Quelque chose s’était-il brisé à Angoulême ? On aurait pu le croire. Les rapports entre la Cité et le Festival avaient tourné à la guerre des tranchées façon Tardi et la communication du FIBD à une collection de bévues et de boulettes version Gaston Lagaffe.
À cela s’ajoutaient les angoisses d’une « génération précaire » des créateurs de bande dessinée face à une mondialisation qui « ubérise » leur métier sur le mode « travailler plus pour gagner moins », aux angoisses provoquées par l’évolution de la lecture sur les supports numériques et par les profonds changements des modes de financement (crowdfunding) et de diffusion (les librairies en ligne dépassent désormais 10 % du marché) de la bande dessinée dans le monde, chose qui impacte sensiblement sur les éditeurs, chaque année plus nombreux, qui arrivent sur le marché.
D’une façon évidente, les règles du jeu ont changé. Avec ces premières « Rencontres nationales de la bande dessinée », le directeur de la Cité, Pierre Lungheretti, appelle-t-il autrement ce qui constituait naguère les Universités de la BD créées par Jean-Marie Compte, le prédécesseur de Gilles Ciment auquel il succède ? On pourrait le croire…
Pragmatisme et tradition
Oui, mais non. Ces Rencontres qui ont lieu à la Cité internationale de la bande dessinée et de l’image et à la toute-nouvelle médiathèque L’Alpha à Angoulême interpellent par leur réalisme. En appui sur une étude initiée par les États généraux de la bande dessinée lancés début 2015 et publiée début 2016, ce sont des questions de fond qui sont posées cette fois-ci : « Cette nouvelle manifestation vise à proposer un espace de débats et de d’analyses pour l’ensemble de la profession, avec des éclairages issus des réflexions de Grands Témoins, qui permettront de resituer les enjeux du secteur de la bande dessinée dans un contexte plus large » nous dit le communiqué. Certes, mais avec une dynamique où Pierre Lungheretti imprime sa volonté d’inscrire l’événement dans un continuum historique propre à l’histoire de la Cité de la BD et du Festival d’Angoulême.
Ainsi, l’invité d’honneur de cette édition est-il Jack Lang, le ministre de la culture qui est à l’origine du Musée National de la BD d’Angoulême, inscrivant son projet dans les Grands Travaux du Président Mitterrand. Ainsi aussi, en invitant dans ses panels quelqu’un comme David Cameo qui, on l’a un peu oublié, a sauvé le festival d’Angoulême de la faillite à la fin de la période du maire PS Jean-Michel Boucheron (1977-1989), ce ministre de François Mitterrand qui creusa un déficit abyssal dans les comptes de la cité charentaise, menaçant directement la survie du festival, Pierre Lungheretti montre qu’il a la mémoire longue.
Aujourd’hui, face au FIBD, nous avons un établissement public qui regroupe en son sein un musée de la bande dessinée, une bibliothèque spécialisée, un centre de documentation, une maison des auteurs,... Un équipement culturel qui n’a pas son équivalent en Europe et même dans le monde ! Mais est-il encore pertinent ? Tel est le sous-texte qui a l’air de ressortir de la programmation de ces Rencontres.
De vraies questions
Pour la première fois, ces Universités d’été, pardon, ces Rencontres nationales, abordent des sujets bien concrets :
- La place des écoles spécialisées comme voie d’accès à la profession
Il n’est pas anodin que le premier sujet traité soit celui des filières scolaires : forme-t-on des artistes, plus largement des citoyens, capables de se défendre face aux enjeux de la bande dessinée de demain ? Est-ce que, comme le laisse ressortir l’enquête des États Généraux de la BD, dans une profession qui affiche 53% de professionnels précaires et à peu près un tiers seulement de "professionnels", la filière scolaire telle qu’elle existe aujourd’hui n’envoie pas au chômage la majorité de ses étudiants ? C’est une vraie question, car l’avenir d’un pays, on le sait, repose sur la formation de ses jeunes.
Le sujet suivant n’en est pas moins croquignolet :
- Les analyses et solutions des éditeurs devant la crise que connaît le marché
Eh bien oui, messieurs les éditeurs, quelles sont vos solutions face aux enjeux de l’avenir ? Tout le monde connaît notre opinion sur cette notion de « crise » que la doxa angoumoisine nous ressert depuis plus de vingt ans. Pour la première fois, on interroge les éditeurs sur leurs perspectives d’avenir.
Il était temps, car les enjeux de ces éditeurs sont colossaux et pas moins angoissants que l’avenir des auteurs qui y est directement lié : à propos de leur identité même (est-ce que les éditeurs de BD ne s’appelleront pas demain Amazon, Apple ou Google ?), sur les circuits de diffusion (Auchan ou Carrefour, comme les libraires indépendants seront-ils encore les lieux de vente de la bande dessinée de demain ?), sur leur stratégie globale (le cinéma, le jeu vidéo et la TV sont aujourd’hui les principales sources de revenus des éditeurs japonais et américains, les Européens sont loin derrière, faute de moyens ?), sur l’arrivée de nouveaux acteurs sur le marché (la Chine…), etc. Si les auteurs sont dans une situation précaire, n’est-ce pas non plus en raison de la précarité, réelle ou supposée, de la majorité de leurs éditeurs ?
- Le marché de la planche originale, ses circuits, ses bénéficiaires, ses perspectives
De plus en plus d’auteurs intègrent la vente des planches originales dans leur modèle économique. Mais est-ce un vrai marché ? Quelle est sa réalité économique et quelles sont ses perspectives d’avenir ? Telle est la question.
- La place que la bande dessinée occupe aujourd’hui dans le paysage culturel.
C’est une vieille antienne que Thierry Groensteen nous ressort régulièrement de sa besace en prenant des accents de Caliméro : la bande dessinée n’aurait pas sa juste place culturelle : à l’université, dans les médias,… Mais est-ce une question de perception (cf. la notion d’ « objet culturel non identifié ») ou de définition ? N’y a-t-il pas un malentendu fondamental entre la définition de l’objet et la réalité de sa dimension culturelle ? Quand un jeune consomme les X-Men sur un jeu vidéo ou dans un film, est-il encore dans de la « bande dessinée » ? N’y aurait-il pas lieu d’élargir le débat à la Pop Culture, ce qui rendrait ce sujet caduque ?
Réponses à Angoulême à la fin du mois...
(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))
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Rencontres nationales de la bande dessinée : première édition, du 28 au 30 septembre 2016, la Cité et l’Alpha (médiathèque du Grand Angoulême)
Le site de l’événement, informations complémentaires et inscriptions
Photos : D. Pasamonik (L’Agence BD)
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