Actualité

Le Zarmatelier, atelier emblématique de Marseille

Par Jérôme BLACHON le 19 octobre 2023                      Lien  
L’auteur de BD, d'ordinaire, est un ermite, un artiste solitaire, reclus, entièrement dévoué à son œuvre, qui ne sort que rarement pour s’approvisionner en café et, de temps en temps, en festivals, pour dessiner des heures entières des Môsieurs Patate à la chaîne. Certes, le trait est exagéré, mais beaucoup d’auteurs travaillent chez eux, souvent isolés du reste d’une équipe éditoriale ou d’un scénariste qui travaille sur plusieurs projets en même temps. Une situation qui convient à certains mais pas à tous. Ceux-là choisissent de s’associer et de travailler en atelier. C’est l’un de ces espaces que nous vous proposons de découvrir, institution marseillaise s’il en est puisqu’avec 22 ans d’existence, il est un des plus anciens de l’hexagone : le Zarmatelier.

Au cœur de la cité phocéenne, dans un immeuble haussmannien donnant sur un boulevard et, à l’arrière, sur une petite cour, se trouve le Zarmatelier [1], dans un duplex aménagé : trois espaces de travail, une salle commune, des commodités.

L’atelier regroupe des jeunes auteurs et autrices et d’autres, expérimentés. Domas, un des anciens de l’équipe, nous fait la présentation :

À l’origine, il y a l’atelier 510 TTC, créé en 1994 à Reims. Peut-être l’un des premiers de France et en tous cas, celui qui a donné envie à Bruno Bessadi et Richard di Martino, les fondateurs, de faire la même chose à Marseille. Ce devait être en 1999. Ils voulaient bosser ensemble et se mettent à la recherche d’un local. Pas facile quand on est des jeunes auteurs avec peu de moyens.
Ils créent le Zarmatelier, sous le statut d’une association, en 2000, pour demander des subventions à la ville.
L’origine de ce nom est le fanzine BD Kerozène. « Zarma », ici, ça peut se traduire par « soit-disant » en langage « de banlieue ». C’est le « soit-disant atelier ».
On s’est beaucoup amusé avec le « Z » qu’on a décliné sous plein de formes. Jusqu’à l’année dernière où on a arrêté de mettre le « Z » en avant pendant les élections présidentielle, pour qu’il n’y ait pas de confusion.

C’est Eric Stoffel, autre auteur marseillais, qui a connaissance d’un local libre dans le quartier de la Plaine, rue Ferrari. L’embryon du Zarmatelier s’y installe en 2001. Il va grandir et y rester jusqu’à cette année où on a choisi de changer de local. La rue Ferrari est très bruyante, il y a beaucoup de bars dans le coin. C’est sympa pour décompresser mais pas pour travailler, en particulier le soir.

Le Zarmatelier, atelier emblématique de Marseille
© Zarmatelier

Bruno Bessadi et Richard di Martino ont été les fondateurs et ils sont toujours présents aujourd’hui. Quels autres auteurs sont passés dans ces murs ?

Bruno et Richard sont les piliers historiques. Je suis arrivé en 2003, puis Yann Valeani, Eric Henninot, Clément Baloup, Mathilde Domecq, Zoé Redondo, Eddy Vaccaro [2] Il y a un turn-over autours d’un socle dont je fais partie.
Aujourd’hui, l’atelier comprend, outre Richard, Bruno et moi-même, Yann Madé, Séverine Talès, Julie Chay et Mohamed Labidi. On a toujours été entre six et dix.

Vous avez eu des aides municipales ?

Pendant une dizaine d’années, la mairie de Marseille nous a octroyé une subvention en réponse à notre envie de proposer une animation dans le quartier. Nous avons par exemple ouvert la Zarmacadémie, des cours de dessin dans l’atelier pour les ados. On a arrêté ensuite pour plusieurs raisons : c’était très contraignant, il fallait débarrasser nos tables de travail pour accueillir les jeunes, et il y avait une très grosse déperdition : on refusait du monde en début d’année et on n’avait plus personne à Noël. En plus, le montage d’un dossier de subvention est assez lourd.
Lorsque financièrement on a pu se passer des subventions de la mairie, on a arrêté.

Comment choisissez-vous les auteurs qui viennent travailler avec vous ?

Très naturellement, par connaissance. Pour beaucoup, ce sont des auteurs qui « gravitent » d’abord autour de l’atelier, qui y passent une ou deux fois par semaine, pour demander des conseils, montrer l’avancement d’un projet ou simplement manger avec nous. Et si une place se libère, il/elle peut nous demander à l’occuper.
Richard, Bruno et Mohamed donnent des cours à l’école de Condé à Marseille, une école de design et d’illustration en 2D et 3D. Certains auteurs qui travaillent à l’atelier ont connu le Zarma dans le cadre des cours à l’école, et ont commencé à venir nous voir.
On partage le loyer et les charges (sous la forme d’une cotisation puisque le bail est au nom de l’association) mais c’est aussi une coloc donc il y a des tâches ménagères à faire, de temps en temps. En un peu plus de vingt ans, il n’y a qu’un seul auteur avec qui ça n’a pas marché, qui n’a pas joué le jeu du communautarisme.

Domas (1er plan) sur sa nouvelle création sous le regard de Yann Madé
© Photo Jérôme Blachon

Et vous, personnellement, qu’est-ce qui vous intéresse dans le travail en atelier ?

En 2003, c’était vraiment le début d’Internet. Donc on ne trouvait pas l’information, ou des tutos, aussi facilement qu’aujourd’hui. J’ai appris sur le tas : le découpage, le storyboard, le dessin bien entendu, la perspective. Ensuite, il y a l’émulation d’être à plusieurs, de partager des projets. Lorsque je suis arrivé, Richard et Bruno étaient mieux installés que moi qui débutais et j’ai beaucoup travaillé avec Richard, qui m’a donné des projets que son planning de travail ne lui permettait pas de réaliser. Je suis resté un an à Paris en 2005-2006 et si je suis revenu à Marseille, c’est parce que je savais que je pourrais revenir au Zarma.

Il y a quelques années, Richard et moi avons proposé à Bamboo une collection de BD muettes pour les enfants, Pouss’ de Bamboo. Ça a créé une émulation, c’est une collection où tous les membres de l’atelier ont travaillé ensemble.
Maintenant que je suis un auteur « installé », il y a une part de transmission aux jeunes collègues qui est importante. C’est aussi stimulant d’échanger sur nos références. Nous leur faisons découvrir des grands classiques, pour notre génération, et eux nous font découvrir des auteurs que j’aurais sans doute complètement ignoré.
Mais je reste aussi par habitude et par amitié.

Yann Madé, vous êtes arrivé plus récemment ? Et pourquoi le Zarma ?

© Photo Jérôme Blachon

Oui, en 2016. Je fais de nouveau de la BD après avoir arrêté plusieurs années et je n’ai pas voulu travailler seul chez moi. La reprise n’a pas été facile, il fallait que je sois dans un groupe où je puisse avoir des échanges constructifs.

Ce qui me plaît au Zarma, c’est que tout le monde est différent, avec des sensibilités, des styles graphiques et des points forts différents. Et nous travaillons chez des éditeurs différents. Les auteurs qui ont travaillé au Zarma ont été publié chez presque tous les éditeurs francophones.

Pour quelqu’un qui revient à la BD et qui est un peu victime du « syndrome de l’imposteur », c’est important d’avoir la reconnaissance de ses pairs, d’avoir un espace de validation comme « artiste ». Travailler avec des auteurs installés, et être reconnu par eux, c’est une forme de légitimation.

Julie Chay, vous êtes la benjamine de l’atelier

C’est cela, je suis arrivée en janvier cette année (2023). Je viens de l’école de Condé où trois membres de l’atelier donnent des cours.

Je ne me sens pas encore légitime comme autrice. Je n’ai pas publié d’album mais je monte des dossiers pour des éditeurs. Je devrais envoyer mes premiers dossiers d’ici quelques jours.

Je me sens bien à l’atelier, je peux demander des conseils à chacun, selon leur spécialité, comme l’anatomie à Bruno, par exemple. Et j’aime bien les discussions sur nos références, c’est enrichissant !

© Photo Jérôme Blachon

Et pour vous, Séverine Talès ?

Je suis arrivée pile un an avant Julie, en janvier 2022. Techniquement, être dans un atelier, c’est vraiment intéressant. On peut échanger sur l’ensemble du processus créatif… et se rendre compte qu’on a tous les mêmes problèmes. C’est rassurant.
Pour moi, ici, c’est ma « famille BD ». Le réseau, c’est important, et l’atelier en constitue le socle. J’aimerais agrandir ce réseau, en travaillant avec les autrices de Marseille, ou les auteurs et autrices Queer par exemple.

Domas, vous n’étiez que des hommes au départ.

Oui, puis est arrivé Mathilde Domecq qui est restés longtemps la seule femme de l’équipe. Je suis très content que nous ayons deux femmes dans le groupe en ce moment. Les échanges sont plus riches je trouve et cela nous a obligés, les anciens, à nous interroger sur notre attitude. Combien de fois n’a-t-on pas dit à Mathilde « Tu dessines bien pour une fille ». Sans penser à mal, mais les mentalités ont évolué, heureusement, et on se rend compte aujourd’hui de la portée de cette remarque.

Pour terminer, quels sont vos projets ?

Séverine Talès : J’ai publié Chroniques décalées d’une famille ordinaire chez Payot Graphic, en 2022. Je publie sur Instagram, sous forme de stories, la suite de cet album. Je prépare aussi un album pour 2024, toujours chez Payot Graphic. C’est une autobiographie : comment un enfant queer se construit dans les années 1990.

Yann Madé : une BD sort le 15 octobre sur le groupe de rock, les Clash, aux éditions Jarjille, et plus particulièrement sur leur album mythique Sandinista !, où il s’ouvrent à d’autres styles musicaux (hip hop etc.). J’ai aussi un projet d’album avec Domas, et un autre avec Christophe Cazenove sur le navire le Marion Dufresne, qui ravitaille notamment les Terres australes et antarctiques françaises. J’aimerais bien aussi faire un album sur le thème « Pourquoi fait-on de la BD ? ».

Julie Chay en train de travailler sur la BD de demain !
© Photo Jérôme Blachon
L’antre de Bruno Bessadi (avant cambriolage)
© Photo Jérôme Blachon

(par Jérôme BLACHON)

Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.

🛒 Acheter


Code EAN :

Quelques jours après cette rencontre, le Zarmatelier a été cambriolé dans la nuit du dimanche 1er au lundi 2 octobre. Les œuvres, la décoration et l’ensemble du matériel ont été volés. Plusieurs photographies ont été publiées sur les réseaux sociaux des auteurs montrant ce qui a disparu, dans le cas où ces objets/œuvres venaient à apparaître sur des sites de vente. Il est possible d’avoir plus de détails sur les pages de Richard di Martino ou de Bruno Bessadi.
Merci de votre vigilance si vous voyez passer quelque chose !...

[1suivre sur Facebook ou sur leur site.

[2Eddy Vaccaro est décédé en juin 2023 à l’âge de 50 ans. Sa disparition soudaine a été un choc.

 
Participez à la discussion
2 Messages :
CONTENUS SPONSORISÉS  
PAR Jérôme BLACHON  
A LIRE AUSSI  
Actualité  
Derniers commentaires  
Abonnement ne pouvait pas être enregistré. Essayez à nouveau.
Abonnement newsletter confirmé.

Newsletter ActuaBD