’œil, La sirène qui embrassait les étoiles.
Dans l’univers de la bande dessinée africaine, où le scénario est souvent le principal défaut des œuvres produites, cette collaboration est exceptionnelle. L’association sur une longue période d’un dessinateur et d’un écrivain renommé, pour produire des bandes dessinées est suffisamment rare pour être relevée !
Hector Sonon est surtout connu comme caricaturiste au bimensuel Atavi kokov (Canard du golfe) et comme illustrateur d’albums pour enfants. Avec une quinzaine d’œuvres à son palmarès [7] Dans ce domaine (il a longtemps été président de l’Association des Auteurs et Illustrateurs de livres pour enfants, AILE – Bénin), il est l’un des auteurs les plus prolifiques du continent. Comme il l’indiquait en 2006, cette activité constitue sa principale source de revenus : « Je vis actuellement de l’album pour enfants et des illustrations pour des institutions et des ONG à des fins de sensibilisation [8] ».
Quant à ses productions BD, celles comprises entre 2000 et 2006 ne sont visibles que dans des albums collectifs européens : A l’ombre du baobab en 2001 (histoire intitulée Alima), Matite africaine en 2002 (Commissaire Devi), Africa comics, 2003 (Le kaïman est mort), Djè nanan en 2005 (Africa BD) ainsi que dans des séries (Kola et Bola), parues dans la revue Planète enfants, édité par Bayard presse.

Les organes de presse, révélateurs de talents
Aux cours de ces années, d’autres dessinateurs ont commencé à apparaître sur le devant de la scène et se sont regroupés au sein de l’Association des dessinateurs de presse et de BD : Bénin-dessin. Créée en 1999, elle édita la même année le numéro 00 d’une revue intitulée Le sodabi magazine, trimestriel du rire et de la détente qui ne dura guère plus que BD Info 2000, Mensuel d’informations et bandes dessinées paru entre 1990 et 1991 et Le Cafard enchaîné, « Trimestriel du Club BD du CCF », actif en 1988.

Les années quatre-vingt-dix furent une période de prolifération d’organes de presse et une bénédiction pour les dessinateurs qui purent y trouver une source de revenus [9]. Dans la capitale économique, Cotonou (un million d’habitants), pas moins d’une quarantaine de quotidiens sont publiés bien qu’il y ait plus de 50 % d’analphabètes.
Parallèlement, les efforts des coopérations étrangères dans ce domaine ont été importants : organisation d’expositions, de salons de la BD (le premier eut lieu en 1994) et de stages de formation (Loustal et Jano en 1993, Christian Cailleaux en 1996 et bien d’autres par la suite avec P’tit Luc, le Belge Xavier Laurental) par le Centre Culturel Français.
La Communauté française de Belgique a également organisé des ateliers et a envoyé deux dessinateurs en formation à l’École Supérieure des Arts de Saint Luc.
Toutes ces actions ont eu un effet bénéfique sur le professionnalisme du milieu.
Parmi les dessinateurs de BD Bénin figure Hervé Alladaye, illustrateur connu de livres pour enfants [10], ancien caricaturiste du journal Le point au quotidien [11] et également peintre [12]. Il a publié à compte d’auteur trois bandes dessinées sous le pseudonyme Hodall Beo dont le poétique Chiottes et cacahuètes en 1999 et Les zémidjans protestent [13] en 2000.
Également remarqués par leur production : Claudio Lenfant (de son vrai nom Claude Adjaka) dessinateur de presse depuis 1996 pour plusieurs quotidiens béninois et illustrateur de livres pour enfants : Je voudrais redevenir bébé et la série des Bovi, édités chez Ruisseaux d’Afrique. En tant que bédéiste, il a publié, en 1996, une histoire courte Quel est ce vent qui souffle ? Dans le collectif Boulevard Sida [14] piloté par le Congolais Alix Fuilu. Jusqu’en 2000, il a collaboré à plusieurs publications dans son pays : le périodique Le journal du dodo sur l’insécurité au Bénin, une BD pour la jeunesse, Mag jeunes, sur le harcèlement sexuel en milieu scolaire et une autre intitulée Azara sur la lutte contre la corruption ; plus connu sous le nom de Jo Palmer, Joseph Akligo (1967-2021), originaire du Togo, est diplômé en sociologie et titulaire d’un Master en communication visuelle. Il arrive à Cotonou au début des années quatre-vingt-dix, après avoir démarré sa carrière de dessinateur dans des journaux de son pays tel Forum hebdo, Atopani expresss, Tribune des démocrates dès 1989 et avoir été primé lors du concours Calao. C’est au Bénin que sa carrière démarre réellement avec La biche, le supplément satirique de La gazette du Golfe ainsi qu’une collaboration régulière à ce journal. En 1998, Jo Palmer publie pour les éditions Le flamboyant, l’album Soukrou ou les méfaits des sacs plastiques (qu’il avait présenté en 1994 au salon du Livre de Tombouctou organisé par Malira / Étonnant Voyageur). Puis, en 2004, une bande dessinée sur le trafic des enfants publiée dans les journaux Le matinal et La nation.
A l’étranger, Jo Palmer a publié Avec toi dans Boulevard Sida (1 996), Quelque part dans la rue dans Matite africaine (2001), Amina ne sera pas excisée dans A l’ombre du baobab (2002) [15] et, surtout, On a fumé Malrobo ! dans Africa comics 2000. Cette histoire sera, par la suite, reprise en album par la maison d’édition italienne Lai momo et diffusée dans toute l’Europe.

Jo Palmer a également participé au salon africain de la bande dessinée de Kinshasa en 2 000 et animé – sur invitation en 2001, de l’Alliance française de Lagos – avec Hector Sonon, P’tit Luc, Le Bouc, et Xavier Laurental, des ateliers BD destinés aux jeunes, à Lagos et à Kano.
Peu d’autres artistes ont pu concrétiser leurs projets, hormis Benjamin Gogonou et Taofik M. Atoro qui ont publié Le défi chez Le flamboyant en 2 000 et Didier Viodé, avec Visa rejeté, qui a pu être publié dans Africa comics 2 005 – 2 006.
Graphiste dans une imprimerie de Cotonou, Taofik M. Atoro est surtout illustrateur pour la jeunesse. Il compte à son actif plusieurs albums pour enfants (Arouna, le petit champion en 2003), en particulier les ouvrages de Georges Bada (Une cueillette ratée, Le malin petit crapaud, Le bon fruit et la mauvaise langue…). Il a également illustré des romans pour la jeunesse comme Un enfant dans la guerre de Florent Couao-Zotti (1998) ou Le jeu de Carlos de Denis Avimadjessi (1998). Le défi est son unique bande dessinée recensée à ce jour.
On peut cependant citer le travail du franco-béninois Yvan Alagbé, dessinateur indépendant de Ville prostituée (Vent d’Ouest en 1993), Dyaa, Personne ne connaît mon nom et Nègres jaunes (Amok entre 1997 et 2 000). Ces œuvres à petits tirages abordent les notions d’exil, de race, d’immigration et de civilisation. Alagbé a également fondé la revue Le cheval sans tête et les éditions Amok en 1994. Mais son travail n’a que peu d’impact dans son pays d’origine où il reste un parfait inconnu.
Mais, hormis Jo Palmer, la sortie du tome 2 d’Hodall Beo, Les zemidjans persistent, en 2006, et quelques productions pour des ONG ou des organisations internationales (comme Les aventures de Houéfa de Constant Tonakpa, traitant des problèmes liés à l’eau, sorti en 2006), la BD béninoise se raréfie dans la deuxième moitié de la décennie 2000 et n’arrive pas à percer sur le plan international.

Des dessinateurs sans albums
Durant la décennie 2000, le seul bédéiste à avoir publié en Europe un ouvrage ayant pour cadre le Bénin est le français Fred Bernard, en 2003, avec Au bout, Parakou : récit de voyage.
Dans le but de promouvoir cet art, le Centre Culturel Français de Cotonou a accueilli en avril 2006 l’exposition « Les héros de la bande dessinée béninoise » . Ce fut l’occasion pour le public de redécouvrir dix dessinateurs locaux.

En sus de Jo Palmer, Hervé Alladayè, Hector Sonon et Lenfant Claudio, figuraient les deux dessinateurs maison de Le matinal : Constant Tonakpa [16] qui présentait son personnage Gloutou, Askanda Bachabi et sa série Jimmy héros. Également présents dans l’exposition : Julien Alihonou (né en 1972, connu sous le nom de Makejos), Raymond Jemy [17], Michael G. Aisse, Dossou Paul Kpitimé dit Kpitimé, tous caricaturistes et dessinateurs de presse.
Dès cette époque, la bande dessinée béninoise existe donc bel et bien : les talents sont là [18], la présence d’un réseau d’éditeurs est avérée avec Les flamboyants, Ruisseaux d’Afrique, Édition du souvenir, Star éditions, etc. Seules manquent les réalisations concrètes.

(par Christophe CASSIAU-HAURIE)

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Code EAN :

[1Hector Sonon raconte ses débuts dans Notre librairie, N°145, juillet – septembre 2001, p. 106, avec une planche inédite en bonus.

[2Couao-Zotti est l’auteur de Notre pain de chaque nuit, L’homme dit fou et la mauvaise foi des hommes, Le cantique des cannibales (Le serpent à plumes, 1998, 2000, 2004), Charlie en guerre (Ed. Dapper, 2002), Retour de tombe (Joca Seria, 2004), Les fantômes du Brésil (Ubu éd. 2006), etc. Il a également scénarisé d’autres albums dont nous reparlerons dans un deuxième article.

[3In Le forum de la semaine, janvier – mai 1991 : 20 planches.

[4In Abito, octobre 1992 – février 1993 : 5 planches.

[5Cette époque correspondait à une démocratisation du régime et à l’organisation d’une conférence nationale.

[6Un extrait de Les couleurs de la mémoire (8 planches) a été réédité dans le N°4 du collectif Afrobulles (2-916690-00-1) en 2006.

[7Ed. du flamboyant (Afi et le tambour magique), Ruisseaux d’Afrique (Abalo a le palu, Chevaux fabuleux, Le caméléon de Codjo, La mère et l’enfant, Ganvié, Les fruits, Les animaux domestiques…), NEI (La statuette sacrée, Les belles noces de Faïma), etc.

[8Entretien avec le bédéiste Hector Sonon, Le matinal, 27 avril 2006.

[9Hector Sonon, par exemple, a été directeur de publication de l’hebdomadaire satirique humoristique Le caméléon, Constant Tonakpa, pour sa part, a reçu en octobre 2006, le prix RFI – Reporters sans frontières dans la catégorie dessin de presse.

[10Alladaye a travaillé pour Ruisseaux d’Afrique de 2002 à 2006 (Le jardin de Tanko et Jomo, Mémé, Les messages du pagne, Kaïvi, l’enfant placé, la série des Coco) et les éditions béninoises Le flamboyant.

[11Il a remporté le 2ème prix au festival de caricatures de Yaoundé (FESCARY) 2002.

[12Auteur de plusieurs expositions à Cotonou : Les mutations en 2005 et Au-delà du sens en 2 000.

[13Les zémidjans sont des moto – taxis que l’on trouve à Cotonou.

[14ABDT éditions, Tourcoing.

[15Les planches originales de cet album tourneront sous forme d’une exposition dans plusieurs dizaines de villes d’Europe en 2001 et 2002. Une partie (dont Amina ne sera pas excisée) était encore exposée en 2006, sous le nom Des coutumes et des hommes, par l’ONG Mosaïque du monde.

[16Auteur d’un livre pour enfants : Gloutou, les beignets et les mouches pour Ruisseaux d’Afrique.

[17Illustrateur également de livres pour enfants : Louis et Tritri, La marmite renversée chez Ruisseaux d’Afrique.

[18Aux noms déjà cités d’illustrateurs pour la jeunesse, on pourrait ajouter Gratien Adotanou, Félix Agossa, Fatinia Aaron, Peter Yaovi Dossa, G. Zoulfik, Hervé Gigot, Kora chabi tingué, Alain Lakoussan, Valère Lalinon, Hortense Mayaba, Nicaise Tchiakpê, Zannou Ponce Kokou Enagnon. Bref, un réservoir inépuisable.

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