Romans Graphiques

Les Dames de Kimoto - Par Cyril Bonin - Sarbacane

Par Philippe LEBAS le 23 mars 2022                      Lien  
Dans son nouvel ouvrage, Cyril Bonin adapte le roman d'une autrice célèbre au Japon et nous gratifie d'un portrait de femmes au tournant du XXᵉ siècle particulièrement réussi.

Hana, Fumio et Hanako, la grand-mère, la mère et la petite fille, tels sont les trois beaux visages aux chevelures changeantes, qui, sur fond de montagnes et de maisons traditionnelles, ornent la très belle couverture des Dames de Kimoto. C’est cette famille rurale japonaise de plusieurs générations, cinq au total, depuis Toyono, la grand-mère d’Hana jusqu’à la petite fille de celle-ci, Hanako, que nous invite à suivre Cyril Bonin.

Adaptant l’ouvrage éponyme paru en 1959 [1] les Dames de Kimoto, de Sawako Ariyoshi, Cyril Bonin nous délivre une fine étude d’un Japon au féminin, proche d’Osaka et de Kyoto, à l’époque de transition entre tradition et modernité, soit depuis l’ère Meiji à la fin du XIXᵉ siècle jusque dans les années 1950.

L’histoire est très simple puisqu’il s’agit d’une saga familiale, centrée sur Hana, que l’on suit depuis sa jeunesse auprès de sa grand-mère Toyono jusqu’à sa mort, quasiment dans les bras de sa petite fille Hanako. Rappelons que cette époque est, pour le Japon, celle de l’ouverture au monde occidental. Les héros américains de cinéma et le suffrage universel font leur apparition, faisant la joie de Fumio, la fille d’Hana. Le contexte, national et international, n’est pas moins tourmenté, entre la guerre du Japon contre la Russie en 1905, la montée des fascismes et la 2de Guerre mondiale. Sur cette toile de fond agitée, les dames de Kimoto, mais aussi les hommes qui ne sont pas en reste, devront opérer leurs choix.

Sans reprendre le découpage du roman en 3 parties, Bonin en conserve l’esprit et l’organisation chronologique en adoptant un récit continu, en intégrant des bonds temporels, parfois d’une page à l’autre, ce qui lui permet de raconter une histoire qui s’étire sur plus de 50 ans et de résumer en 100 pages un roman qui en compte plus de 300. Cyril Bonin réussit ici une fort belle adaptation, élégante et subtile, très fidèle en cela au livre d’Ariyoshi, avec les moyens graphiques propres à la BD, sans trop de textes, parfois même sans, ouvrant ainsi la voie à la contemplation.
Les Dames de Kimoto - Par Cyril Bonin - Sarbacane
Le trait et les couleurs utilisées par Bonin, tout en douceur, comme à son habitude, servent parfaitement ce récit familial tout en nuances. Hana a tout fait pour son mari et la famille des Matari, se fondant littéralement dans celle-ci, Hana appelant "mère" sa belle-mère et "frère" son beau-frère, selon l’usage. Elle a toujours tenu à respecter les traditions pour que la vie puisse continuer de manière harmonieuse : ne pas marier sa fille avec un homme situé en amont du fleuve Ki pour ne pas avoir à le remonter (ce qui peut être dangereux), placer des amulettes en forme de seins pour que l’enfant à naître soit en pleine forme... La tradition semble d’ailleurs perdurer comme le prouvent ces photos [2]

Éduquée et cultivée, Hana a fait ce choix en toute conscience, sans pour autant se renier, ayant elle-même, avec sa grand-mère, choisi son mari, choix habituellement fait par l’homme de la famille, comme l’aurait voulu la coutume : "Les femmes imposèrent donc leur choix au chef de famille pour Hana".

Hana a toujours continué à lire, à discuter avec son beau-frère, le cadet, éternel second dans ce type de société patrilinéaire. Quant à la fille d’Hana, Fumio, particulièrement rebelle durant sa jeunesse et ouverte au vent de liberté venant de l’Occident, trouve sa mère "vieux jeu" et se jure de ne jamais avoir "le culte des traditions". Elle finira cependant par y revenir, pour y (re)trouver une forme de paix, après la perte de son premier enfant.

Pas de contradictions ici, juste la façon proprement japonaise d’envisager la modernité tout en la conciliant avec la tradition, ou comment devenir "moderne sans être occidental" [3]

Dessinateur de séries à succès comme Fog, avec Roger Seiter au scénario, puis Quintett, avec Franck Giroud cette fois, Cyril Bonin s’affirme dorénavant, et depuis plusieurs années, comme un auteur complet, comme en témoignent ses récents ouvrages, Stella et Comme par hasard.

"Cyril Bonin est un auteur à suivre. On peut miser, sans se tromper, sur ses prochains albums" disait un de nos chroniqueurs à propos de l’avant-dernier ouvrage de Bonin, Comme par hasard. On confirme  !

Les éditions Sarbacane s’honorent d’accueillir de telles adaptations, mettant à l’honneur des romans étrangers peu connus en France, à l’image de celui de Wagamase, Les étoiles s’éteignent à l’aube, récemment adapté par Vincent Turhan.

(par Philippe LEBAS)

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Code EAN : 9782377317875

[1Ce roman célèbre au Japon a été traduit en français en 1983, puis à nouveau en 1996 avant de sortir en poche, chez Folio, en 2016, lui permettant d’accéder à une reconnaissance tout à fait justifiée. On en conseille vivement la lecture, que ce soit avant ou après celle de la BD.

[2Tirées du blog de Henro, consacré au bouddhisme.

[3Selon le beau titre de l’ouvrage d’histoire que P-F Souryi a consacré à cette même période.

Sarbacane ✏️ Cyril Bonin à partir de 13 ans Adaptation littéraire
 
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