Vingt décembre. Chroniques de l’abolition -Par Appollo et Tehem- Ed. Dargaud.

Dans l’immense continent de la BD historique, Vingt Décembre a tout pour faire date, dans tous les sens du terme.

Tout tourne autour de l’année 1848, et spécialement du 20 décembre, date de l’officialisation de l’abolition de l’esclavage à La Réunion, qui en a d’ailleurs fait un jour férié. Mais cet ouvrage tient moins d’un récit historique continu, que, comme l’indique le sous-titre, de Chroniques de l’abolition, vues sous de multiples angles. Un récit polyphonique en somme, au centre duquel se trouve Edmond Albius, personnage très connu à La Réunion pour avoir découvert, bien qu’étant esclave, la technique de la fécondation (manuelle) de la vanille.

On y suit aussi l’annonce de la fin de l’esclavage, par le commissaire de la jeune Deuxième République, Joseph Sarda-Garriga. [1] On apprend au passage que cette abolition s’y est déroulée pacifiquement, avant et après. Mais, comme ailleurs, la sortie de l’esclavage n’a pas pour autant signifié un sort réellement meilleur pour les 60 000 esclaves (sur une population d’un peu plus de 100 000 habitants !), et notamment pour Edmond, qui ne profita jamais de sa géniale trouvaille, passa plusieurs années en prison et termina sa vie dans la pauvreté. Ce sont les propriétaires qui s’en sortent au bout du compte le mieux, car eux ont été indemnisés...

On croise enfin le jeune Martial Potémont et Antoine Roussin, professeur de dessin au lycée, qui vont quasi donner naissance à la BD à la Réunion (une vingtaine d’années seulement après Töpffer), ce qui est, pour le coup, une découverte complète, dont quelques dessins sont subtilement intégrés au récit. [2]

Sur ces quatre personnages ayant réellement existé mais dont on sait encore peu de choses, Appollo, au scénario, et Tehem (dessin et couleur) ont accompli un véritable travail d’historien (aux Archives Départementales de La Réunion, lors d’une résidence d’artistes en 2020), sans s’interdire des pas de côté ou de combler les trous, utilisant ainsi tous les ressorts de la fiction. La grande et la petite histoire se mêlent ici avec bonheur.

C’est dire la richesse de cet ouvrage, fort bien servi par le dessin de Tehem [3], tout en douceur et qui se tient à distance du réalisme et de la fantaisie. [4]. Pas d’effet de manche ni d’esbrouffe dans son dessin, mais un art consommé de la perspective et des différents plans. Les couleurs sont à l’avenant, jamais agressives. Si l’on ajoute à cela un humour égrené au fil de l’album, voilà qui contraste avec la violence des faits, qui ne sont pas cachés pour autant, mais tenus à distance et d’autant mieux mis en valeur.

A l’instar de La Liberté guidant le peuple de Delacroix, évoquée dans la belle couverture et dans la 4ème de couverture, laissez Appollo et Tehem [5] vous guider dans cette singulière histoire de la Réunion.