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Journée internationale des droits des femmes : Le Seuil, un grand récit sur les violences conjugales

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Il est de ces albums dont on retarde la lecture. Ils sont posés là, sur la pile, parfois même sur le dessus. Non pas que le sujet ne nous intéresse pas, bien au contraire. On sait, on pressent que le sujet est fort, que l’album ne nous laissera pas indifférent. C’est exactement le cas avec "Le Seuil" qui traite d’un sujet ô combien au cœur de nos préoccupations, et pourtant toujours dramatiquement d’actualité : les violences conjugales.

Camille s’étiole dans une relation toxique avec Jonathan, et ce depuis plusieurs années. Très manipulateur et jaloux, il cherche à la couper de son entourage.

Pourtant, Camille est une jeune fille équilibrée, qui fait des études et sort avec des amis le soir. Mais peu à peu, l’emprise de Jonathan envahit toutes les sphères de sa vie. Malgré tout, elle voit régulièrement autour d’un café sa meilleure amie, Margaux, qui n’est pas dupe du jeu de Jonathan et qui sait qu’en plus, il est violent.

Camille trouve une nouvelle bouffée d’oxygène avec Sami, étudiant dans le même BTS qu’elle. Les SMS complices et ambigus qu’ils s’envoient et l’attraction réciproque qu’ils éprouvent la font rêver à un autre avenir. Mais Sami apprend qu’elle est déjà en couple et aimerait bien comprendre à quoi joue Camille.

Autrice lyonnaise très engagée sur les sujets de société qui font mal, Fanny Vella a d’abord publié cette histoire en autoédition, grâce à un crowdfunding en 2019. Plus de 1600 albums avaient alors été vendus, ce qui constitue une belle réussite. Le roman graphique est repris cette année par les éditions Le Courrier du livre dans un format rectangulaire (l’ouvrage de 2019 était en format carré), étoffé, redessiné et recomposé. Il vient enrichir l’actualité 2024 de l’autrice de Et si on changeait d’angle ? et de Coquelicot qui a déjà sorti cette année deux autres albums dont nous vous reparlerons bientôt.

: © Fanny Vella

L’air est épais et nous manque en lisant Le Seuil. La mise en couleur de Cyrielle Pisapia, qui joue sur des dégradés de gris sombres, participe à cette atmosphère. Comment Camille a-t-elle pu se retrouver emprisonnée par cet homme qui la détruit à petit feu, tant physiquement que mentalement ? Comment peut-elle s’en sortir, trouver le courage de tout quitter ? Et quand bien même, pourra-t-elle un jour se reconstruire ?

C’est tout l’enjeu de ce livre à la fois édifiant, au premier sens du terme, et marquant. A travers plusieurs scènes de la vie quotidienne qui interpelleront tout un chacun, Fanny Vella déconstruit et décortique les mécanismes qui se mettent en place au sein d’une relation toxique où l’homme, dans le cas présent, cherche à tout prix à s’approprier sa compagne en sapant sa confiance en elle à tous les niveaux. Au milieu de cette noirceur pointent cependant quelques lumières comme Margaux, l’indéfectible amie, Sami, qui aide malgré lui, et d’autres visages plus improbables et dont le message est d’autant plus fort, comme la grand-mère de Jonathan.

: © Fanny Vella

Il faut souhaiter que personne ne se reconnaisse ou s’identifie au personnage odieux et détestable qu’est Jonathan, et pourtant on ne manquera pas de se poser la question à notre entourage. Sommes-nous une Camille sans le savoir ? Si nous connaissons une victime ou un bourreau (le terme n’est pas trop fort), comment peut-on aider ?

Peut-être simplement en étant là, disponible, mais peut-être aussi en faisant un pas de plus, celui qui peut sauver, en dénonçant, en signalant, comme le font les amis de Camille.

La postface de Capucine Coudrier, empreinte de sa propre expérience, donne un autre éclairage sur les dialogues de l’album. Car si sa situation était différente, elle a bel et bien entendu et vécu les « tu te rends compte de ce que tu me fais faire ? », « je vais faire une connerie si tu me quittes » et autres manipulations toxiques.

Alors Le Seuil, c’est celui au-delà duquel on ne veut pas aller. C’est le coup de trop, la douleur de trop. Celui qui, parfois, est le dernier. Mais c’est aussi celui de la main tendue, et comme l’album le montre très justement, le seuil de l’amour de soi.

Un album à la fois sombre et lumineux qui n’apporte pas de solution toute faite mais qui ouvre les yeux sur les violences pouvant exister dans le couple et donne quelques clés en fin d’ouvrage sur les moyens concrets d’apporter de l’aide aux victimes.

Comme tous les ouvrages de Fanny Vella, Le Seuil est plus que tout un ouvrage nécessaire à mettre dans les mains du plus grand nombre afin que le tabou des relations toxiques et des violences conjugales soit enfin levé.