Débuté il y a près de vingt ans, Le Cycle de Cyann est considéré comme une série majeure de la bande dessinée franco-belge. Son auteur, François Bourgeon, qui travaille sur cette série avec un scénariste, alors qu’il avait déjà acquis ses lettres de noblesse avec Les Passagers du vent, et prolongé son travail d’auteur avec Les Compagnons du crépuscule. Sa collaboration au scénario avec Claude Lacroix qui lui permet d’atteindre les étoiles en contant les aventures d’une jeune aristocrate revêche que le destin entraîne à sauver sa planète.
La valse des éditeurs
Débutée chez Casterman, la saga éditoriale de la série n’a d’ailleurs rien à envier aux péripéties de son héroïne. Après le rachat de Casterman par Flammarion, les auteurs et l’éditeur ne s’entendent plus. Cette discorde va s’emballer jusqu’à ce qu’un jugement impose au dessinateur une astreinte de 1000 € par jour de retard et qu’un autre jugement ne casse ce dernier, rendant aux créateurs leur ’liberté’. Tout ceci est évoqué en détail dans la rubrique de nos Grandes Affaires : Bourgeon / Lacroix contre Casterman.
C’est donc Vents d’Ouest qui, dans la foulée, récupéra le droit de publier la série. S’ajoutent encore deux tomes, dont Les Couleurs de Marcade en 2007, que nous avions évoqué en détail sur ActuaBD.com, dans un article accompagné d’une longue interview de Bourgeon.
Mais voilà, Dominique Burdot et Laurent Muller quittent Glénat pour fonder les éditions 12bis., et quelques mois plus tard, ils annoncent que François Bourgeon les rejoint : "Un accord a été signé entre Casterman, Claude Lacroix, François Bourgeon et nous-mêmes pour transférer le fond des albums de Bourgeon chez 12bis, expliquait Laurent Muller, à savoir les Passagers du Vent, les Compagnons du Crépuscule, ainsi que les deux premiers épisodes et le hors-série du Cycle de Cyann. La signature s’est déroulée dans un climat cordial et satisfaisant pour toutes les parties."
On a bien entendu vite compris l’importance que revêt le fonds Bourgeon pour la jeune maison d’édition, mais la longue expériences des fondateurs leur a permis de parfaitement gérer cela, avec entre autres la publication de deux tomes de la suite des Passagers du Vent. Ce coup double éditorial sera donc confirmé par la réédition complète des premiers tomes du Cycle du Cyann, et des deux derniers opus de la saga, alors que Bourgeon semblait n’en évoquer qu’un cinquième et dernier album lors de notre entrevue en 2007.
Un tome 5 qui revisite les thématiques précédentes
Sans dévoiler tout le contenu des premières aventures de Cyann, chaque tome apportait sa particularité à la saga :
La sOurce et la sOnde revenait sur les arcanes d’une société très codifiée et politique,
Six saisons sur ilO dévoilait les particularités d’une planète très sauvage à la faune et la flore extraordinaires
Aïeïa d’Aldaal présentait une population nomade qui avançait en même temps que la rotation de sa planète
alors que Les Couleurs de Marcade abordait un sujet plus sociétal dans lequel chaque échange verbal devait se monnayer.
Comme son titre l’évoque bien, Les Couloirs de l’Entretemps se centre sur les paradoxes temporels. Ainsi que Cyann l’apprend dans le tome 2 : pouvoir se déplacer instantanément dans l’espace provoque des remous du temps. Si le périple de la farouche jeune femme n’a duré que deux ans, c’est bien des années plus tard qu’elle se retrouve sur Ohl, découvre que sa jeune sœur est morte assassinée, et que son ancienne amie Nacara règne en despote après avoir bouleversé les codes politiques de la planète. Cyann entreprend alors de revenir dans le temps pour sauver sa sœur, mais ses précédentes aventures ne lui ont pas apporté que des amitiés, avec les conséquences que l’on peut imaginer.
Malgré quelques intéressantes perspectives dans les premières pages, ce cinquième tome ne possède donc pas toute l’inventivité des précédents opus, car le fait de faire revenir Cyann sur les différents lieux de ces premières aventures, en lui faisant rencontrer la plupart des personnages importants qu’elle a connus précédemment, ne permettait pas de développer un nouveau cadre à son périple. Les amateurs d’innovation resteront donc sur leur faim, mais ceux-ci qui ont pu apprécier les personnages haut en couleurs rencontrés précédemment, auront beaucoup de plaisir à suivre leur évolution dans le temps, ainsi que l’image qu’ils ont conservée de la Cyann qu’ils avaient alors connue.
Les Couloirs de l’Entretemps sont néanmoins d’une excellente facture, et Bourgeon nous fait toujours autant voyager grâce à son dessin précis et très évocateur. Comme pour Les Passagers du vent, 12bis nous promet le dernier tome de la saga pour fin 2013, cette sortie est donc une excellente occasion pour ceux qui ne connaîtrait pas encore Cyann de faire sa connaissance progressivement par la réédition de ses aventures, tandis que les amateurs passeront de nouveau un très agréable moment en sa compagnie.
Des gentilshommes de fortunes dans L’Or et le Sang !
Autre sortie récente de 12bis, le troisième tome d’une excellente série, servie par le co-scénario de Fabien Nury (accompagné par Maurin Defrance), et le dessin de Merwan (Pour l’Empire) et Bedouel. Alors qu’ils se sont connus dans les tranchées, un jeune aristocrate et un voyou de Marseille se lancent à la conquête du Rif, enflammant les tensions entre population locale, armée espagnole et visions expansionnistes française.
L’Or et le Sang n’est pas sans rappeler Los Gringos de Charlier & de la Fuente : on y retrouve ce souffle épique et historique qu’on apprécie tant lorsqu’il est savamment mêlé l’imaginaire. Mais ce qui éblouit principalement dans cette série, c’est la place laissée à l’humain et à l’amitié entre ces hommes qui ne se comprennent pas toujours, mais continuent à s’apprécier sans limite.
La lecture de L’Or et le Sang transporte réellement le lecteur à chaque tome. Si le premier opus, d’ailleurs remarqué à Angoulême, jetait les bases de cette fraternité aussi folle qu’entreprenante, le deuxième tome les lançait de plain pied dans les remous du Rif de l’époque.
Le tome 3 nous présente la première rupture entre les deux héros, chacun suivant sa voie dans cette révolution de sable : une implication de chaque instant, tel un nouveau Lawrence d’Arabie, les dromadaires en moins ; ou le profit juteux qu’on peut tirer d’une situation politique chaotique. L’occasion de se placer dans les bottes de ces aventuriers extrêmement humains. Un récit d’une grande force, à ne pas rater !
Bien entendu, 12bis continue son aventure éditoriale, avec des albums biographiques, humoristiques, des thrillers et des récits historiques. Ainsi par exemple la troisième BD-enquête sur les coulisses du monde des vins : Champagne – Dom Pérignon code. Bercovici est d’ailleurs un des dessinateurs réguliers de 12bis, avec qui il a déjà signé près d’une demi-douzaine de titres.
Et l’on n’oubliera pas Georges et Tchang, le sulfureux biopic signé Laurent Colonnier dont nous avons déjà largement parlé dans nos colonnes, et qui fera on l’imagine couler beaucoup d’encre, et pas seulement de Chine !
En surfant habilement sur les différents genres, 12bis continue d’afficher un programme éditorial aussi populaire que novateur. Une maison à suivre.
(par Charles-Louis Detournay)
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