La clef de la longévité du Journal de Spirou tient sans doute également à sa capacité d’évolution, tout en restant ancré dans son époque. Ce n’est certes pas la première fois que l’hebdomadaire de la bonne humeur s’intéresse à l’écologie ! On se souvient notamment d’un précédent numéro spécial sur le même thème réalisé en 2007 par Olivier Van Vaerenbergh et son équipe. Hughes Dayez ne manque pas de le rappeler dans sa rubrique historique du journal. Et ce n’est pas la première fois non plus qu’un numéro se consacre à 80% à la thématique, que cela soit avec des séries connues des lecteurs, comme Broussaille de Frank & Bom, ou des récits créés spécifiquement pour l’occasion.
Là où ce numéro Spécial Terre se distingue sans doute, c’est dans son équilibre entre humour et sérieux, et grâce à la diversité des publics visés. En effet, les spécialistes du GIEC sont clairs : l’année 2015 sera critique pour contenir l’élévation de la température sous les 2°C avant la fin du siècle. Le problème est donc mondial, le sujet est brûlant si l’on peut dire, mais il faut trouver le juste milieu entre l’information dispensée par un média populaire (la bande dessinée), un journal qui n’est pas moins populaire, et l’humour qui caractérise notamment le ton du Journal de Spirou.
« Ce numéro spécial "La Terre vue de Spirou" a pour but de vous expliquer (ou vous rappeler) quelques-uns des enjeux environnementaux majeurs de notre planète », explique Frédéric Niffle, le rédacteur-en-chef. « En tant que média s’adressant à la jeunesse, nous nous préoccupons évidemment des générations futures qui hériteront de nos excès en termes de pollution. Nous pensons qu’une information claire est la meilleure alliée pour responsabiliser tout un chacun. Nous espérons que ce numéro spécial vous donnera l’occasion d’aborder ce sujet sensible en famille, entre amis ou à l’école, car il concerne l’avenir de chacun d’entre nous. »
Sérieux…avec le sourire
Rayon humour, les garnisons de Spirou sont heureusement bien garnies : L’Atelier Mastodonte s’en donne à cœur joie, non sans faire un clin d’œil au rédacteur-en-chef Frédéric Niffle ; Benoît Feroumont fait coup double avec Le Royaume ; sans oublier Dad, Animal Lecteur, Nelson et surtout les incontournables Givrés qui trouvent une thématique bienvenue à leurs univers blanc. Leur court récit est d’ailleurs la meilleure représentation du journal : un mélange d’humour et d’infos bien dosé ! Bien entendu, d’autres lurons sont de la partie, avec de courts récits sur les climato-sceptiques, la fonte de la banquises, la déforestation, etc. On ne peut pas affirmer que l’on s’esclaffe à chaque page, mais si on ne rit pas à chaque chute, cela n’empêche pas de réfléchir aux sujets évoqués.
C’est d’ailleurs le but avoué d’autres courts récits relevant plutôt de la BD-reportage. Même si tous les lecteurs peuvent s’y retrouver, les deux superbes pages de Marie Gloris – JP Krassinsky s’adressent intelligemment au jeune public... et aux jeunes parents. Plutôt que d’asséner des vérités, ils ont préféré laisser les voyageurs d’un train évoquer l’écologie. Le résultat est proche de notre quotidien, évoquant de petits gestes qui sont essentiels lorsque tout le monde s’y met, mais tordant également le cou à quelques croyances prétendument écologiques encore bien implantées.
Il aurait été inconcevable que Le Labo de Jean-Yves Duhoo ne trouve pas sa place dans ce numéro spécial. Il rend passionnante sa visite du laboratoire français des sciences du climat et de l’environnement, et sa rencontre avec le vice-président du GIEC. Avec des mots simples qui toucheront les jeunes lecteurs, il explique les bases de la problématique, mais aussi les difficultés qu’il a fallu vaincre pour réunir la communauté internationale autour de la même constatation. Son utilisation des personnages des Schtroumpfs et de Gargamel est extrêmement judicieuse : c’est un des points d’orgue de ce numéro.
Actualité oblige, Mathieu Sapin, qui sort dans quelques jours Le Château, un an dans les coulisses de l’Élysée, s’est rendu auprès de Nicolas Hulot, nommé en 2013 par François Hollande « Envoyé spécial pour la protection de la planète ». Si les propos de Hulot sont bien entendu intéressants, la monotonie des cases risque malheureusement de lasser le lecteur plus jeune Néanmoins, les professeurs et parents prendront certainement le temps de le décortiquer avec les enfants car l’ensemble du propos reste édifiant.
Si la thématique intéressera plus les adolescents et les adultes que les primo-lecteurs, l’intérêt et le rendu des deux pages de Fred Neidhart n’en sont pas moins brillants ! Dans Nourrir la planète sans pesticides, c’est possible, il débute gentiment sur une parodie d’Astérix avant d’avancer les idées révolutionnaires et innovantes qui permettront de conjuguer écologie et nutrition d’une population mondiale qui ne cesse de croître.
Le Journal de Spirou n’en oublie pas son aspect ludique : le grand poster de Pic & Zou est aussi réaliste, et les autres jeux permettent de se divertir sans oublier la thématique. La rubrique BD Boutik propose également des chroniques d’autres albums pour prolonger sa lecture : les incontournables Saison Brune et Autobio, mais aussi Ecoloville de Duhoo et Galopu sauve la Terre de Matt Konture bien entendu.
Le Journal de Spirou fait donc un joli coup double en laissant ce numéro drôle et didactique en kiosque pendant un mois. On peut l’acheter et le lire sans être un fidèle lecteur… mais on pourrait se laisser tenter la fidélité en lisant les deux épisodes de très belles séries à suivre : Yoko Tsuno et Dent d’Ours. Mais ce Spécial Terre est surtout une revue à conseiller aux instituteurs et professeurs, car il y trouveront quantité de pistes à explorer pour traiter cette thématique en classe, et aux parents pour leurs enfants. Un pari gagné pour la rédaction du journal !
(par Charles-Louis Detournay)
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