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Montellier : Tchernobyl, vingt ans d’urgence

Par Didier Pasamonik (L’Agence BD) le 25 avril 2006                      Lien  
Il y a exactement vingt ans, le 26 avril 1986, le réacteur N°4 de la centrale nucléaire de Tchernobyl explosait, et avec lui un monde de certitude, figé dans la guerre froide et l'idée que le combustible nucléaire était une énergie propre. Vingt ans après, Chantal Montellier raconte à quel point les politiques, les médias et le conformisme le plus égoïste ont monté une véritable conspiration du silence.

On a longtemps sous-estimé Chantal Montellier, la pertinence de son propos, l’importance de son esthétique. Sans doute, ses images sont-elles peu complaisantes, rugueuses. Elles portent en elle une certaine laideur, en rupture avec les chromos rassurants pleins d’aventures sans importance comme l’industrie de la bande dessinée en produit tant. La gravité de ses sujets, son discours politique militant, sa façon de nous asséner son fait sans chercher à nous séduire, ni à nous convaincre, l’avait classée un peu vite dans la catégorie des auteurs revêches, voire un peu emmerdants. Pourtant, avec Tchernobyl, mon amour, elle confirme qu’elle est l’un de nos créateurs de bande dessinée les plus importants.

Montellier : Tchernobyl, vingt ans d'urgence
Tchernobyl, mon amour
de Chantal Montellier (Actes Sud)

Tchernobyl, mon amour, évidemment, fait allusion à Hiroshima, à Resnais et Duras. On pourrait croire que le rapport tient tout entier dans ce dialogue du film : « ― Je n’ai rien inventé... ― Tu as tout inventé ! » Ce serait trompeur : le rapport n’est pas que dans une fabrication ressemblante du mensonge, dans la dissimulation de la gravité du forfait accompli. Le vrai rapport entre ces deux événements, ce sont les victimes innocentes. À Hiroshima, le feu de l’enfer était utilisé de manière délibérée, en une espèce de conclusion horrifique d’une guerre qui, pourtant, n’avait pas manqué d’horreur et que les auteurs de BD n’ont d’ailleurs pas manqué d’intégrer dans leur imaginaire. Après cela, « l’équilibre de la terreur » avait cantonné l’ignominie guerrière dans des conflits dits « de basse intensité ». Le nucléaire civil, de son côté, avait prospéré benoîtement et, face à la pollution immédiate de l’énergie fossile (le charbon, le pétrole, le gaz...), responsable selon certains de « l’effet de serre », la production nucléaire présentait la face rassurante d’une énergie « propre » qui garantissait aux Français d’être à jamais un pays puissant et indépendant, sans pétrole, mais avec des idées. La conspiration du silence, de son côté, s’employait à valoriser les avantages de son emploi, tout en dissimulant le désastreux problème des déchets, pollution laissée à nos enfants, pour les siècles à venir, sans espoir de jamais leur enlever leur caractère mortel. Des philosophes, des intellectuels, étaient payés à l’année pour élaborer les mille et une bonnes raisons de choisir cette énergie de l’avenir.

Tchernobyl, mon amour
de Chantal Montellier (Actes Sud)

Tchernobyl est venu briser ce rêve rose et bleu. Ce qui est terrifiant, ce n’est pas l’explosion de cette centrale vétuste qui a fait des centaines de milliers de victimes, c’est leur mort par étouffement, dans le silence. L’URSS a implosé sous son impact. Une génération de jeunes gens venus colmater le brasier de la centrale, l’enfermer dans un « sarcophage » qui garde encore toute sa dangerosité, ont été irrémédiablement irradiés, faute de moyen de protection mais surtout faute d’avoir été renseignés sur les conséquences de leur exposition prolongée. Ces braves gens -nos sauveteurs à tout dire- les « liquidateurs » de Tchernobyl, ont été purement et simplement sacrifiés. « Exterminés », rectifie Montellier.

Tchernobyl, mon amour est ce livre d’horreur vraie, unique. Un insoutenable réquisitoire, un cri d’alarme déchirant. Il a fallu tout l’art de Montellier, dans une palette graphique qui est une sorte de Pop-Art tragique, une bande dessinée qui atteint le génie, pour que cette histoire ait pu nous être racontée. Tchernobyl, mon amour est un insupportable chef-d’œuvre.

(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))

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Code EAN :

Tchernobyl, Mon amour - Textes et dessins de Chantal Montellier - Editions Actes Sud - 22€
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