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Astérix et l’Iris blanc : on l’a lu et on vous dit ce qu’on en pense

Par Kelian NGUYEN le 26 octobre 2023                      Lien  
Petite révolution dans le village gaulois : le scénario du nouvel "Astérix" est repris par FabCaro, le facétieux auteur de "Zaï Zaï Zaï", fable absurde sur ce qu’est devenue notre société de consommation hyper-marketée. Du marketing, on en a encore ici puisque le sujet de cette histoire est le développement personnel incarné par un nouveau personnage tout en aphorismes : Vicévertus.

C’est le 40e album d’Astérix. Avec un nouveau scénariste : FabCaro et le même dessinateur depuis six albums : Didier Conrad. On va avoir droit, comme cela a été le cas depuis des années, à la sempiternelle plainte « Astérix, ce n’est plus comme avant ». En 1976, dans Lire, au micro de Bernard Pivot, Goscinny faisait remarquer : « Moi, quand j’ai écrit mon premier scénario, il y a vingt-cinq ans, on m’a dit : "Est-ce que tu pourras en faire un deuxième ?" Et quand j’ai fait le deuxième, on m’a dit : "Il ne vaut pas le premier." Moi, aussi, je baisse depuis le début… »

Certes, on ne va pas ergoter, de l’avis général, les albums d’Uderzo n’ont pas la finesse, l’habilité et l’esprit de ceux de René Goscinny. C’est que, de base, Uderzo n’est pas un scénariste, d’une part, et n’avait pas l’expérience d’un Goscinny capable de dégainer dans les années 1960, plusieurs épisodes d’Astérix, de Lucky Luke, d’Iznogoud et du Petit Nicolas par an, tout en écrivant des dizaines d’articles, des scénarios de films et en dirigeant l’hebdomadaire Pilote.

Astérix et l'Iris blanc : on l'a lu et on vous dit ce qu'on en pense
Photo : DR

C’est oublier aussi que la qualité d’une reprise est indexée au talent du repreneur : Spirou, par exemple, n’a pas eu à se plaindre de sa reprise par Franquin, Tome & Janry ou Émile Bravo ; Walt Disney n’a pas souffert de l’utilisation de ses personnages par Carl Barks ou Floyd Gottferson.

Ici, il ne faut pas non plus trop accabler les auteurs du Astérix d’aujourd’hui : leur éditeur, Céleste Surugue, intervient comme un tantô, un de ces éditeurs japonais qui sont tellement impliqués dans les grandes séries de manga qu’ils en sont quasiment les coauteurs. Les auteurs le décrivent relisant le scénario ligne à ligne, regardant chaque dessin, anticipant la réaction des ayants droits, Sylvie Uderzo et Anne Goscinny qui, elles-aussi, ont leur mot à dire.

Photo de famille : Sylvie Uderzo (g.), Didier Conrad, FabCaro et Anne Goscinny

Alors qu’attend-on du nouvel Astérix ? Le respect du dessin d’abord. Et là on peut dire que Didier Conrad remplit le contrat. Il est même de plus en plus habile, s’appropriant le trait mais aussi l’univers d’Uderzo. On ne peut pas dire qu’il « baisse »… Quant à FabCaro, il a l’avantage de la fraîcheur, succédant à Jean-Yves Ferri qui, lui aussi, n’avait pas démérité et qui, après cinq albums, avait un peu besoin de souffler pour recharger ses accus. D’eux, on attend qu’ils préservent l’esprit de la série : sa critique sociale, ses jeux de mots subtils, ses personnages parfaitement caractérisés, son sens de la parodie, ses références bouffonnes, ses situations cocasses…

Les auteurs de L’Iris blanc y parviennent-ils ?

Il est incontestable, donc, que le successeur d’Albert Uderzo, Didier Conrad, adoubé par le maître lui-même, ne va qu’en s’améliorant. Album après album, son trait, qui ne relève pas de la copie, devient de plus en plus virtuose quand il s’agit de donner vie à nos Gaulois. François Schuiten nous rapportait l’anecdote d’un Albert Uderzo faisant la remarque à Didier Conrad qui lui envoyait ses premiers dessins d’Astérix : « C’est très bien... sauf tes yeux. Tu ne t’intéresse pas assez aux yeux. » et de voir dans cet album toute l’expressivité que le dessinateur transmet à travers ce que d’aucuns appellent « le miroir de l’âme ».

Au niveau de l’écriture, FabCaro, premier auteur de la série à ne pas avoir été choisi par l’un des deux pères-fondateurs, s’essaye à un sujet moderne : la pensée positive. L’auteur à l’humour absurde s’en sort avec brio avec des jeux de mots fins et bien rythmés tout au long de l’album.

L’arrivée de son nouveau « méchant », Vicévertus, prêchant au sein du village une bonne parole issue d’un nouveau courant de pensée : L’Iris Blanc, fait mouche. Le trouble vécu par les villageois, mais aussi par les cohortes romaines peut rappeler d’anciens albums mais jamais, au fil des pages, on ne tombe dans le pastiche. Tel un influenceur des temps modernes, Vicévertus déploie à longueur de journée de grands poncifs moralisateurs inondant les villageois et les Romains dans un océan de good vibes, comme disent les Bretons, où bienveillance et naïveté sont érigées en vertus. Une pensée enfantine qui désarçonne le fidèle mais turbulent couple Bonemine / Abraracourcix, dans lequel la femme aspire à prendre l’air, alors que le chef du village ne pense qu’à manger et traîner avec les copains.

Le courant de L’Iris Blanc, avatar de notre moderne wokisme, vient se frotter à un traditionaliste village armoricain plein de colère, de baffes et de poissons pas frais. Une manière habile d’inscrire ce tome 40 dans son temps et de perpétuer la tradition d’une série d’albums qui s’est toujours placée en commentatrice de son époque.

Reste ces interrogations pendantes : cet album questionne-t-il l’époque, Astérix ou les deux ? La série de presque 65 ans, aurait-elle mal vieilli ? Est-elle problématique en 2023 à l’heure où de nombreux militants de différents courants de pensée sont favorables à une réécriture des textes et des oeuvres du passé ?

Ou plus simplement FabCaro arpège-t-il des dérives existantes dont le grotesque nous échappe sur l’instant ?

La réponse, s’il en est une, dont les indices s’égrènent subtilement dans les pages de l’album, apparaît dans une des cases de la toute dernière planche. Un échange entre les deux phares de sagesse de ce village déjanté. Elle laisse néanmoins un espace d’interprétation ouvert pour chaque lecteur. Malin...

Quoiqu’il en soit, le baptême du feu est réussi pour l’auteur montpelliérain dont le récit est équilibré entre nostalgie, hommage et nécessaire modernité.

(par Kelian NGUYEN)

Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.

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Code EAN : 9782014001334

Astérix T. 40 L’Iris Blanc - Par FabCaro & Didier Conrad - Ed. Albert René

Photos : Kelian Nguyen

Asterix Editions Albert-René ✍ Fabcaro ✏️ Didier Conrad 🎨 Thierry Mébarki tout public Humour chronique sociale Aventure France
 
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14 Messages :
  • Intéressante analyse. En même temps, le cahier des charges , compréhensible, est justement quelque chose qui n’existait pas vraiment aux origines et dans le développement de la série. Sinon comment peut-on imaginer que Goscinny ait pu écrire le scénario des Helvètes bien loin de l’esprit des 2 ou 3 premiers tomes, à l’humeur très "enfantine", très "Oumpah-pah" fait en même temps. Il y a eu une "maturation" avec un subtil mélange, génial, de satire et de vrais bons gags .Et cette mutation s’est accompagnée d’une même courbe ascendante de qualité ( vertigineuse, irréelle) pour le dessin et la mise en scène.

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    • Répondu le 26 octobre 2023 à  16:03 :

      Vous avez raison de supposer l’existence d’un "cahier des charges". Froide expression technique qui résume assez bien l’esprit de ces reprises de séries qui pullulent désormais

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    • Répondu par Philippe Wurm le 26 octobre 2023 à  17:42 :

      C’est quoi cette notion de "cahier des charges" ?
      D’abord, je dirais plutôt "Menu des Plaisirs" !
      Et bien entendu que les auteurs d’origines ne connaissent pas le "cahier de charges", c’est une lapalissade de le dire.
      Toute série même reprise connait son évolution au fur et à mesure, tout est acte de création, la seule différence est le bon ou le mauvais. Franquin a-t-il repris le "cahier des charges" de Jijé ?...
      Il suffit de dire, cher Sergio, que tu n’aimes pas les reprises.
      Et si tu es heureux dans les "créations pures" c’est ton choix.

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      • Répondu par Sergio Salma le 27 octobre 2023 à  11:25 :

        Alors là, Philippe, j’avais bien pensé que mon commentaire pouvait être perçu de travers, les mots sont complexes , mais tu te trompes totalement quant à mes intentions. Je passe mon temps à contredire tout ceux qui d’emblée, par automatisme , refusent les reprises et même les adaptations au cinéma. J’ai lu avec beaucoup d’intérêt tous les derniers Astérix et m’amuse comme un fou en lisant les nombreuses reprises ou interprétations, le Lucky Luke de Blutch ou les Schtroumpfs de Tebo ont ma préférence. Les reprises de séries d’origine sont un exercice que j’ai toujours apprécié aussi. Et c’est même une leçon de technique que de suivre les travaux des repreneurs, le dernier Blake et Mortimer ( enfin celui de l’année passée ) était très bien. Sans aucune réticence de ma part crois-le bien, je pense que tu tiens à me placer directement dans le "camp adverse", les râleurs, ah mais pas du tout !
        J’ai par le passé fait un album des 4 As à la demande de Craenhals lui-même ; on m’a proposé de travailler sur des projets qui n’ont pas abouti donc je ne citerai pas de noms mais qui étaient dans la même logique d’entreprise. Et j’ai même repris l’Oncle Paul le temps de 2 pages dans Spirou haha !

        Qu’est-ce que te chipote dans l’expression " cahier des charges" ? C’est pourtant le propre de chaque série, une évidence. Et ça fait partie du jeu de venir apporter sa patte dans ce sentier balisé. Pour le mastodonte Astérix, c’est aussi parce que l’auteur de l’article l’indique, " esprit de la série ", le" contrat" , c’est bien normal, que j’ai eu envie de réagir sur le passé historique et cette notion de cahier des charges que les auteurs vivaient en le faisant évoluer justement vers des chemins inédits. Il en est de même pour toutes les séries d’ailleurs à quelques exceptions près , même avec les auteurs d’origine . Ils suivent un cahier des charges , induit, sachant que le lectorat est attentif. Avec une maturation qui vient tout bousculer petit à petit, ce qui sera moins le cas( il me semble et c’était le sens de mon commentaire initial ) dans le cadre d’une reprise et d’une gestion d’un univers ultra-codifié. En cela on peut se souvenir que les grands anciens étaient loin de cette notion, les Soviets et le Tibet font-ils partie de la même série ? On pourrait se le demander. Et en même temps oui, c’est ça qui est magique.

        Et sinon ? Toi , à quand un Blake et Mortimer ?

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        • Répondu le 27 octobre 2023 à  13:11 :

          C’est simplement que « cahier des charges » semble péjoratif alors que par exemple le mot « bible » est joli et s’est toujours appliqué aux séries, en BD comme en animation. Ça me fait penser à l’interview de Gainsbourg où Pierre Bouteiller le questionne sur les tubes qu’il écrit pour d’autres chanteurs et Gainsbourg emploie l’expression « je fournis du matériel pour les vendeurs », ce qui choque Bouteiller. Pour en revenir à Astérix, il faut quand même reconnaître qu’avec une mise en place à 5 millions, il ne s’agit plus vraiment d’un livre, mais bel et bien d’un projet industriel. Ce qui n’empêche pas de le faire bien.

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          • Répondu le 27 octobre 2023 à  17:14 :

            Gainsbourg avait raison, écrire ou dessiner un album de reprise d’une vieille série BD, c’est vraiment ça : produire du matériel pour les vendeurs.

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  • Remarque orthographique en passant : " s’il en est une " (= si une réponse existe, du verbe impersonnel "il est") et non pas *si l’en est une* qui n’a aucun sens grammatical.

    Sinon, merci pour l’article posé, explicatif et mesuré.

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  • Un chouette album, bien marrant plein de jeux de mots et de références rigolotes, et très bien dessiné. Une réussite, bravo ! Tant mieux s’il se vend bien, c’est pas interdit de rémunérer le talent, et puis cela permet aussi de faire vivre d’autres auteurs qui vendent moins.

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    • Répondu par Lena M. le 29 octobre 2023 à  17:39 :

      Oui, ce genre de parution fortement médiatisée permet aux libraires BD de payer leur loyer, ce n’est déjà pas si mal.

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    • Répondu par Phildar le 29 octobre 2023 à  19:48 :

      puis cela permet aussi de faire vivre d’autres auteurs qui vendent moins.

      Vous croyez encore à cette fable ? Vous êtes bien naïve Mlle Bigoudi (êtes-vous l’instit de Ficelle, Boulotte et Françoise ?)

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      • Répondu par Manuel le 30 octobre 2023 à  10:17 :

        Pour travailler dans le milieu, je vous assure que ce n’est pas vraiment une fable : les gens s’imaginent que les éditeurs roulent sur l’or, mais leur rentabilité repose souvent sur une poignée de séries... qui de fait financent une partie de la prise de risque de publier d’autres albums.
        Bon, concernant celui-ci, j’ai plus un doute vu que la maison ne publie qu’Astérix ;)

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        • Répondu le 30 octobre 2023 à  11:34 :

          Non, ils ne publient pas qu’Asterix. Ils appartiennent à un groupe.

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  • Un agréable moment de lecture pour moi et un excellent Didier Conrad au dessin. Premier album réussi pour le scénariste Fabcaro ! Les couleurs sont magnifiques également.

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    • Répondu par Darth Milou le 29 décembre 2023 à  18:22 :

      Franchement... Ca ne casse pas trois pattes à un canard. Manque de gags, trop de clin d’œil aux bobos parisiens et (soyons francs) aux amis des auteurs. Difficile de dire que c’est une BD mémorable quand elle vous tombe des mains.

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