C’est le 40e album d’Astérix. Avec un nouveau scénariste : FabCaro et le même dessinateur depuis six albums : Didier Conrad. On va avoir droit, comme cela a été le cas depuis des années, à la sempiternelle plainte « Astérix, ce n’est plus comme avant ». En 1976, dans Lire, au micro de Bernard Pivot, Goscinny faisait remarquer : « Moi, quand j’ai écrit mon premier scénario, il y a vingt-cinq ans, on m’a dit : "Est-ce que tu pourras en faire un deuxième ?" Et quand j’ai fait le deuxième, on m’a dit : "Il ne vaut pas le premier." Moi, aussi, je baisse depuis le début… »
Certes, on ne va pas ergoter, de l’avis général, les albums d’Uderzo n’ont pas la finesse, l’habilité et l’esprit de ceux de René Goscinny. C’est que, de base, Uderzo n’est pas un scénariste, d’une part, et n’avait pas l’expérience d’un Goscinny capable de dégainer dans les années 1960, plusieurs épisodes d’Astérix, de Lucky Luke, d’Iznogoud et du Petit Nicolas par an, tout en écrivant des dizaines d’articles, des scénarios de films et en dirigeant l’hebdomadaire Pilote.
C’est oublier aussi que la qualité d’une reprise est indexée au talent du repreneur : Spirou, par exemple, n’a pas eu à se plaindre de sa reprise par Franquin, Tome & Janry ou Émile Bravo ; Walt Disney n’a pas souffert de l’utilisation de ses personnages par Carl Barks ou Floyd Gottferson.
Ici, il ne faut pas non plus trop accabler les auteurs du Astérix d’aujourd’hui : leur éditeur, Céleste Surugue, intervient comme un tantô, un de ces éditeurs japonais qui sont tellement impliqués dans les grandes séries de manga qu’ils en sont quasiment les coauteurs. Les auteurs le décrivent relisant le scénario ligne à ligne, regardant chaque dessin, anticipant la réaction des ayants droits, Sylvie Uderzo et Anne Goscinny qui, elles-aussi, ont leur mot à dire.
Alors qu’attend-on du nouvel Astérix ? Le respect du dessin d’abord. Et là on peut dire que Didier Conrad remplit le contrat. Il est même de plus en plus habile, s’appropriant le trait mais aussi l’univers d’Uderzo. On ne peut pas dire qu’il « baisse »… Quant à FabCaro, il a l’avantage de la fraîcheur, succédant à Jean-Yves Ferri qui, lui aussi, n’avait pas démérité et qui, après cinq albums, avait un peu besoin de souffler pour recharger ses accus. D’eux, on attend qu’ils préservent l’esprit de la série : sa critique sociale, ses jeux de mots subtils, ses personnages parfaitement caractérisés, son sens de la parodie, ses références bouffonnes, ses situations cocasses…
Les auteurs de L’Iris blanc y parviennent-ils ?
Il est incontestable, donc, que le successeur d’Albert Uderzo, Didier Conrad, adoubé par le maître lui-même, ne va qu’en s’améliorant. Album après album, son trait, qui ne relève pas de la copie, devient de plus en plus virtuose quand il s’agit de donner vie à nos Gaulois. François Schuiten nous rapportait l’anecdote d’un Albert Uderzo faisant la remarque à Didier Conrad qui lui envoyait ses premiers dessins d’Astérix : « C’est très bien... sauf tes yeux. Tu ne t’intéresse pas assez aux yeux. » et de voir dans cet album toute l’expressivité que le dessinateur transmet à travers ce que d’aucuns appellent « le miroir de l’âme ».
Au niveau de l’écriture, FabCaro, premier auteur de la série à ne pas avoir été choisi par l’un des deux pères-fondateurs, s’essaye à un sujet moderne : la pensée positive. L’auteur à l’humour absurde s’en sort avec brio avec des jeux de mots fins et bien rythmés tout au long de l’album.
L’arrivée de son nouveau « méchant », Vicévertus, prêchant au sein du village une bonne parole issue d’un nouveau courant de pensée : L’Iris Blanc, fait mouche. Le trouble vécu par les villageois, mais aussi par les cohortes romaines peut rappeler d’anciens albums mais jamais, au fil des pages, on ne tombe dans le pastiche. Tel un influenceur des temps modernes, Vicévertus déploie à longueur de journée de grands poncifs moralisateurs inondant les villageois et les Romains dans un océan de good vibes, comme disent les Bretons, où bienveillance et naïveté sont érigées en vertus. Une pensée enfantine qui désarçonne le fidèle mais turbulent couple Bonemine / Abraracourcix, dans lequel la femme aspire à prendre l’air, alors que le chef du village ne pense qu’à manger et traîner avec les copains.
Le courant de L’Iris Blanc, avatar de notre moderne wokisme, vient se frotter à un traditionaliste village armoricain plein de colère, de baffes et de poissons pas frais. Une manière habile d’inscrire ce tome 40 dans son temps et de perpétuer la tradition d’une série d’albums qui s’est toujours placée en commentatrice de son époque.
Reste ces interrogations pendantes : cet album questionne-t-il l’époque, Astérix ou les deux ? La série de presque 65 ans, aurait-elle mal vieilli ? Est-elle problématique en 2023 à l’heure où de nombreux militants de différents courants de pensée sont favorables à une réécriture des textes et des oeuvres du passé ?
Ou plus simplement FabCaro arpège-t-il des dérives existantes dont le grotesque nous échappe sur l’instant ?
La réponse, s’il en est une, dont les indices s’égrènent subtilement dans les pages de l’album, apparaît dans une des cases de la toute dernière planche. Un échange entre les deux phares de sagesse de ce village déjanté. Elle laisse néanmoins un espace d’interprétation ouvert pour chaque lecteur. Malin...
Quoiqu’il en soit, le baptême du feu est réussi pour l’auteur montpelliérain dont le récit est équilibré entre nostalgie, hommage et nécessaire modernité.
(par Kelian NGUYEN)
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Astérix T. 40 L’Iris Blanc - Par FabCaro & Didier Conrad - Ed. Albert René
Photos : Kelian Nguyen
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