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L’œuvre au noir de Lynd Ward, précurseur du roman graphique

Par Didier Pasamonik (L’Agence BD) le 28 janvier 2021                      Lien  
C’est un objet incroyable que nous propose ici Monsieur Toussaint Louverture, l’éditeur de « Moi ce que j’aime, c’est les monstres », le Fauve d’or surprise de 2018 : un coffret de trois volumes aux cartonnages magnifiquement décorés qui rappellent ceux, mythiques, de Paul Bonet et de Mario Prassinos. À l’intérieur, quasiment les six récits de bois gravé sans paroles de Lynd Ward, dont les premiers datent de 1929, ce qui le place parmi les précurseurs du roman graphique contemporain. Des qualités qui lui valent de figurer dans la sélection officielle d’Angoulême 2021.

Sa réputation n’est plus à faire. Imaginez : Will Eisner, Art Spiegelman, Alan Moore et Scott McCloud le désignent tous comme un précurseur absolu du « roman graphique ». Frans Masereel a beau le précéder de dix ans, Otto Nückel d’une poignée d’années -ces deux auteurs l’ont incontestablement influencé- il reste au firmament pour ces grands créateurs.

Toussaint Louverture nous présente en intégrale ses six romans graphiques gravés sur bois : Gods’ Man : A Novel in Woodcuts (1929), Madman’s Drum (1930), Wild Pilgrimage (1932), Prelude to a Million Years (1933), Song Without Words (1936) et Vertigo (1937).

Lynd Ward se distingue par un trait plus élégant, pour ne pas dire spirituel et éthéré, que celui de ses prédécesseurs européens. Sa gravure, toute en finesse et en détails minutieux, confine à la taille douce. Ses noirs et blancs comme ses lumières sont davantage mesurées, tamisées. Nous sommes du côté de l’art décoratif plutôt que celui de celui de l’art brut et du Bauhaus.

L'œuvre au noir de Lynd Ward, précurseur du roman graphique

Bien qu’il ait fait ses classes dans l’Allemagne de Weimar et même s’il est né dans une famille méthodiste et très pratiquante aux idées progressistes, on peut dire que Ward est plus « bourgeois » que Masereel et Nückel, sans doute trop « communistes » pour l’Amérique de la Grande Crise, de la guerre et de l’après-guerre. Chez le Belge et l’Allemand, le trait cogne comme un slogan. Il faut dire que Ward, qui a rencontré tout de suite le succès et n’a pas connu d’aussi près les affres de la Première Guerre mondiale, ni la vie de bâtons de chaise des militants pacifistes du vieux continent.

En revanche, sa narration est plus subtile, davantage travaillée et même plus sensuelle que celle de ses collègues européens. Ses thématiques restent dans l’imaginaire plutôt que dans le réel : du très faustien Gods’ Man, au wildien Madman’s Drum qui ose cependant évoquer avec crudité l’esclavage, comme Wild Pilgrimage, qui montre un lynchage et en appelle à l’égalité des droits civiques, dénonça la dure condition sociale des ouvriers des années qui précèdent le New Deal.

Dans ce volume et dans le suivant, Vertigo, le langage corporel quelque peu outré de ses personnages est particulièrement remarquable. Dans la postface qu’Art Spiegelman a écrite pour le second tome, l’auteur de Maus souligne combien Ward intègre le langage visuel de la bande dessinée de son temps, aussi bien dans les symboles que maniait si bien Milt Gross que le rythme narratif, rapide, truffé d’ellipses, des comic strips, tandis que point quasiment avec ferveur un érotisme qui le situe, dans Wild Pilgrimage, « entre Thomas Hart Benson et Tom of Finland.  »

Dans Vertigo, plus tardif, l’aspect sexuel est toujours présent mais ressenti comme une aliénation supplémentaire dans un monde de plus en plus désespérant. Il faut dire que le « monde d’avant » qu’a connu Lynd Ward durant son séjour en Europe est en train de sombrer dans une barbarie bien plus noire que les aplats profonds qu’il imprime.

(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))

Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.

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Code EAN : 9791090724952

L’Éclaireur : les bois gravés de Lynd Ward (coffret de trois volumes) - Ed. Monsieur Toussaint Louverture – 65€

Coffret de trois livres reliés et cartonnés contenant les 6 romans sans paroles de Lynd Ward. Format 149 x 219 mm. 1456 pages (livre I : 576 pages · livre II : 352 pages · livre III : 528 pages). Postface d’Art Spiegelman. Essais de Lynd Ward. Traduit de l’anglais (États-Unis) par Jean-Charles Khalifa.
Tome I : GODS’ MAN · suivi de À propos de Gods’ Man · MADMAN’S DRUM · suivi de À propos de Madman’s Drum · Courte biographie de Lynd Ward
Tome II : WILD PILGRIMAGE · suivi de À propos de Wild Pilgrimage · PRELUDE TO A MILLION YEARS · suivi de À propos de Prelude to a Million Years · SONG WITHOUT WORDS · suivi de À propos de Song Without Words · La voie de la gravure sur bois par Lynd Ward · Lire les images par Art Spiegelman.
Tome III : VERTIGO · suivi de À propos de Vertigo

 
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