Le texte du communiqué est sans ambages : « …Nous, auteur.e.s de Bande dessinée, francophones et flamand.e.s , belges et français.es, sommes inquiets pour l’avenir du CBBD… »
Une inquiétude en forme de mise en cause : « Selon nos sources, ce choix [la nomination de la nouvelle directrice. NDLR] a été motivé par une volonté légitime de défendre les acquis et une certaine indépendance politique, mais aboutit à un conflit objectif d’intérêts. Les candidatures externes, plus légitimes par leurs titres et plus méritoires par leurs projets, ont été rejetées au profit de la consécration d’une membre du personnel. »
Ce qui frappe, c’est le nombre d’auteurs belges prestigieux qui signent ce communiqué : les Grands Prix d’Angoulême François Schuiten et Hermann, Philippe Geluck, Bernard Yslaire, Jean-François & Maryse Charles, Benoît Sokal, Benoît Peeters… Auteurs dont certains comme Jean van Hamme et Dany siègent ou ont siégé au Conseil d’Administration du CBBD ; auteurs belges mais aussi suisse comme Cosey, flamands de renom comme Her Seele, Johan De Moor,... des éditeurs comme Yves Schlirf (Dargaud), le Fremok, la Cinquième Couche, l’Employé du Moi, une institution comme l’Académie Victor Rossel de Bande Dessinée et même… Nick Rodwell, le sémillant patron de Moulinsart ! Pour le CBBD, c’est un sacré camouflet car c’est sa légitimité-même qui est remise en question.
Cette mise en cause va loin puisque les signataires lui dénient même l’appellation de « Musée de la BD » : « Rappelons que le CBBD créé il y a 30 ans, n’est pas un Musée, dit le communiqué. Il n’a jamais eu pour vocation d’être un musée, mais le Centre belge de bande dessinée, en pesant chacun de ces mots. A l’instar du Centre Beaubourg à Paris dédié à l’Art contemporain, créé une décennie plus tôt, la volonté n’était pas de se limiter à une collection permanente d’artistes représentatifs du XXe siècle, mais d’imaginer un centre vivant de l’Art au présent, évoluant avec son temps, reflet de son époque. »
Il est clair que si le Centre Belge veut conserver l’estime des auteurs et d’une manière générale des professionnels de la bande dessinée dont elle profite par son affichage, il va falloir que sa gouvernance soit revue. Nous sommes dans le cas classique d’une institution qui n’a plus la légitimité de ses fondateurs et dans laquelle la nouvelle génération des créateurs ne se reconnaît guère.
Cette lettre ouverte est clairement un appel aux politiques (rappelons que le bâtiment appartient à l’État belge) et aux bonnes volontés pour que la mission du CBBD soit redéfinie et sa gestion davantage transparente. À eux d’agir…
LA LETTRE OUVERTE DES AUTEURS ET DES ÉDITEURS BELGES
Pour un Centre de la BD audacieux, ambitieux, géré dans la transparence
Le Centre Belge de la Bande Dessinée fête aujourd’hui ses trente ans. Beaucoup de choses ont changé depuis son ouverture. Les galeries de bande dessinée qui n’existaient pas à l’époque, jouent maintenant un rôle prépondérant dans l’économie des auteurs, et créent aussi des expositions thématiques très médiatisées. La fondation Roi Baudouin qui a reçu des fonds importants d’auteurs, est devenue la première institution patrimoniale belge de la bande dessinée. De plus, différents musées privés, centrés sur la BD, vont bientôt ouvrir ( le Musée du Chat, la Fondation Philippe Boon ). Par ailleurs, beaucoup d’auteurs se trouvent dans une situation de précarisation difficilement imaginable en 1989. Au regard de ces nouveaux acteurs, et dans ce paysage profondément modifié, ne serait-il pas temps et crucial, de se poser la question des missions du Centre Belge de la Bande Dessinée ?
Dans ce contexte, nous, auteur.e.s de Bande dessinée, francophones et flamand.e.s , belges et français.es, sommes inquiets pour l’avenir du CBBD. Pour son manque d’ambition et de rayonnement, et l’oubli de sa mission première : défendre la création en bande dessinée européenne d’hier et de demain car le Musée de la Bande Dessinée est tout autant un hommage aux pionniers qu’un regard sur la BD actuelle. Après un appel à projets et l’audition de très bons candidats, le Conseil d’administration du Centre belge de la Bande dessinée a opté pour le choix en interne d’une nouvelle Directrice générale.
C’est avec une grande inquiétude que nous avons appris cette préférence pour une personne dont le projet reste à venir. Selon nos sources, ce choix a été motivé par une volonté légitime de défendre les acquis et une certaine indépendance politique, mais aboutit à un conflit objectif d’intérêts. Les candidatures externes, plus légitimes par leurs titres et plus méritoires par leurs projets, ont été rejetées au profit de la consécration d’une membre du personnel.
Sans chercher à polémiquer plus avant sur le choix de la personne, ou sur le processus de vote du Conseil d’administration fort opaque, nous tenons à rappeler la mission première de ce que devrait être ce formidable outil de défense de notre patrimoine, de notre fierté de créateurs, de notre patrimoine belge. De projet d’avenir, la nouvelle Directrice générale n’en avait tout simplement pas avant sa nomination. Comme affiché sur le site officiel : Dans les mois à venir elle se concentrera à définir avec enthousiasme un projet ambitieux. Et l’intention exprimée est de maintenir le succès du musée, ou en d’autres mots de continuer comme avant. Et c’est bien ce qui nous pose problème.
Rappelons que le CBBD créé il y a 30 ans, n’est pas un Musée. Il n’a jamais eu pour vocation d’être un musée, mais le Centre belge de bande dessinée, en pesant chacun de ces mots. A l’instar du Centre Beaubourg à Paris dédié à l’Art contemporain, créé une décennie plus tôt, la volonté n’était pas de se limiter à une collection permanente d’artistes représentatifs du XXe siècle, mais d’imaginer un centre vivant de l’Art au présent, évoluant avec son temps, reflet de son époque. De même, le choix de qualifier le Centre « belge de BD » —et non« de BD belge »—, affirmait clairement cette volonté d’être l’épicentre européen de la création et du patrimoine.
Aucun historien ne le conteste, la Belgique a joué un rôle précurseur dans le développement et la reconnaissance du neuvième Art, longtemps réduit aux « petits Mickeys » pour les enfants. Ce n’est pas un hasard, si Bruxelles a inauguré le premier Centre de Bande dessinée d’Europe, avant celui d’Angoulême. Mais cet outil formidable dessiné, implanté au cœur même de la capitale européenne, semble condamné à n’être plus que le reflet d’un espoir daté et aujourd’hui dépassé. Trente ans après son ouverture, force est de constater que le contexte a changé. « Fortissimi ne sunt plus Belgae » : la BD franco-belge n’est plus en vogue, Bruxelles a perdu sa place de capitale au profit de Paris, et le CBBD ne répond plus à sa vocation première. Pire, il semble même l’oublier.
Alors que le fatalisme et le découragement semblent gagner tous les acteurs belges du métier, à tort ou à raison, les auteurs se sentent exclus du Centre belge, abandonnant peu à peu tout espoir d’une reconnaissance de leur apport culturel sur le sol national. Nous auteur.e.s de bande dessinée, Nous, objets actuels ou futurs du Centre belge de Bande dessinée, pensons mériter mieux à Bruxelles qu’un Centre « magnifié par un exceptionnel cadre Art Nouveau », dédié aux réceptions privées... sans projet ambitieux pour le 9e Art. La bande dessinée belge vaut mieux qu’un temple dirigé par ses marchands. Il est temps que le Centre redéfinisse avec audace et ambition le rôle qu’il veut jouer dans le futur pour valoriser la bande dessinée et ses auteurs en Belgique : plus que jamais nous avons besoin de cet outil.
Pierre Bailly, Thilde Barboni, Etienne Beck, Philippe Berthet, Jan Bosschaert, Thierry Bouuaert, Philippe Capart, Gwenola Carrere, Jean-François et Maryse Charles, Bernard Cosey, Stephane Degroef, Johan De Moor, Max de Radigues, Fanny Dreyer, Annabelle Dupret, Laurent Durieux, Christian Durieux, Fremok, Philippe Geluck, Sacha Goerg, Alain Goffin, Olivier Grenson, WIlliam Henne, Dany Henrotin, Hermann Huppen, Jeroen Janssen, Denis Larue, Eric Lambé, La Cinquième couche, l’ Académie Victor Rossel de Bande Dessinée, Denis Lapière, Xavier Lowenthal, Frank Legall, L’employé du Moi, Paul Mahoux, Michael Matthys, Séraphine et André Moons, Benoit Peeters, Romain Renard, Nick Rodwell, Yves Schlirf, François Schuiten, Her Seele, Yves Sente, Jean-Claude Servais, Benoît Sokal, Nicolas Vadot, David Vandermeulen, Jean Van Hamme, Thierry Vanhasselt, Bernard Yslaire,...
(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))
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La rédaction d’ActuaBD a essayé d’avoir la réaction de la direction du Centre Belge de la Bande Dessinée, sans réponse jusqu’à présent.
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