Souvenez-vous, en mai dernier, nous ouvrions un dossier en quatre parties intitulé « Bande dessinée numérique : la France est-elle dans une impasse ? » dans lequel nous exprimions notre scepticisme : « D’un côté, nous avons des auteurs de BD frustrés qui aimeraient bien savoir à quelle sauce numérique les éditeurs vont accommoder leurs œuvres et surtout, comment on va les rétribuer. De l’autre, des éditeurs dans l’expectative, qui godillent à qui mieux mieux dans la nuit d’encre d’un marché balbutiant. En face, les libraires râlent. »
Qu’en est-il un an plus tard ? Clairement, le marché s’organise. Les éditeurs français se fédèrent autour de la plateforme Izneo dénommée La Bande numérique depuis que Glénat, Soleil et Delcourt et leurs filiales ont rejoint cette initiative de Média-Participations créée en mars 2010.
Le but est de créer un storage où pourront se fournir des libraires en ligne qui seront l’émanation, espère-t-on, des libraires « papiers » avec des pratiques commerciales et des remises comparables. Selon les intéressantes déclarations de Régis Habert à BoDoï.com (23 mars 2010), ce groupe a investi plus de 700.000 euros dans cette plateforme dans laquelle les principaux éditeurs n’ont « pas de minorité de blocage » : 15% pour Dargaud, Delcourt, Glénat, Soleil et Casterman, 10% pour Bamboo et Dupuis, et 5% pour Le Lombard. On notera quand même que le groupe Média-Participations a 30% des parts et on suppose que le ticket d’entrée au capital rend difficile l’accès aux petits éditeurs...
En outre, selon les déclarations du même, sur un million de BD consultées depuis un an, « les ventes sont très faibles ».
Un modèle économique encore incertain
Car le modèle économique demeure quand même incertain. Scrutant le marché japonais, très en pointe sur ces questions, les intervenants d’un débat sur le Manga numérique au dernier Salon du Livre de paris, bien résumé par Manga Sanctuary, marquaient leur scepticisme : Raphaël Pennes (responsable éditorial de Kazé, filiale des plus grands éditeurs de manga du monde, Shueisha et Shogakukan) dénombrait ainsi les principaux obstacles à l’arrivée du manga numérique en Europe : une grande disparité des équipements et des consommations de manga dans les pays européens et le fait que les consommateurs de BD numérique ne sont pas forcément des consommateurs de BD papier. La question est bien posée.
À cela s’ajoute un point souligné par Alain Kahn, patron de Pika : l’accès à ces versions numériques passe par l’acquisition, à un prix encore relativement élevé, de tablettes et des smartphones réservés à une population financièrement à l’aise et probablement plus âgée que le lecteur de manga moyen : « L’arrivée du manga numérique n’est pas pour cette année », concluait-il.
Mais elle arrivera, inéluctablement, pense-t-on généralement. Après-tout, 24 millions de Français sont connectés tous les jours à Internet, selon Médiamétrie cité par Boursier.com.
Des auteurs en désaccord
Au niveau des négociations entre les auteurs et les éditeurs, le SNAC-BD, syndicat des auteurs de BD, fait un constat d’échec.
Sur leur page Facebook, ils constatent une avancée sur la question du « Bon à diffuser numérique » (accord préalable de l’auteur avant publication) et sur la notion d’exploitation permanente et suivie sur une durée de deux ans.
Mais les points de désaccord sont fondamentaux et nombreux :
Refus de la part des éditeurs d’un contrat séparé pour le numérique
Refus également d’une durée de publication limitée avec une clause de réexamen sur la base de la performance des ventes
Désaccord sur le mode de rémunération (les éditeurs veulent appliquer le taux « papier » ce que les auteurs refusent)
Désaccord sur le mode de reddition des comptes, notamment sur leur transparence totale.
Face à cette impasse, les auteurs n’ont plus qu’à demander au législateur de prendre en compte leurs revendications, ce qui ne va pas accélérer les choses.
À cela s’ajoute le sentiment que ce « pourrissement » des relations est délibéré de la part des éditeurs qui pensent pouvoir profiter de leur position actuelle dans l’édition papier pour s’arroger à bon compte les droits numériques comme en témoigne le dessin de James reproduit dans leur communiqué.
Ambiance…
(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))
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