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Les Riches au tribunal - Par Monique et Michel Pinçon-Charlot & Etienne Lécroart - Seuil/Delcourt

Par David TAUGIS le 4 mars 2019                      Lien  
Loin d'analyser un phénomène global, cet album illustre le procès Cahuzac à la lumière des commentaires du fameux couple de sociologues qui étudie la sphère sociale des grands bourgeois hexagonaux depuis des années. Bien mené mais sans la moindre nuance.

Le titre trahit d’emblée l’intention des auteurs : l’assimilation d’une trajectoire de parvenu malhonnête aux limites du trouble mental à la celle de TOUS les riches de la planète [1] . Un exemple sensé illustrer une réalité, voire une théorie. Tout le contraire de la méthode sociologique dont se targue avec suffisance le couple d’ex-chercheurs à l’origine de l’album.

On raconte donc ici l’ascension et la chute de l’ex-ministre socialiste Jérôme Cahuzac, constamment obsédé par un enrichissement sans fin jusqu’à sa condamnation, à la fois politique, judiciaire et morale. Le dessin de Lécroart, avec son esthétique de caricature tempérée de bonhomie apporte un dynamisme sautillant et bon enfant au récit, ne lésinant pas sur les pages très graphiques pour clarifier l’affaire et le propos.

Le portrait des époux sociologues, en valeureux chevaliers de la justice, s’avère lui plutôt irritant. Dépeints comme chercheurs infatigables luttant contre les inégalités, ils figurent en héros gentiment obstinés au service du bien. Non seulement Lécroart se garde bien de préciser qu’ils sont à la retraite depuis plus de dix ans, mais surtout que leur "réussite" tient à leur production livresque à sens unique : la sociologie des riches, encore et toujours, et bien évidemment à destination des déclassés, étudiants angoissés et autres profs frustrés. De très bonnes ventes à chaque fois, bien au-delà d’un lectorat universitaire. Contrairement à leur maître Pierre Bourdieu, ils n’ont rien révélé de notre société, et encore moins de ses mécanismes de contrôle. Ils font du commentaire à charge, comme la presse qu’ils défendent. En l’occurrence les seuls et uniques Mediapart...

Dommage de mettre en scène le travail des Pinçon-Charlot avec une telle complaisance, à la limite du groupie, sans jamais chercher à équilibrer le propos. On n’est pas loin du "tous pourris", "le monde est injuste", et heureusement qu’on est là pour vous le dire, et le répéter sans fin. Il est moins aisé d’aller enquêter en banlieue sur l’échec scolaire et les stratégies de fuite des familles d’une ville à l’autre pour éviter certaines populations, phénomène sociologique qui touche jusqu’aux classes moyennes.

Quand on sait que nos sociologues se revendiquent marxistes et ont soutenu un temps Mélenchon en France, on peut douter de leur méthodologie scientifique (d’ailleurs, où sont les chiffres généraux ici, les comparaisons, les évolutions ?). On peut surtout se demander où se trouve un élément fondamental de la sociologie : l’objectivation. À mener ce combat répétitif, les auteurs ne dépassent pas le stade du constat, fait par la presse bien avant eux, et ne posent pas les bonnes questions comme par exemple la refonte des lois fiscales au niveau européen.

(par David TAUGIS)

Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.

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Code EAN : 9782413009849

[1et ce malgré le sous-titre "L’affaire Cahuzac et l’évasion fiscale" qui en toute logique aurait du constituer le titre tout court...

Delcourt
 
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9 Messages :
  • Je viens de lire cette magnifique critique, tout aussi emprunte de parti-pris que ce qu’elle reproche à l’ouvrage des Pinçon-Charlot.
    Seulement voilà, là où les Pinçon-Charlot sont factuels et connaissent leur dossier, l’auteur de la critique à charge, lui, ne propose qu’un avis péremptoire et dénué tout autant de nuance avec pour pire "argument" le fait que les Sociologue ait soutenu un des rares candidats de la "vraie" Gauche (j’entends par là : pas celle des apparatchiks PS et consors soumis aux theses liberales).
    Est-on sur un site de critique de BD ou de Politique ici ? Qui est l’auteur de cette critique pour se targuer de remettre à sa place des EX-dorecteur de recherches au CNRS ?
    Quant à évoquer l’épouvantail du "complot" des "tous pourris", n’est-ce pas un peu facile ? Selon lui, seuls quelques uns de ces "Riches" seraient des voyous ?
    Mais réveillez-vous, bon sang !
    C’est ps les etudes et les oeuvres qui manquent pour prouver la généralité du concept d’allergie à l’impôt et aux lois des "Riches" : Clearstream, Luxleaks, Panama Papers, Crise de 2008 ; tout est documenté par des scientifiques de renom dans la literature : encore faut-il la lire !
    Alors Mr. TAUGI, quand on ne maîtrise pas un sujet, on évite de la ramener en faisant son chien-de-garde de la bourgeoisie à titre gracieux. Contenter vous de critique la Bande Dessinée et si son contenu vous émoi, alors renseignez-vous avant de publier une critique dénué de profondeur.

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    • Répondu par Didier Pasamonik (L’Agence BD) le 5 mars 2019 à  13:33 :

      Est-il besoin de commenter ce commentaire ? Oui, pour constater qu’alors que l’article de David Taugis est, comme à son habitude, mesuré et posé, il fait réagir cette frange excitée d’imbéciles qui pensent que la bande dessinée doit être apolitique et la critique sans opinion. Cela n’a jamais été la ligne d’ActuaBD. Votre attaque Ad Hominem, évidemment anonyme, n’y changera rien. Nous sommes très fiers de compter David Taugis parmi nous.

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      • Répondu par Arthemyce le 6 mars 2019 à  18:01 :

        Attaque ad-Hominem ? Éclairez-moi, je ne vois pas où ? Ah oui « chien-de-garde » peut-être ? Mes excuses, le terme consacré pour le soutien péremptoire de « l’ordre établi » est certes un peu rustre.
        Critique mesurée et pesée ? C’est un brûlot contre les Pincons-Charlot, sans aucun arguments valables - et par valable, je n’entends pas « que je valide personnellement », mais bien « valable sur le plan rationnel, logique ». D’ailleurs Mr. TAUGIS semble aussi maîtriser l’attaque ad-hominem dans cette critique ; mais en lui en fait pas grief, on est fier de ôavoir dans la maison, ce que je respecte.
        Tout repose qui plus est sur une ignorance évidente des « coutumes » du milieu grand-bourgeois/financier. Ou que Mr. TAUGIS me communique ses sources, je suis curieux et toujours près à me remettre en question.
        Ensuite, « frange excitée d’imbeciles », dois-je me sentir visé ? Alors, si oui : Excité par les lacunes argumentaires et le ton dédaigneux de Mr. TAUGIS, bien sûr ! ; Imbécile ? : vous avez la charge de la preuve ;-)
        Je suis bien loin de penser que la BD doit être appelé tique (procès d’intention... ah, sophisme, quand tu nous tiens...), j’affectionne au contraire particulièrement ce style.
        Enfin je me permettrai d’ajouter que je pose nombre de questions restées sans réponses. Je les recevrai avec plaisir.
        Mr. Pasamonik, je vous remercie sincèrement d’avoir pris le temps de me répondre malgré que, vous aussi, auriez gagné à affûter votre raison.

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        • Répondu par Didier Pasamonik (L’Agence BD) le 7 mars 2019 à  08:23 :

          Continuez, vous êtes très divertissant !

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          • Répondu par Arthemyce le 7 mars 2019 à  11:03 :

            Visiblement, en face d’arguments solides, vous préférez la fuite. C’est sûr, c’est plus simple que d’avouer ses torts, de se remettre en question...
            Mr. TAUGIS, je passerai de temps en temps sur cette critique, voir si vous avez répondu aux questions qui vous ont été posées (pas seulement les miennes d’ailleurs).
            J’espère que vous ferez preuve de plus de courage que votre collègue.

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  • Bonjour M. Taugis,

    Je me permets de réagir à votre chronique.

    Je ne reviens pas sur vos critiques concernant les travaux du couple Pinçot-Charlot, que je ne connais que pour quelques interventions sur les plateaux TV, que je suis bien incapable de confirmer ou d’infirmer.

    Cependant, deux phrases m’ont fait réagir :

    Non seulement Lécroart se garde bien de préciser qu’ils sont à la retraite depuis plus de dix ans, mais surtout que leur "réussite" tient à leur production livresque à sens unique : la sociologie des riches, encore et toujours, et bien évidemment à destination des déclassés, étudiants angoissés et autres profs frustrés."

    - N’est-ce pas un reproche que vous pourriez faire également à beaucoup d’universitaires ou de chercheurs du CNRS ?

    En sciences sociales, une grande spécialisation n’est pas la preuve d’une quelconque facilité intellectuelle mais plutôt la preuve qu’un sujet, parfois très vaste, mérite d’être étudié pendant des années.

    Que Sylvain Venayre ait publié autant d’ouvrages et d’articles sur le voyage et l’aventure au XIXe siècle et au début du XXe siècle le disqualifie-t-il lorsqu’il étudie d’autres sujets... comme la BD ?

    Le fait que les Pinçon-Charlot soient en retraite les empêche-t-il d’écrire des ouvrages intéressants ? Il faudrait développer pour nous expliquer ce que cela peut avoir de gênant pour la qualité de leur travail (que je répète ne pas connaître).

    "Ils font du commentaire à charge, comme la presse qu’ils défendent. En l’occurrence les seuls et uniques Mediapart..."

    - Vous semblez critiquer Mediapart comme étant le "seul et unique" organe de presse à avoir traité l’affaire Cahuzac. Ils ont certes été les premiers, mais d’autres médias comme "Le Canard enchaîné" ont fait des investigations et ont confirmé, précisé ou développé leurs premières révélations.

    Ou bien, il faudrait comprendre que seul Mediapart aurait fait du journalisme "à charge" contre Jérôme Cahuzac ? Encore une fois, je m’étonne de votre formulation. Personnellement, j’aurais tendance à remercier les journalistes de Mediapart d’avoir "lancé" cette affaire.

    Les Pinçon-Charlot expliqueraient dans leur BD que seul "Mediapart" a fait du bon boulot ? Il faut reconnaître que, pendant quelques semaines, ils ont été bien seuls à défendre leur(s) source(s) et à continuer leurs investigations...

    Cordialement

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    • Répondu par Arthemyce le 6 mars 2019 à  18:04 :

      Merci pour vos remarques très pertinentes. Il y a effectivement un gros problème ici dans l’argumentaire.

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      • Répondu par David TAUGIS le 7 mars 2019 à  13:02 :

        Merci pour ces remarques. En effet, Mediapart n’est pas à mon sens un media particulièrement méritant. Ils ont, comme beaucoup, une haute opinion d’eux mêmes et des parti pris contestables. Mais notre site n’est pas forcément le lieu de débats politiques.
        Quant au statut des sociologues, il est important à mon avis de le signaler car n’étant plus universitaires, ils sont selon moi éloignés d’une vraie démarche scientifique. Moi-même diplômé en sociologie, j’ai la prétention d’avoir un avis éclairé sur leur démarche. Pour reprendre l’exemple de Bourdieu que j’évoque dans mon article, lui avait au moins deux mérites, voir trois : il n’était pas un représentant des classes aisées (cf madame), a évoqué des sujets très divers, et surtout, a gardé des bases de travai sérieuses : une méthode d’enquête, rationnelle, qui n’oublie jamais l’objectivation.
        Pour conclure, je pense que centrer le débat sur Cahuzac aurait suffit, tout simplement, à la fois dans le titre et la démarche. Celle d’un portrait corrosif, juste sans aucun doute, mais qui n’a pas valeur de symbole absolu.

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  • Bonjour,
    Pour information, un précédent ouvrage des Pinçon-Charlot a fait l’objet d’une critique sur le site : Panique dans le 16e !. Vous la trouverez ici. La sortie de cet album avait été l’occasion d’un interview des auteurs, à lire également dans nos colonnes.
    Cordialement,
    AP

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