Cela n’a sans doute pas été assez dit au moment de la remise de son Grand Prix à Angoulême : Cosey est le contre-exemple de cette lecture historique pédante qui a longtemps prévalu sur les bords de la Charente et qui consistait à laisser croire que le plaisir de la recherche et la réflexion sur le médium dans la bande dessinée franco-belge était une invention récente, et en tout cas pas antérieure à la « nouvelle bande dessinée » des années 1990 ; que la forme romanesque de la bande dessinée, si commodément désignée aujourd’hui sous le vocable de « roman graphique » ne préexistait pas à son invention supposée par Will Eisner en 1978, et en tout cas pas au Pulitzer Prize de Maus en 1992, coup d’envoi du genre dans le monde.
Dès ses débuts avec Jonathan (1975, Le Lombard), Cosey cherche et trouve des rythmes et des espaces nouveaux, traitant l’aventure dans une approche littéraire qui prend le temps de la contemplation, comme le faisait avant lui le génial Hugo Pratt et de façon contemporaine le non moins génial Moebius. Évidemment, que ce qui relie les trois hommes, c’est une certaine forme, « laïque » pourrait-on dire, de spiritualité, cette « aventure intérieure » comme la qualifiait Thierry Smolderen, qui désenclave toute œuvre de la gangue de la vulgarité. Avec Jonathan, nous savions tous, lecteurs de l’hebdomadaire Tintin, qu’une forme de bande dessinée irréfléchie, sans âme, à tout dire commerciale, était en train de mourir.
Un nouveau "voyage intérieur"
Avec À la recherche de Peter Pan (1983, toujours au Lombard), la jonction était faite avec la littérature et le roman graphique au sein d’un catalogue qui prenait de plein fouet une transmutation du métier qui allait lui être fatale (le Lombard sera racheté l’année suivante). Philippe Vandooren, éditeur aux éditions Dupuis, et son successeur Claude Gendrot, l’avaient bien compris qui allèrent chercher l’antidote au vieillissement, en réalité un supplément d’âme, en recrutant Cosey dans la toute nouvelle collection Aire Libre. S’étonne-t-on que le même Gendrot, qui avait connu auparavant Pratt comme jeune rédacteur dans Pif Gadget puis était devenu éditeur aux Humanoïdes Associés avant de migrer chez Dupuis, que cet éditeur, une fois passé chez Futuropolis rejoindre Sébastien Gnaedig, accueille Cosey aujourd’hui dans sa collection ?
Non bien sûr. Le lecteur sera content du voyage qui nous mène à un amour d’enfance qui décide de vivre une dernière aventure dans la surprise et la passion avant de transmettre au survivant du couple un bienveillant secret. Un peu comme si la littérature venait faire la leçon à Hollywood, si matérialiste et si factice, en ramenant la dangereuse nymphe d’Homère, elle-même experte en illusion, à une ironique réalité où l’amour et l’amitié ont toute leur place.
Sur cette trame construite avec minutie, Cosey joue des codes de la lisibilité, passant sans cesse de l’anecdotique au symbolique, du lisible à l’invisible, laissant promener son trait –une plume sensible nourrie de beaux noirs- dans de libres ébats, tout à l’étonnement de ses effets. Calypso –peut-il en être autrement ?- nous laisse sous le charme.
(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))
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