Le récit commence avec le suicide de l’épouse de Fritz Lang, Lisa Rosenthal, dans leur appartement berlinois, le 25 septembre 1920. L’enquête de police qui suit fournit le prétexte à une série de flashbacks sur la jeunesse et la formation de Fritz Lang, son expérience de la guerre en 1914-1918 et son entrée dans le monde du cinéma. Puis vient le temps des succès avec sa scénariste Thea von Harbou : Les Trois lumières (1921), Le Dr Mabuse (1922), Les Nibelungen (1924) et le grandiose Metropolis (1926).
Éric Liberge (Les Heures impaires, Le Suaire...) met en images avec beaucoup de talent l’univers de Fritz Lang et celui des grands noms du cinéma expressionniste allemand, comme Murnau, Wegener ou Wiese. Sans oublier les Fantômas tournés par Louis Feuillade ou Le Fantôme de l’Opéra de Lon Chaney. On retrouve avec plaisir des personnages familiers et des mises en scène marquantes, mais aussi des plateaux de cinéma dessinés avec beaucoup de précision. Rien qu’en cela l’album est un très bel hommage au 7e art.
Mais l’autre intérêt du scénario concocté par Arnaud Delalande est d’aborder de façon originale le phénomène politique du nazisme sous l’angle iconographique. Les auteurs rappellent avec raison qu’Hitler et ses soutiens – comme le photographe Heinrich Hoffmann ou la réalisatrice Leni Riefenstahl – ont été de prolifiques créateurs d’images qui ont participé à la construction du mythe du « sauveur » de l’Allemagne. Le nazisme a aussi été une esthétique de la démesure, bercée de romantisme fantastique. Une thématique d’ailleurs déjà traitée, sous une autre forme graphique, par Éric Liberge dans la série Wotan.
En fouillant dans les tréfonds de l’âme humaine et en révélant sa folie latente, le cinéma expressionniste est réputé avoir décrit les mécanismes psychologiques qui ont rendu possible la victoire politique d’Hitler en 1933. Éric Liberge livre à ce titre des planches saisissantes, comme celles dressant un parallèle entre Le Golem de Wegener et le tribun Hitler conduisant inexorablement la société allemande à sa perte. Les derniers films allemands de Fritz Lang, M. le Maudit (1931) et Le Testament du Dr Mabuse (1932), sonnent à ce titre comme de très clairs avertissements.
Au fil de l’album, la quête artistique de Fritz Lang est mise en en regard des dispositifs de propagande visuelle du nazisme pour mieux souligner leur potentielle convergence en un vertigineux parallèle graphique. On comprend mieux pourquoi, à la fin de l’album, Lang est sollicité par Joseph Goebbels pour devenir le cinéaste officiel du régime. Du moins c’est ce que Lang affirmera plus tard. Horrifié, ce dernier fait le choix de l’exil volontaire pour éviter toute compromission. Une nouvelle aventure cinématographique commence…
Voir en ligne : présentation de l’album sur le site de l’éditeur
(par Paul CHOPELIN)
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Fritz Lang le Maudit - Par Arnaud Delalande (scénario) et Éric Liberge (dessin et couleurs) - Les Arènes BD - 2022 - 112 p. - 22 €