Hugo Strange n’est pas le plus connu des vilains de l’univers de Batman, mais il fait néanmoins partie de ses premiers adversaires récurrents, créé lors de la première année de publication de la série, en 1940, aux côtés du Joker ou de Catwoman. Défini comme un génie, et le plus souvent un savant, sa caractérisation la plus fameuse -celle qui nous intéresse ici- est sa qualité de psychiatre dont le fait le plus notoire est d’avoir découvert l’identité secrète de Batman !
Ses premières apparitions le définissent comme un génie du crime lorgnant du côté du savant, à la mode des récits Pulp qui imprègnent les premières années de Batman. Mais c’est dans les années 1970 qu’est réalisé le récit fondateur de la mythologie du personnage. Dans cette célèbre histoire écrite par Steve Englehart et illustrée par Marshall Rogers, Bruce Wayne entre dans une clinique privée pour se remettre de quelques blessures dues à ses activités nocturnes. Il se retrouve victime d’un directeur qui extorque par manipulation mentale les secrets de ses riches clients. C’est ainsi que ce directeur, le docteur Hugo Strange, découvre le secret de notre héros et décide de le vendre aux enchères à ses ennemis. Une histoire devenue culte, qui sera d’ailleurs adaptée assez fidèlement dans Batman : The Animated Series de Bruce Timm.
L’album proposé par Urban Comics met en scène Hugo Strange dans cette veine. Ces épisodes ont été réalisés dans le cadre de Batman : Legends of the Dark Knight, une série publiée initialement de 1989 à 2007 qui reprend le principe du viol de l’identité, et certains éléments et thèmes de Batman - Année Un de Frank Miller et David Mazzucchelli : il s’agit ainsi de récits prenant place lors de la première année d’activités de Batman, avant qu’il ait gagné la confiance des autorités ou établi ses méthodes. Son existence relève même encore du mythe pour certains habitants.
Deux histoires distinctes composent cet album, toutes les deux écrites par Doug Moench et illustrées par Paul Gulacy, publiées à dix ans d’intervalle [1], et aux qualités relativement inégales :
Dans Proie, Batman, objet de nombreuses suspicions, se trouve encore considéré comme un criminel. Le Maire de Gotham décide de créer une force spéciale d’intervention pour le capturer, dirigée par le « jeune » Capitaine Gordon, à laquelle Strange participe en tant que consultant, après une prestation télévisuelle dans laquelle il présente son analyse de la personnalité de Batman.
Nous découvrons un Hugo Strange obsédé par le Détective de la Nuit, jaloux, et souffrant de nombreux complexes. Le docteur, en tant que vilain, n’échappe pas non plus au dédoublement de son identité : côté public, il apparaît comme un homme sophistiqué, capable de charmer son auditoire, et côté privé, il est rongé par sa jalousie envers Batman, se travestissant à l’image de celui qui l’obsède, discutant à l’occasion avec un mannequin en latex en guise de compagne !
Le récit part ainsi sur une base très logique et raisonnée, pour nous entraîner petit à petit dans la démence de Strange qui contamine d’autres personnages. Ce dernier apparaît rapidement comme un lâche, manipulant les autres, dont un policier lui aussi obsédé par Batman, pour atteindre son adversaire. Néanmoins son talent d’analyse est bien réel, et il réussit à percer le secret de l’identité de Batman... mais finit mystifié, comme il se doit, par le Détective de la nuit.
Le second récit, Terreur, réalisé dix ans plus tard, conte le retour de Strange, que tout le monde pensait mort suite à la fin de Proie. Bien décidé de se venger, il choisit une nouvelle marionnette en la personne de l’Épouvantail. Malheureusement pour lui, le maître de la peur va rapidement se retourner contre lui, et le récit va se changer en une histoire de l’Épouvantail, et non de Hugo Strange. Curieux choix donc que de faire ainsi disparaître Strange aussitôt revenu à la vie. Une déception, surtout que le récit de l’épouvantail peine à convaincre, enchaînant les situations et les dialogues, et même une nouvelle origine de l’Épouvantail, de façon très automatique et fort peu inspirée.
Notons que ces deux récits font également intervenir Catwoman, dans une relation de début de carrière. Sympathique et libre comme il se doit dans Proie, sa prestation dans Terreur est malheureusement moins convaincante - à l’image de ce récit en somme.
Du côté du graphisme, le bilan reste identique. Ainsi, dans Proie, le trait classique de Paul Gulacy dégage une certaine force expressive grâce à un encrage et une colorisation de qualité, associés à des découpages efficaces et réussis. Au contraire, dans Terreur, il semble avoir perdu de sa vigueur, oscillant entre le correct et le mauvais. L’encrage et la colorisation, fades et ternes, laissent également perplexes.
Un bilan donc mitigé pour La Proie d’Hugo Strange : un premier récit de qualité à tous les niveaux, avec un vilain oscillant de façon étonnante entre le génie manipulateur et l’envieux lamentable, et un second qui semble avoir été bâclé. Dommage.
(par Guillaume Boutet)
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La Proie d’Hugo Strange. Par Doug Moench (scénario) & Paul Gulacy (dessin). Traduction Jean-Marc Lainé. Urban Comics, collection "DC Nemesis". Sortie le 5 septembre 2014. 256 pages. 22,50 euros.
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Empereur Joker
La Cible de Deadshot
Les Tourments de Double Face
L’Héritage de Deathstroke
Les Patients d’Arkham
La Saga de Ra’s Al Ghul
[1] Les épisodes contenus dans La Proie d’Hugo Strange sont :
Batman : Legends of the Dark Knight #11-15 (août 1990 à février 1991),
Batman : Legends of the Dark Knight #137-141 (novembre 2000 à mars 2001).