Les notices biographiques sont rares à propos de Pierre Couperie. On sait qu’il est né à Montauban en 1930, que cet historien fut chef des travaux au Centre de recherches historiques de l’École des Hautes Études en Sciences sociales, qu’on lui doit des travaux sur l’histoire économique et sociale de Paris et un atlas historique de cette ville. Il fut vice-président du Club de bandes dessinées (mai 1962), membre du CELEG (Centre d’étude des littératures d’expression graphique), puis vice-président de la SOCERLID qui fut le promoteur de la grande exposition « Bande dessinée et figuration narrative » au Musée des Arts-Décoratifs (1967), considérée comme le point de départ de la reconnaissance de la bande dessinée en France. Il conçoit la plupart des expositions et colloques organisés par la SOCERLID, pêchant parfois par passéisme ou par aveuglement, survalorisant les bandes dessinées de « l’âge d’or » (les comic strips américains d’avant-guerre) au détriment des comic books ou encore des grands courants de la bande dessinée mondiale comme les mangas japonais, par exemple.
Mais ses contributions aux revues Giff-Wiff (à partir de juillet 1962) et Phénix (à partir d’octobre 1966), sont pionnières et parmi les mieux conçues et les plus pertinentes à un moment où la documentation est rare. On lui doit l’appareil critique des premières éditions en France de Little Nemo, Flash Gordon ou Prince Valiant, base de l’éducation bédéphilique en France qui impulsa bien d’autres initiatives ensuite, dont notamment le Festival Internatinal de la Bande Dessinée d’Angoulême.
« Un modèle de rigueur et d’érudition »
« C’est Couperie qui, en sa qualité de vice-président du Club des Bandes Dessinées (futur CELEG), témoigne Maurice Horn, l’auteur de The World Encyclopedia of Comics, m’a écrit en 1963 pour me demander de devenir le correspondant du Club aux États-Unis. En tant qu’historien et théoricien de la bande dessinée, Couperie joignait une érudition et une finesse d’analyse avec un style accessible à un large lectorat. Dans ce domaine en France, à mon avis, il n’a jamais été égalé, encore moins remplacé. »
« C’était l’intellectuel de la bande, ajoute Henri Fillipini, son collaborateur dans Phénix et futur éditeur aux éditions Glénat. C’était un chieur pour ça, c’était le genre de mec à passer une nuit blanche pour savoir si c’était un mardi ou un mercredi que Milton Caniff avait dessiné la planche de telle ou telle date ! C’était quelqu’un de très pointu, de pinailleur. J’ai eu le malheur d’écrire un jour un bouquin un peu bâclé et, même si nous étions amis et si on se voyait tout le temps, il ne m’a pas raté. »
Dominique Petifaux, secrétaire de rédaction du Collectionneur de bandes dessinées et qui y a fait l’une de ses rares interviews [1] le confirme : « Couperie a été le premier véritable historien de la bande dessinée. Sa caractéristique a été (c’est ce qu’il faisait notamment dans son séminaire de l’École des Hautes Études en Sciences Sociales) de relier la bande dessinée à l’ensemble de la production artistique de l’époque. Sa dernière manifestation publique fut un entretien qu’il a accordé à Annie Baron-Carvais et à moi en 1997[…]. Pour l’étude de la bande dessinée, il a formé un duo extraordinairement efficace avec Claude Moliterni : on ne pouvait rêver personnalités plus complémentaires. En gros, "la tête" et "les jambes"... Il était aussi reconnu à l’étranger. Pour tous les chercheurs en bande dessinée, il était un modèle de rigueur et d’érudition. »
« une curiosité d’une intensité d’enfant »
Ces dernières années, à la retraite, il vivait reclus dans son appartement du 5ème arrondissement de Paris. La dessinatrice des Triplés, Nicole Lambert fut parmi ses intimes : « Je l’ai connu parce qu’il m’avait invitée au Festival de Lucca, il y a 24 ans. Il avait vu Les Triplés dans le Figaro et il m’a invitée. C’est devenu un très grand ami. Danièle Alexandre-Bidon et moi-même l’avions vu ensemble le 23 décembre dernier. On est retourné le 3 janvier et il était mort. C’était un homme hors du commun d’une érudition phénoménale comme je n’en ai jamais rencontrée. Sa formation d’historien ressortait très sérieusement, il était d’une grande exigence. On l’a connu d’une manière tout à fait intime, comme un ami très cher. Il était d’une gentillesse et d’une tendresse extraordinaires, surtout quand on pense à quel point il pouvait être difficile et exigeant. Il avait une curiosité d’une intensité d’enfant : il voulait tout connaître, tout savoir, tout l’intéressait et, en même temps, il était très reclus. C’était un OVNI, quoi. C’est le premier universitaire sérieux qui a vraiment donné ses lettres de noblesse à la BD. Il était aussi bien spécialiste de la bande dessinée qu’un historien médiéviste de premier plan. Il était fasciné par la Guerre de Sécession qu’il connaissait dans les moindres détails. Il pouvait dire : « Vous savez, dans la musette du fantassin, il y avait trois cartouches de moins que chez les autres ». Il était féru d’astronomie à un point qui était stupéfiant, c’était une sorte de Pic de la Mirandole ! Il avait un goût du savoir. Il donnait un séminaire merveilleux aux Hautes Études qui a duré des années. C’était une jouissance pour l’esprit car il prenait ses exemples absolument partout : dans la BD, dans la peinture. Il préparait beaucoup de choses mais il avait du mal à terminer car il était fatigué. Il fonctionnait à mille à l’heure, il était inouï. Je l’aimais beaucoup. Être dans ses intimes, c’était un honneur formidable. »
Encore interloqué par le scandale des archives de Claude Moliterni partiellement retrouvées sur le trottoir de son appartement parisien, Rinaldo Traini qui lui rend hommage sur l’excellent site d’information italien Af News s’inquiète de savoir s’il en sera de même avec celles de Pierre Couperie. D’après nos informations, elles seraient en sécurité, un inventaire devrait est prévu qui pourrait prendre quelques mois. La Cité Internationale de la Bande Dessinée et de l’Image d’Angoulême s’est d’ores et déjà manifestée pour en être le dépositaire.
Il est prévu que Jean Giraud alias Moebius dise un petit mot en son hommage à l’occasion de l’ouverture officielle du prochain Festival d’Angoulême.
[Ajouté le 14 janvier 2010].
On en sait un peu plus sur les circonstances de son décès. Il serait mort le 24 décembre 2009. Son corps a été découvert le 5 janvier 2010.
(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))
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[1] CBD N°84, hiver 1997.
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