L’histoire est « abracadabrantesque ». Elle commence au Danemark le 30 septembre dernier lorsque Jørn Mikkelsen, l’un des rédacteurs en chef du Jyllands-Posten, un quotidien conservateur tirant à 160.000 exemplaires, décide, en apprenant qu’un auteur de livre pour enfants ne trouve aucun dessinateur pour dessiner sa vie de Mahomet, de faire appel dans ses pages à la bonne volonté des dessinateurs. Ils reçoivent en retour 12 dessins qu’ils publient.
Or, l’Islam interdit la représentation du prophète. En outre, certains de ces dessins, à l’exception d’un seul qui critique ouvertement la démarche du quotidien, font l’amalgame entre l’Islam et le terrorisme d’Al Quaeda.
La communauté musulmane danoise réagit violemment et exige des excuses de la part du journal, qui refuse, du moins dans un premier temps. Des manifestations et des menaces de mort à l’encontre des illustrateurs s’ensuivent. Puis l’affaire prend un tour politique : onze ambassadeurs de pays musulmans demandent une audience à ce sujet au premier ministre danois qui la leur refuse au nom de la liberté de la presse. Ensuite, 22 ambassadeurs danois à la retraite critiquent ce refus qu’ils jugent peu diplomate. Le premier ministre tente un discours d’apaisement mais trop tard : les pays musulmans invités boycottent le Festival « Images du Moyen-Orient » prévu pour cet été au Danemark.
Rebondissement, en France cette fois : Jacques Lefranc, président et directeur de publication de France Soir a été limogé lundi avec pertes et fracas par son actionnaire, M. Raymond Lakah, alors même que sa société est en dépôt de bilan et sous le coup d’un redressement judiciaire. Pourquoi ? Pour avoir laissé publier dans son journal les caricatures incriminées. [1]Dans un communiqué, M. Lakah déclare : « ...nous présentons nos regrets auprès de la communauté musulmane et de toutes personnes ayant été choquées ou indignées par cette parution. ». Une déclaration et une décision qui laissent pantois les journalistes du quotidien qui répliquent dès le lendemain en publiant un dossier intitulé : « Au secours, Voltaire, ils sont devenus fous ! » [2]
Ces différents développements ne laissent pas d’étonner. Depuis longtemps, Mahomet a été représenté en caricature en France, que ce soit dans Charlie Hebdo ou dans Fluide Glacial où une bande dessinée mémorable de Gotlib, God’s Club, se moquait de toutes les religions sans distinction : catholique, bouddhiste, musulmane et même juive puisque le Dieu d’Abraham y est décrit racontant des blagues juives avec un accent yiddish incompréhensible. C’était en 1972 et aucun Musulman n’avait alors trouvé à redire. Encore récemment, Fluide avait mis le Prophète dans ses sujets de moquerie, parmi tous les autres tenants de la croyance divine. Dans Le Monde [3], Gotlib déclare : « La pire malédiction, c’est de manquer de sens de l’humour. Je trouve dangereux ceux qui veulent interdire ces dessins quand on sait de quoi ils sont capables ». Il trouve ces dessins « pas méchants » mais ajoute aussitôt, parlant de « God’s Club » : « Je ne pourrais sans doute plus faire ce genre de BD aujourd’hui ». Pétillon, également interrogé et auteur d’un récent livre d’humour intitulé L’Affaire du Voile, signale cependant qu ’« assimiler l’islam au terrorisme, cela peut faire tousser ».
Il semble bien que cette affaire se résume moins à un débat sur une religion malmenée par une expression critique corrosive, qu’à une escalade des fondamentalismes qui tentent de porter atteinte, au final, à la libre pensée et à la libre expression. Ces droits sont inscrits, faut-il le rappeler, dans la déclaration des Droits de l’Homme. France Soir a certainement manqué de mesure et de bon goût. Mais la virulence et la disproportion des réactions n’en est pas moins lamentable et inquiétante.
(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))
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LIRE LE DOSSIER : L’AFFAIRE DES CARICATURES DANOISES DE MAHOMET
En médaillon : la manchette de France Soir. photo : D. Pasamonik
[1] France Soir, mercredi 1er février 2006.
[2] France Soir, 2 février 2006.
[3] Le Monde, vendredi 3 février 2006.
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