À n’en pas douter, Dargaud opère une rentrée fracassante cette année, notamment sur le terrain des one-shots. Après Charlotte impératrice, L’Art de Mourir, et HMS Beagle parmi d’autres, l’éditeur nous propose un tandem d’auteurs étonnant à plus d’un titre.
Etonnant car Mika et Jérémy n’avaient pas encore travaillé ensemble. Tout aussi étonnant car l’on ignorait que Jérémy, ancien assistant de Delaby entre autres sur Murena et la Complainte des Landes Perdues, et qui a réalisé Barracuda avec Dufaux ainsi que Les Chevaliers d’Heliopolis avec Jodorowsky, on ne savait donc pas que ce talentueux dessinateur était également scénariste ! Etonnant enfin car, bien que Layla soit leur premier album en commun, les deux auteurs ont fait preuve de beaucoup de maturité et donné le meilleur d’eux-mêmes pour un résultat dépassant les espérances.
Deux auteurs, amenés à se rencontrer
Jérémy nous a précédemment expliqué la genèse de son projet, Layla : « Il s’agit en fait du scénario que je voulais présenter aux éditeurs avant que je me lance dans Barracuda. J’avais montré mes planches et mon scénario à Jean Dufaux, il y a une dizaine d’années. C’est après avoir vu mon travail qu’il m’a proposé de travailler sur Barracuda. Du coup, j’avais quasiment abandonné mon scénario pour me lancer dans cette collaboration avec Dufaux. »
De son côté, Mika avait réalisé plusieurs collectifs chez Soleil, notamment pour la collection Celtic, ainsi que le premier album des Larmes de fées et la trilogie de Pen Dragon.
« J’aime beaucoup le fantastique, nous explique-t-il, Surtout le folklore celtique comme j’ai pu le travailler précédemment, mais j’apprécie également le monde médiéval : les châteaux, et même les pierres qui, sil elles pouvaient parler, nous raconteraient certainement des histoires passionnantes. J’aime aussi beaucoup dessiner la nature, ainsi que les personnages féminins. Et lorsque Jeremy m’a contacté pour me proposer Layla, un récit qu’il portait en lui depuis dix ans, mais qu’il n’avait pas le temps de dessiner, je me suis rendu compte que son histoire regroupait les différents ingrédients qui m’attiraient. »
« Au moment où Jérémy m’a contacté, continue Mika, Je travaillais dans la publicité. Et son message est arrivé à point nommé, car après m’en être un peu éloigné, je voulais viscéralement revenir à la bande dessinée. Bien entendu, j’aime le dessin, mais j’apprécie surtout de faire évoluer des personnages, et par leur biais, raconter des histoires : c’est ma passion ! Et en comparaison avec la publicité, l’animation ou d’autres formes où l’on utilise le dessin, seule la bande dessinée vous permet de penser chaque élément de votre narration : le cadrage, la mise-en-page, les personnages et même tout le langage cinématographique qui est mis au service de votre histoire. Tous ces choix au service de la narration sont exaltants ! Puis, je ne cherche pas à dessiner parfaitement ou réussir ma perspective contre vents et marées ! Mais je veux procurer l’émotion juste, car je pense que c’est ce que le lecteur conservera en lui après avoir lu la dernière page. Tout cela en tentant de me placer à la hauteur du scénario et des attentes de Jérémy bien entendu ! »
Layla - Conte des marais écarlates
Le récit met en scène Grenoye qui réside dans la capitale autrefois resplendissante mais aujourd’hui déchue du royaume de Flyne Yord. Il habite là, dans une maison délabrée, avec sa mère, abandonnée par son mari et rongée par le chagrin. Le jeune homme n’a qu’un seul but, qui vire à l’obsession : retrouver Layla, une femme mystérieuse, à la beauté incomparable, qu’il a rencontrée un jour, par accident, dans les Marais écarlates.
Mais Grenoye n’est pas le seul à être fasciné par cette créature à l’aura maléfique. Le roi Ragnar Falx lui-même est attiré irrésistiblement par Layla – et par l’Escarboucle, la pierre rouge qu’elle porte à son cou et qui lui confère un pouvoir terrifiant... Leur inextinguible passion va entraîner de sombres conséquences : assassinats, trahisons, guerres et destructions, mettant le royaume à feu et à sang. Quel est le mystère de Layla ? Et jusqu’où pourrait aller Grenoye pour protéger cette femme qui le hante ?
Conçu initialement comme un diptyque, Dargaud a préféré rassembler les deux tomes de cette histoire pour proposer un gros roman graphique de près de cent pages en grand format, comme il l’avait réalisé pour le précédent Maître d’armes. Une excellente initiative, car malgré une petite baisse de régime dans la seconde partie du récit, l’on profite pleinement de l’histoire (et de son étonnante conclusion !), ce qui n’aurait certainement pas donné le même effet en la scindant en deux.
Le point fort de Layla est de dépasser le cadre de la Dark Fantasy, pour se focaliser sur les sentiments des personnages. Des sentiments si intenses, qu’ils les dévorent, les entraînant jusqu’à la destruction.
Outre ces passions qui se déchaînent, la réussite de Layla tient également à l’authenticité de chaque être. Chacun d’entre eux bénéficie d’une personnalité entière et loin d’être idéale. Dès lors, on se passionne autant pour la reine dévorée d’ambition qui veut faire plier les royaumes voisins, que pour la femme de Grenoye, tiraillée entre l’amour pour son mari et la colère de le voir se consumer de passion pour une autre.
« C’était avant tout l’histoire de Jérémy, nous explique Mika, Mais en m’impliquant dans le récit, je me suis permis de lui faire quelques propositions, dont certaines ont été utilisées : ainsi, je voyais le personnage du chasseur comme étant plus jeune, et encadré de deux gros chiens médiévaux, que j’avais découvert dans un salon médiéval. Jérémy a accroché au dessin que je lui proposais, et a adapté le scénario en fonction. De même, j’ai eu l’idée d’avoir une reine avec des cheveux courts, plus investie, déterminées et combattante. Jeremy a donc imaginé cette scène où elle se coupe les cheveux. »
Le récit est magnifié par le personnage de Layla, pourtant pas omniprésente. Jérémy détaille plutôt bien le mythe de la vouivre, cette créature fantastique, parfois dragon, parfois serpent, qui porte donc cette escarboucle sur le front. Mais le scénariste dépasse la figure de l’être mythologique pour lui conférer une passionnante psychologie, mi-humaine, mi-succube.
L’histoire de Jérémy bénéficie du splendide dessin de Mika. Son graphisme apporte épaisseur et authenticité aux personnages. Ce dessin abouti est porté par les couleurs réalisés par une véritable équipe composée d’Hamo, d’Alexandre Boucq, comme de Mika lui-même. Les villes sont vivantes, les forêts grouillent d’étranges animaux, les combats font rage et les sentiments ressentis par les personnages bénéficient des justes expressions pour les transmettre au lecteur.
Le dessinateur nous explique sa capacité à réussir des environnements aussi différents : « Alors que certains auteurs sont inspirés par le cinéma, je suis plutôt fasciné par les images. J’ai une grande mémoire visuelle, je peux donc passer beaucoup de temps à admirer une illustration et comprendre comment elle a été réalisée. Pour l’assimiler, la mûrir et l’associer à d’autres. »
Sans révolutionner le genre, Layla s’avère un excellent récit de médiéval fantastique destiné au grand public. Certainement l’une des plus belles réussites scénaristiques et graphiques de genre en cette fin d’année !
(par Charles-Louis Detournay)
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